Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section du blogue des «spin doctors».
Le message que Julie Snyder voulait passer hier à l’occasion de sa sortie médiatique était clair. Le gouvernement la contraint à abandonner la direction de son entreprise de productions télévisuelles «parce qu’elle est la conjointe de Pierre Karl Péladeau», le chef du Parti québécois. Il s’agit d’un message politique.
C’est de cette angle qu’il faudra regarder pour la suite des événements.
Mme Snyder fait de la politique de plus en plus souvent. Elle est plutôt habile, d’ailleurs.
On l’a vue en faire en 2008 lorsqu’elle est partie en croisade au nom des couples infertiles. Sa demande d’inclure au panier des services payés par l’État les traitements de procréation assistée s’était avérée très efficace.
Excellente communicatrice et disposant d’un fort capital de notoriété dans l’opinion publique, Mme Snyder avait démontré sa capacité de faire bouger les choses dans ce dossier.
Je n’ai pas suivi à la trace tous les engagements politiques de Julie Snyder, mais je me souviens que le 31 août 2012, l’animatrice vedette était montée sur scène devant une foule survoltée pour offrir son appui à la chef péquiste Pauline Marois, dans une soirée militante où elle devenait en quelque sorte le «clou de la soirée».
En octobre 2013, elle faisait partie d’un groupe mis sur pied en support à la Charte des valeurs québécoises proposée par le Parti québécois. Certains croient même que Julie Snyder était l’instigatrice du mouvement communément appelée «les Janettes».
Mme Snyder a moins eu de succès cette fois, cependant.
Depuis que son conjoint est devenu député et qu’il s’est lancé dans la course à la chefferie (qu’il a remportée), l’animatrice s’affirme de plus en plus comme militante du Parti québécois. On l’a vu faire campagne dans la circonscription de Chauveau lors de la récente élection partielle.
Par l’entremise des médias sociaux à son nom (Facebook ou Twitter, par exemple), une quantité importante de messages font la promotion du PQ ou du chef et ce, de plus en plus souvent (1, 2, 3, 4, 5). Le «canal Julie» relaye de manière plutôt systématique les messages du compte Twitter de son conjoint Pierre Karl Péladeau…
Tout ce militantisme ne pose aucun problème.
Mme Snyder est une excellente porte-parole et qu’elle accepte de s’investir dans la politique partisane l’honore.
Cela dit, l’abondance de ses communications politiques ne signifie pas que tout ce qu’elle véhicule ait un lien direct avec la politique. L’annonce de son mariage de cet été par exemple (et tout le bruit autour), a des répercussions politiques, mais touche aussi au domaine de sa vie privée.
Quand Julie Snyder a défendu son conjoint le soir où Mitch Garber a cassé du sucre sur le dos de PKP dans une entrevue à Tout le monde en parle en mars dernier, on peut dire par contre qu’elle faisait de la politique.
Tout ce long préambule pour en revenir aux déclarations d’hier.
Quand Julie Snyder exprime son désir d’être considérée avant tout comme une femme d’affaires, elle passe pour défendre ses intérêts professionnels et personnels.
Mais peut-on vraiment faire abstraction du fait qu’elle soit devenue une militante péquiste de plus en plus active sans compter son statut de «conjointe du chef» ?
Quand Julie Snyder affirme que c’est «sa situation conjugale qui empêche les Productions J d’avoir les crédits d’impôt pour la production télévisuelle», elle tente de défendre des intérêts professionnels, bien entendu. Certains lui répondent que Productions J pourrait «diversifier» ses clients, pour que «plus de 50 % du total de ses coûts de production de ses projets impliquent une diffusion ailleurs que chez TVA».
À ce moment, le débat reste assez proche du volet professionnel de la vie de Mme Snyder, j’imagine.
Mais quand elle se dit «victime d’une décision fiscale du gouvernement Couillard», elle s’approche beaucoup du domaine politique.
Quand elle omet de dire que l’intervention du gouvernement actuel a tout simplement ramené les règles du jeu à celles qui prévalaient avant l’intervention récente de Mme Marois, elle fait de la politique.
Les larmes, le pathos et le fait d’invoquer la «discrimination» et même du «sexisme» ne changent rien au fait que les déclarations doivent être interprétées dans le contexte politique dans lequel Mme Snyder a choisi d’évoluer.
On ne peut passer sous silence le fait que depuis 24 heures, une grande proportion des messages d’appui à Mme Snyder viennent de militants du PQ. Cela contribue à donner une couleur politique à «l’affaire Snyder».
Les récriminations de Julie Snyder sont consécutives à une décision politique de corriger une situation créée par Nicolas Marceau qui, «peu avant la dernière campagne électorale» en tant que ministre péquiste des Finances, avait «changé les règles d’admissibilité, permettant à Productions J de se qualifier pour le crédit d’impôt. Une modification faite contre l’avis des fonctionnaires du ministère de la Culture qui parlaient des impacts néfastes pour l’ensemble de l’industrie de production audiovisuelle indépendante d’un tel changement» (source).
Julie Snyder fait plus souvent qu’autrement de la politique et elle se dit victime d’une décision politique.
Toute cette situation demeurera politique.
Ajout : Informations supplémentaires sur le fond et opinion de Nathalie Petrowsky.
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