Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section du blogue des «spin doctors».
Ai-je besoin de vous convaincre que la période que nous traversons est empreinte d’une forte dose de cynisme qui affecte notre capacité à imaginer le jour où il sera possible d’avoir une prise sur l’immobilisme politique ?
J’ai plusieurs exemples en tête.
Protéger les acquis de l’industrie du taxi
Comment qualifier l’acharnement du protectionnisme économique actuel dans sa lutte contre la montée de l’économie collaborative ? Alors que la plateforme Uber serait parfaitement capable d’intégrer ceux qui pratiquent le métier de chauffeur de taxi, on tente de faire peur à tous ceux qui osent penser en dehors de la boîte.
Revenu Québec, le ministre des Transports, le maire de Montréal et le Bureau des taxis font actuellement une belle démonstration d’immobilisme politique. Perquisition médiatisée à outrance, saisies de véhicules devant les caméras, conférences de presse où le ton est apocalyptique… tout pour nous faire craindre le pire. Il ne manque que le goudron et les plumes.
Je n’en veux pas aux chauffeurs de taxi qui ont payé des prix de fou pour pouvoir exercer un métier exigeant. Le sentiment d’injustice qui monte est tout à fait légitime.
Je dis seulement que les politiques qui visent à protéger le métier plutôt que le consommateur constituent un carburant parmi les plus forts du cynisme dont je parlais en début de chronique.
Et si le problème que constitue un service plus rapide et plus efficace à meilleur coût cessait de déranger ceux qui gouvernent et leur donnait le réflexe de questionner leur réglementation du siècle précédent ?
Mais non… c’est plus facile de faire peur au monde.
(Ajout: Uber s’enracine en France malgré les polémiques)
La période de questions à l’Assemblée nationale
En 2008, Jean-Pierre Charbonneau (ex-député péquiste et ancien président de l’Assemblée nationale) avait des mots très durs pour ce moment très médiatisé de la vie parlementaire de nos élus. Elle «n’est pas ce qu’elle prétend être» disait-il.
La Coalition Avenir Québec a récemment proposé dans un document de consultation destiné à ses membres plusieurs changements pour que le cirque/théâtre actuel fasse place à quelque chose qui pourrait ressembler à une période de réponses. François Legault en a même profité en présentant ces idées pour plaider en faveur d’un scrutin proportionnel mixte.
La réaction de certains observateurs est franchement enrageante.
L’entourage du premier ministre croit que les propositions de la CAQ sont le reflet de la peur qu’ils ont de l’arrivée de Pierre Karl Péladeau à la tête du PQ (source) et d’autres insinuent que c’est parce que la CAQ serait «incapable de prendre le pouvoir de façon majoritaire dans le système actuel» qu’elle agit ainsi (source).
Heureusement que Jean-Pierre Charbonneau persiste et signe… parce que le Parti Québécois lui, se tient bien silencieux.
Il faut croire que la situation actuelle l’arrange bien.
Sur la planète éducation
Je ne vous reparlerai pas des fouilles à nu, j’ai tout dit ce que j’avais sur le coeur dans un récent billet sur mon blogue personnel. Je vais par contre démontrer tout le cynisme qui entoure les récentes décisions à la Commission scolaire de Montréal (CSDM).
Le mois d’avril 2015 a été très intense pour la présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon. La turbulence tourne autour d’un rapport de vérification indépendant demandé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) le 11 décembre dernier.
À l’automne 2014, Mme Harel Bourdon et le conseil des commissaires de la CSDM refusaient d’adopter le plan de résorption du déficit accumulé fixé par le gouvernement. C’est dans ce contexte que l’expertise de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) a été demandée. En 2011, une autre firme (PricewaterhouseCoopers – PwC) était également intervenue pour conseiller la CSDM qui ne cesse d’accumuler les déficits depuis 2008 (118,6 millions $ au total selon ce document).
La CSDM est en sérieuses difficultés financières, c’est de notoriété publique.
Yves Bolduc semblait avoir privilégié la piste du redécoupage pour attaquer la situation. La CSDM s’y est toujours opposée.
C’est une lettre envoyée par Mme Harel Bourdon aux parents des 112 000 élèves qui fréquentent les écoles de la CSDM à la fin d’avril qui a réellement mis le feu aux poudres. La présidente impute aux compressions du gouvernement sa mauvaise gestion et prévient que les sept mesures envisagées vont faire très mal. Bryan Myles dans un billet à l’Actualité affirme que «la lettre est trompeuse à plus d’un égard».
Elle a été interprétée par le ministre de l’Éducation François Blais comme une provocation, d’autant que le rapport RCGT s’est avéré très critique envers le type de gestion de la CSDM…
«La gouvernance à la CSDM est caractérisée par une forte présence du conseil des commissaires dans la gestion des affaires courantes. Les rôles et responsabilités sont flous, ce qui ralentit le processus décisionnel et entrave la gestion courante.»
Continuant de s’appuyer sur le rapport RCGT, le ministre répète que «la CSDM est en mesure de respecter l’effort budgétaire additionnel de 4,3 M$ qui lui est exigé par le MELS».
Le 29 avril, le ministre est à bout de patience et menace la CSDM de la placer sous tutelle. Il dit s’appuyer sur le rapport qui est l’objet de fuite à ce moment pour justifier son approche. En gros, il argumente que «ce qu’on annonce est tout à fait contraire au type de propositions avancées dans le rapport RCGT» (source).
Les menaces du ministre pèsent lourds et la CSDM émet rapidement un communiqué dans lequel elle assure «prendre en compte les recommandations du rapport de vérification», ce qui est interprété par François Blais comme un revirement.
Bref – et c’est là où le cynisme prend tout son sens – le rapport RCGT, la présidente et le ministre finissent par s’entendre sur le fait qu’à la CSDM, l’équilibre budgétaire passe par des coupures qui touchent les services aux élèves.
J’en veux pour preuve les pages 27, 28 et 29 du rapport.
Tous ces simagrées pour faire passer l’odieux: il y a moins d’argent pour répondre aux besoin criants des élèves de la CSDM.
C’est ici qu’arrive la chronique de Patrick Lagacé.
«Si l’éducation était une priorité, nous serions furieux depuis longtemps devant les moyens souvent faméliques qui sont mis à la disposition des écoles.»
La période que nous traversons est empreinte d’une si forte dose de cynisme qu’on réussit à force de tour de passe-passe politique à nous faire croire que personne n’est responsable du fait que 175 postes dans les services directs aux élèves des écoles de la CSDM seront coupés, dont plusieurs psychoéducateurs, des techniciens en loisir et des employés de cafétéria.
D’affrontement stérile en affrontement stérile… notre responsabilité collective est de plus en plus de s’attaquer au cynisme ambiant, ne serait-ce que pour s’assurer qu’on s’occupe réellement des besoins des enfants.
Me semble.
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