Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
L’entente entre Quebecor et Renaud-Bray à propos des actifs du Groupe Archambault permet de croire à un effort louable pour se positionner contre les avancées d’Amazon dans le marché du livre au Québec. Pourtant, les réactions de l’industrie ont été plus prudentes qu’enthousiastes.
Il faut dire que le président de Renaud-Bray arrive souvent là où on ne l’attend pas.
Dans la période où l’industrie réclamait à l’Assemblée nationale une règlementation sur le prix des livres neufs, imprimés ou numériques, Blaise Renaud était contre. Celui à qui on appose parfois le titre de « libraire rebelle » ne craint pas de déranger l’ordre établi. Un « petit PKP du livre », écrivait Noémi Mercier à l’automne 2014 !
Le différend commercial entre Renaud-Bray et Diffusion Dimédia dure depuis plus d’un an et il fait jaser… (Ajout: Le différend serait maintenant réglé)
On comprendra donc que l’annonce de l’entente a généré plusieurs réactions. De Amir Khadir en passant par l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), il y a aussi mon collègue Mathieu Bock-Côté qui fait partie de ceux qui ne peuvent plus vendre leurs livres chez Renaud-Bray à cause du différend.
J’ai bien aimé la réaction de Jacques Nantel et de Jean-François Renaud qui se sont concentrés sur les actions à prendre pour «se positionner face à des concurrents de plus en plus menaçants comme Amazon». Le professeur titulaire de HEC Montréal fait l’hypothèse d’une nécessaire consolidation et l’associé-fondateur d’Aviso évoque le défi de rendre le livre numérique viable et rentable.
Au moment où une enquête sur les ventes québécoises de livres numériques de l’Institut de la statistique du Québec révèle que «les entrepôts et librairies numériques du Québec ont vendu 506 000 livrels, pour une valeur de 7M$», il convient de dire qu’il y a beaucoup d’efforts à faire pour rattraper notre retard sur d’autres pays dans le développement du marché numérique (4% au Québec, 15% dans le reste du Canada et entre 20% et 25% aux États-Unis).
L’Observatoire de la culture et des communications du Québec à l’origine de l’enquête parle d’un marché du livrel comme étant «en émergence» au Québec, «7 M$ de ventes dans un marché de plusieurs centaines de millions n’est pas énorme». Il y a plusieurs enjeux à considérer – entre autres avec l’écosystème des librairies indépendantes – mais il me semble qu’on ne devrait pas hésiter à saluer le fait que Renaud-Bray veuille lutter contre l’envahissement du géant américain Amazon dans le marché québécois.
Chantal Guy de La Presse+ écrit ce matin que plusieurs écrivains et éditeurs sont frileux de commenter publiquement «la possible acquisition des magasins Archambault par la chaîne Renaud-Bray». Elle rapporte tout de même le lancement d’une pétition citoyenne «pour faire annuler cette vente» qui «comptait hier 1250 signatures».
Il semble que certains soient plus préoccupés par l’incapacité de « contrôler » Blaise Renaud que par la concurrence d’Amazon.
Si je partage sans réserve l’opinion que «les petits joueurs de l’édition (…) doivent demeurer sur les rayons (…) pour que le livre reste, dans toute sa diversité, au centre de nos vies», je suis quand même un peu surpris de l’endroit où on met ses priorités chez certains intervenants du lobby du livre.
Si Blaise Renaud doit préciser «sa vision de la transaction», l’industrie doit cesser de mettre toutes ses billes dans les mécanismes de protection et se tourner vers le développement du marché numérique «en émergence» au Québec.
Sans balayer du revers de la main les inquiétudes du milieu du livre, je préfère l’audace des entrepreneurs qui veulent affronter le géant.
Longue vie à Renaud-Bray !
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