Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section blogue.
Trois visions différentes de l’éducation en provenance de trois espaces francophones souvent confrontés aux mêmes défis.
Je suis revenu d’une mission en Suisse avec une meilleure connaissance du système d’éducation de nos cousins Helvètes. Ça ne fait pas de moi un expert en systèmes d’éducation francophone, mais quelques différences sautent aux yeux et je prends l’initiative de les nommer pour mieux en identifier nos défis communs.
Avant de distinguer parmi six de ces différences entre le Québec, la France et la Suisse, disons d’abord que les professeurs d’université en Suisse sont bien mieux payés, les universités sont beaucoup plus ouvertes sur le monde et elles sont gratuites.
Pour mieux connaître ce pays de huit millions de population (pas tous francophones, on s’entend) d’un point de vue éducatif et démocratique, je recommande le visionnement de cette vidéo, un reportage de France2 qui date de quelques années. Très instructif…
La formation professionnelle: pour les élèves talentueux ou une voie de garage ?
Vraiment sur ce point, pas de comparaison possible. La Suisse possède une longueur d’avance. Si ce pays a un taux de chômage parmi les plus bas des pays de l’OCDE, c’est en grande partie grâce à son approche en enseignement professionnel qui permet une formation hybride, à l’école et en entreprise, accessible dès l’âge de quinze ans.
Là-bas, la question se pose: « Apprentissage ou maturité ?». Ce graphique illustrant le système d’éducation Suisse permet d’en comprendre un peu mieux le sens. La « maturité » conduit vers les études supérieures et « l’apprentissage », vers l’emploi spécialisé. Ce choix n’est pas irrémédiable.
Au Québec et en France où on n’aime pas se l’avouer, la culture de formation pousse le plus de monde possible vers les études supérieures. Lorsqu’on va en formation professionnelle, c’est souvent parce qu’on se résigne.
Voilà une mentalité au Québec et en France qu’il faudrait casser !
Des élèves qui en savent un peu plus sur leurs enseignants
J’ai été fasciné pendant mon séjour en Suisse et en France de la différence de perspective relationnelle entre les élèves et leurs enseignants. Sur ce sujet, c’est la France qui est isolée…
Les enseignants québécois et suisses se laissent connaître de leurs élèves. Une certaine intimité se développe et tout en évitant une familiarité contre-intuitive, ces enseignants développent des rapports basés sur la confiance envers leurs élèves.
J’ai participé en France (au retour de mon voyage en Suisse) à une activité initiée par Apprendre au 21ème siècle (un groupe dont « l’ambition de ses fondateurs [est] de changer l’éducation en France »).
100 idées d’élèves pour changer l’école rassemblait des lycéens qui, regroupés en ateliers, échangeaient sur des pistes constructives pour améliorer l’école française. J’ai été présent au moment où des représentants de ces élèves venaient tour à tour partager leurs conclusions.
Une d’elles m’a confirmé ce que j’avais entendu dire par des enseignants français : moins on en dit sur qui on est, mieux c’est!
Il y aurait même un mouvement d’enseignants en France qui croient qu’on ne devrait pas dévoiler son identité aux élèves, voire son nom.
Judith Grumbach (réalisatrice du documentaire Une idée folle) était aussi sur place et elle a noté cette proposition singulière: « On aimerait connaître nos profs, leur famille. Eux, ils voient nos parents, pourquoi nous on ne sait rien d’eux ? » (source).
Bref, l’éducation en France qui exige beaucoup plus qu’en Suisse et qu’au Québec que la connaissance passe d’abord par l’enseignant avant d’être transmise aux élèves voudrait dépersonnaliser la transmission des savoirs. Il s’agit probablement d’un trait culturel qui situe le contexte de l’enseignement en France.
Pour ce qui est du Québec, je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais notre culture institutionnelle a tendance à valoriser le fait que les enseignants se présentent personnellement aux élèves. Certains vont même jusqu’à accepter « d’être amis Facebook » avec leurs élèves, ou encore vont jusqu’à donner aux élèves ou à leurs parents leur numéro de téléphone à la maison.
Dans ces cas, on parle de deux cultures aux antipodes.
Une élève française a poussé le bouchon encore plus loin à la fin de la restitution en parlant des valeurs fondatrices de la République : « On nous parle tout le temps de la devise Liberté Égalité Fraternité, mais elle ne s’applique pas à l’école. Nous on a pas les mêmes droits que les profs. On propose de rédiger une charte avec les professeurs dans laquelle seraient inscrits les droits et les devoirs de chacun ».
Je lisais ce texte publié cette semaine au Café pédagogique français, « La confiance, un ingrédient indispensable à l’éducation ». Apprendre à mieux se connaitre et se respecter, c’est d’abord apprendre à se faire confiance…
Le rôle des collectivités dans l’organisation des services éducatifs
Au Québec, les villes et les régions ont bien peu à voir en éducation. Il y a bien ici et là certaines ententes, mais généralement, les collectivités ne s’occupent pas d’éducation. Ce n’est pas de leur compétence. La grande majorité des fonds nécessaires à l’éducation nationale vient de l’État.
En France et en Suisse, le salaire des enseignants (dans les réseaux privés ou public) vient de l’État, mais ce sont les collectivités qui pourvoient au reste, à peu de choses près. Les cantons et les communes (Suisse) ou les communes, les départements et les régions (France) jouent un rôle important et déterminant dans l’organisation des services éducatifs.
Par l’existence des commissions scolaires (au nombre de 72) pour l’éducation dans le réseau public, il y a bien une dimension territoriale dans l’organisation des services au Québec, mais on ne perçoit pas autant cette décentralisation administrative bien connue en Suisse, en particulier. D’ailleurs, un peu comme pour ce qui est de la fédération canadienne, il n’y a pas de ministre de l’éducation au fédéral en Suisse, où la responsabilité de l’éducation est une compétence exclusivement cantonale. « L’État fédéral n’intervient que dans le domaine de la fixation des programmes de la formation professionnelle après concertation avec les entreprises (source: « Un pays, 26 régimes scolaires »).
Cette organisation favorise en Suisse une certaine décentralisation, bien plus forte qu’en France. Pour ce qui est du Québec, on a créé 72 entités qui s’apparentent à des gouvernements dans l’État.
Ceux qui me lisent régulièrement savent ce que j’en pense…
Pas étonnant qu’il y ait beaucoup de bureaucratie en éducation au Québec et en France, beaucoup plus qu’en Suisse.
Vers des établissements scolaires beaucoup plus autonomes
La chose était frappante dans l’environnement du Gymnase Intercantonal de la Broye (GYB) qui était au centre de notre séjour en Suisse: l’autonomie de l’établissement se compare beaucoup à celle des établissements privés du Québec.
Le directeur Thierry Maire en est le vrai patron et pourtant, le GYB est une école publique.
Les patrons du directeur qui a la responsabilité d’engager lui-même le personnel forment une sorte de conseil d’administration. Le lien d’emploi de tout le personnel (dont les enseignants) est avec l’institution, le GYB.
Ça change la donne dans la conduite du changement dans cet établissement, beaucoup plus libre d’établir des partenariats avec d’autres institutions dont l’Office du livre de Fribourg (OLF) qui supporte le GYB dans le déploiement d’un espace de travail et d’apprentissage numérique. D’ailleurs, la vision de l’OLF est tout à fait originale, elle qui a choisi dans son histoire de moins écouter les éditeurs scolaires que le besoin des établissements, dont ceux des élèves et des enseignants. Par son offre « Schoolbag », l’OLF concrétise cette vision que le futur de l’enseignement lui apparaît comme étant*:
- Personnalisé
- Digital
- Social et connecté
- Ouvert
- Simple
* Source: diapositives de la présentation de Nicolas Moser, Responsable Business Development de l’OLF.
Je ne m’étendrai pas outre mesure sur le manque d’autonomie des écoles publiques au Québec, j’écris sur le sujet à chaque semaine au Journal.
Même en France où le sujet est presque tabou, il commence à y avoir une ouverture pour donner plus d’autonomie aux milieux locaux puisque les exemples sont nombreux de pays qui obtiennent du succès en éducation avec ce genre de politique.
La montée en puissance du phénomène des écoles autonomes trouve en Suisse beaucoup d’écho, tout comme en Finlande et ailleurs en Europe.
Le Québec peut faire beaucoup mieux en ce sens et la France a énormément à accomplir, elle dont les parents se tournent encore beaucoup, comme au Québec, vers les établissements privés pour l’éducation de leurs enfants.
À noter qu’en Suisse, l’enseignement privé est plutôt marginal.
Des établissements publics autonomes seraient-ils l’antidote « au devoir » de recourir au privé en éducation pour mieux répondre aux besoins des parents dans l’espace francophone ?
La question se pose.
Apportez Votre Appareil Numérique (AVAN)
Le virage numérique en éducation se vit différemment dans nos systèmes d’éducation, en France, en Suisse et au Québec. Nous avons eu plusieurs occasions d’en discuter puisque les participants à la mission FuturEduc provenaient d’horizons divers.
Au Québec, on a beaucoup eu tendance à investir dans la technologie et la connectivité, espérant qu’en équipant les élèves, les enseignants et les écoles, tant sur le plan de la largeur de la bande passante que des ordinateurs ou des tableaux blancs interactifs, les usages suivraient. Les résultats sont mitigés, il faut bien l’admettre.
En France, on dispose d’un plan numérique bien étoffé. Le Président François Hollande est allé jusque à promettre les outils numériques pour chaque élève, de la formation pour les enseignants et l’apprentissage du code informatique dans le programme éducatif. Les résultats sont mitigés, il faut bien l’admettre.
En Suisse, si certains usages se sont développés, les infrastructures en terme de réseaux, de capacité de la bande passante et de nombre suffisant de « machines » sont déficientes. Les résultats sont mitigés, il faut bien l’admettre.
Sur les trois territoires francophones, les familles sont mieux équipés, généralement, que les institutions scolaires.
La question de la contribution des familles au virage numérique dans les écoles par l’entremise de programmes du genre « Bring Your Own Device » (BYOD) préoccupe les dirigeants scolaires, autant en France, qu’en Suisse, qu’au Québec et au Canada. Les États ne peuvent plus continuer de soutenir l’apport en capitaux nécessaire pour renouveler les infrastructures. L’accès au très-haut débit Internet devient la priorité et la résolution d’une certaine fracture numérique demeure aussi très important.
L’expérience du GYB qui a fait rapidement fondre son parc informatique de 800 ordinateurs à moins d’une centaine qui demeure la propriété de l’institution est parlante sur ce point puisque le virage vers la philosophie BYOD / AVAN a permis d’économiser beaucoup de sous. En maintenant les budgets, l’institution a pu investir ailleurs de manière beaucoup plus efficiente.
Ainsi les francs suisse, les euros et les dollars canadiens pourraient être mieux dépensés.
Cette question de l’accès aux outils nécessaires pour prendre le virage numérique tout en développant les usages appropriés pour mieux apprendre semble passer par une utilisation plus marquée des initiatives « à la BYOD / AVAN ».
Les enjeux d’un virage numérique réussi semblent devenir moins liés à la techno qu’à la mise en réseaux des personnes.
Qu’on se le dise…
La différenciation pédagogique
En France, on dirait parfois que ce thème est nouveau. Au Québec et en Suisse, il mobilise la formation continue depuis quelques années.
On peut se rendre compte de l’importance relative du débat sur ces enjeux qui « demandent aux enseignants, depuis des années, de prendre en compte les différences entre les élèves et d’adapter leurs pratiques à leurs rythmes d’acquisition des connaissances » par les façons dont on traite du phénomène dans la littérature pédagogique de chaque territoire.
En France… « A quoi sert la différenciation pédagogique ? » (2016).
Au Québec / Canada… « L’incidence de la différenciation sur l’évaluation des apprentissages » (2013).
En Suisse… « Différenciation de l’enseignement : résistances, deuils et paradoxes » (1992).
Si la France, la Suisse et le Québec ne sont pas entrés au même moment dans le débat sur l’utilité de différencier sa pédagogie dans une même classe pour favoriser la réussite éducative de tous ses élèves, l’équation reste à résoudre pour tous les enseignants de ces espaces francophones.
Pour finir – hors catégorie – il y a plusieurs choses en commun entre les élèves de la Suisse, de la France et du Québec, dont… quand on les laisse parler, ils défendent l’école comme institution, mais ils veulent des changements dans la classe.
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