J’écrivais hier dans ce dossier que j’espérais un débat pour que cet Institut national d’excellence constitue un pas en avant vers de meilleures pratiques contextualisées en éducation plutôt qu’une tentative d’uniformiser à partir d’expérimentations qui s’apparentent à des conditions de laboratoire.
Je lisais ce matin sur le sujet des « données probantes » et j’apprenais que ce concept a « d’abord été adopté en médecine, puis par les autres sciences de la santé » (source). Bon point, mais ça ne règle pas tout.
Poursuivant l’objectif de favoriser des échanges de points de vue, je publie intégralement un texte reçu de Vincent Tanguay, un directeur d’école qu’il m’est arrivé de côtoyer à l’occasion et pour qui j’éprouve beaucoup de respect. Qui sait si demain, je pourrais publier la vision de d’autres intervenants ? On m’invite d’ailleurs sur Facebook à expliquer davantage ma propre vision. Je me laisserai peut-être convaincre…
Le pari risqué du ministre de l’Éducation
Le ministre de l’Éducation a présenté en juillet dernier sa Politique de la réussite éducative. Deux actions prioritaires sont retenues et connues à ce jour. L’une d’elles est de mettre en place un Institut national d’excellence en éducation qui s’appuierait sur des données dites « probantes », comme s’il s’agissait de sortir de son chapeau des pilules de la réussite qui ne seraient pas d’ailleurs connues.
En lisant ce qui s’écrit sur le sujet depuis le lancement de cette idée, force est de reconnaître que le ministre a ouvert une boîte de pandores. Tant pour la création du dit « institut » en divisant la « fratrie » des chercheurs qui elle semble allumer le feu de la « confrérie » de la profession enseignante qui ne veut pas, à juste titre, se faire imposer des pratiques.
Pour parodier un célèbre comptable québécois… « En a t-on vraiment besoin ? »
Quels problèmes veut-on régler, si tant est qu’on les ait identifiés et que les réponses ne soient pas déjà logées quelque part dans les savoirs dits « savants » et dans les savoirs d’expérience trop souvent négligés ?
Si l’objectif est de renforcer, voire structurer la recherche dans le secteur de l’éducation et en particulier en ce qui a trait à la réussite éducative, pourquoi ne pas soutenir davantage la recherche et particulièrement la recherche collaborative en réservant un fonds spécial de recherche en éducation, incluant une partie significative pour la recherche interdisciplinaire.
Je prends sur moi de proposer deux avenues.
La première avenue, convier les facultés de sciences de l’Éducation à revoir le programme de formation de base des futurs enseignants afin de les préparer aux réalités du XXIe siècle. N’est-ce pas justement aux chercheurs de proposer de nouvelles avenues de la formation ? Ces chercheurs sont eux-mêmes sur place pour initier le changement, en répondant à la question : comment mettre cette formation au diapason de la réalité d’aujourd’hui ? Il presse de regarder de près ce qui se passe en terme de transformations dans tous les domaines par l’automatisation et l’intelligence artificielle ; ce que l’on appelle le 4.0. C’est dans cet univers qu’interviendront les prochains enseignants. Pour qui suit l’actualité, il est évident que ces enseignants seront plongés dans un tout autre monde. Et leurs élèves alors ? Pourtant, selon les experts dans le domaine du numérique, s’il est une profession qui n’est pas à risque, n’est-ce pas la profession enseignante ? C’est une profession d’avenir, parce qu’apprendre implique des relations interpersonnelles et que les robots, fussent-ils devenus intelligents, ne remplaceront jamais l’humain avec ses émotions. Pourquoi ne pas y investir pour que la qualité soit toujours au rendez-vous ?
Comme on a tendance à reproduire les environnements dans lesquels on a été plongé, il tarde de mettre de l’avant des pratiques de pédagogie universitaire du 21e siècle. Est-ce que les professeurs-chercheurs ont ajusté leur pratique professionnelle en formation des maîtres, où sont-ils encore majoritairement dans le paradigme du « Fais ce que je dis et non pas ce que je fais » ?
Certains adoptent des pratiques novatrices, mais ce sont des initiatives individuelles.
Il ne suffit pas de parler de ce que dit la recherche. Les pratiques des professeurs dans les cours de formation des maîtres doivent en être imprégnées. Voilà une occasion de prêcher par l’exemple; ce qui pourrait être inspirant pour la pratique des futurs enseignants et de ceux actuellement en exercice.
La deuxième avenue, améliorer significativement les conditions d’emplois des enseignants pour que la profession soit attrayante. Apporter aux enseignants les appuis nécessaires à leur pratique professionnelle et à l’amélioration continue de celle-ci. Leur donner de l’air pour qu’ils continuent de développer leurs compétences.
Plutôt que de déplacer des deniers publics vers une autre structure qui coûtera encore cher à maintenir et qui suscitera davantage la division que la coopération, pourquoi ne pas orienter des fonds de recherche collaborative sur la réussite scolaire. De plus, il faut prévoir des fonds pour appuyer le transfert des connaissances qui dépasse la diffusion et qui permet l’enrichissement par des projets d’expérimentation et de développement qui s’appuient à la fois sur des savoirs d’expérience et des savoirs dits « savants ». Les sommes allouées par le Ministère pour se maintenir à jour et échanger autour des pratiques inspirantes sont évaluées approximativement à une journée/année/enseignant pour la suppléance. Ce n’est pas ainsi qu’on peut espérer que les enseignants aient la motivation pour parfaire leur pratique. Et, à ce chapitre, un Institut, fut-ce t-il « d’excellence » n’y pourra grand chose. Ce ne sera qu’une occasion de plus de se déchirer entre chercheurs et… sur le dos des praticiens.
Le Québec actuel n’a que faire des propositions qui divisent les acteurs, soit les chercheurs et les enseignants. L’argent étant rare, notamment en éducation, il faut faire bon usage des sommes disponibles et l’économie d’un institut dit d’excellence. Enfin, investir là où ça compte.
Vincent Tanguay
Québec