On a tous le même âge mais, pas en même temps

Voici le texte dont je parlais dans le document précédent…
On a tous le même âge mais, pas en même temps
« Notre génération a besoin de miracle(2) »
Il est deux heures du matin. J’ai lu votre texte jeudi matin Wajdi Mouawad, et depuis, je le ressens comme un cri qui mérite un écho. Aux petites heures de ce samedi, je saisi la perche et je fais « du pouce » sur votre proposŠ
J’appartiens à la génération qui vous précède du bas de mes quarante ans (je ne peux pas dire du haut) qui viennent de sonner en cette fin de septembre. Je vous dis d’entrée de jeu que j’épouse l’idée que la conscience de notre mort pourrait nous ouvrir un peu l’esprit. Un esprit, une morale qui dort doucement, bercé par l’engourdissement de ces années à regarder aller nos « babyboomers » qui comptent leurs sous en écoutant les nouvelles.
Il y a dix ans, j’avais trente ans, et je me laissais convaincre que le monde serait meilleur et qu’il n’y aurait plus de guerre parce que nous étions devenus une société qui a tiré des leçons de la philosophie du « c’est moi qui pisse le plus loin ». L’émergence du « pouvoir rose », la sagesse du « vote gris », l’absence de mobilisation des jeunes plus préoccupés à lutter contre les affres du suicide et du Nintendo qu’à dépasser le narcissisme de la génération X, toute cette « évolution » pour me retrouver à lire l’inspiration d’un gars de trente ans cherchant les successeurs de Sartre, Malraux, Camus et Dumont.
J’ai des nouvelles pour vous et pour ceux de mon âge qui vous ont lus mon « vieux » : nous c’est de Corneau, Bombardier, Morrisson et Fiori qu’on s’est nourris. Et le réveil est des plus brutal Monsieur. C’est l’histoire des vieux qui cadraient avec ce scénario de la guerre et du « m’a t’montrer que chus plus fort que toé ». Je n’ai jamais pensé être au seuil de la porte de cette galère là. Depuis le 11 septembre, j’y suis et, j’ai beau écouté « Le monde est peace » de Marc Déry, la réalité me frappe en pleine face.


Je me souviens d’avoir eu votre âge. Je me disais qu’on avait besoin d’un miracle nous aussi pour défoncer les barricades des « permanences », pour dénoncer la désolation de la famine mondiale, pour surmonter le dégoût du SIDA et surtout, savoir quoi faire avec le « politically correctŠ »
Un miracle ou une crise que je me disais. Je vais vous le dire comme je le pense : fallait être fou pour pas penser que ça allait continuer sur l’air d’aller. Quand tu vois les sommets (de la société des dirigeants), le sommeil (de le société civile) et la complaisance (des « économiques ») tu te dis que ça va « péter » un jour ou l’autre.
Guy Corneau m’avait rassuré : j’avais à faire le deuil de mon père manquant qui m’avait tant manqué. Denise Bombardier m’avait encouragé : notre enfance à l’eau bénite expliquait notre air de mortifié. Jim Morrisson m’avait inspiré que le plaisir de s’user jusqu’à la corde valait bien la peine d’envoyer tout promener et enfin, avec Serge Fiori, « on a mis quelqu’un au monde, y vont peut-être finir par l’écouterŠ »
S’il est tard dans la nuit et que je ressens le besoin de prendre le relais à votre lettre ouverte M. Mouawad, c’est qu’elle m’a touché. À quel endroit ?
C’est dans l’idée que je pourrais entretenir des Kamikazes par mon confortŠ
Je ne peux pas tolérer de voir l’ennui dans les yeux de ma marmaille. Et il m’est arrivé de le voir. Moins aujourd’hui dans ma pratique de directeur d’école mais, je l’ai déjà croisé du regard souvent et il m’a donné des frissons dans le dos. Vous en faites une telle description que je ne peux que le reconnaître, autant derrière les tiroirs-caisses que devant la télévision.
Permettez-moi d’en dire davantage. Je le vois aussi, crayon à la main, dans l’isoloir de la démocratie, bouteille à la main, dans la nuit de la Saint-Jean à longueur d’année et aussi, jeton à la main, au hasard du Casino ou de la loterie-vidéo.
Il est bien vrai que cette honte nationale n’ensevelit avec elle-même que le destin de la personne en question mais elle tue à petit feu et elle mérite d’être reconnue. D’autant plus qu’elle inspire une telle inertie qu’elle motive probablement la ferveur religieuse de fanatiques y voyant une quelconque faiblesse viscérale de nos générations qui se succèdent.
Je vous dis donc que j’ai eu votre âge mais pas en même temps que vous et que je me sens interpellé par la conscience de notre mort et de cet urgent besoin de se parler.
Mon dialogue est probablement fantasque mais combien sincère et libérateur. Notre génération a aussi besoin d’un miracleŠ

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