Enseigner, une profession qui se mérite un ordre professionel ?

J’ai un préjugé favorable envers la création d’un ordre professionnel pour les enseignants. Je le dis d’entrée de jeu (pour ne pas dire « tout de go » !). Maintenant, la question est : « Est-ce que nous méritons cela ? » Récapitulons…
Le Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec (CIPQ) est devenu un ardent promoteur de la création de cet ordre professionnel (le « manifeste » de demande date de novembre 2001). L’organisme regroupe 30 associations professionnelles d’enseignantes et d’enseignants du Québec qui prétend représenter 15 000 membres du préscolaire-primaire jusqu’à l’université. Sa vision est que les enseignants sont favorables au projet de création !
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) s’est clairement positionnée contre le projet (son avis, « Le public est déjà bien protégé« , date de mai 2002). L’organisme regroupe (formule Rand oblige), au secteur éducation, autour de 85 500 membres enseignants (source, ici). Sa vision est que les enseignants sont contre le projet de création !
L’Office des professions a reçu le projet de création et s’est prononcé en 2003. Le verdict: L’OPQ « mise, dans les circonstances actuelles, sur la capacité du système d’éducation d’optimiser l’encadrement de la fonction enseignante et ne recommande pas de créer un ordre professionnel dans ce domaine. » !
Dans son édition du 10 juillet dernier, Le Devoir titre : « Le gouvernement Charest renverse l’avis de l’Office des professions », ce qui signifie que Pierre Reid, le ministre de l’éducation, va aller de l’avant avec la création de l’ordre…
Paraît le 19 juillet dernier, l’éditorial du Journal Les Affaires . Sous la plume (ou le clavier) de Jean-Paul Gagné, les arguments tendent à démontrer que « … tous profiteraient d’un ordre, sauf les syndicats ». « Le papier » vaut la peine d’être lu…
Maintenant, je reviens à ma question : « Est-ce que nous méritons l’ordre professionnel des enseignants ? » Derrière cette question, auquel je ne répondrai pas aujourd’hui, il y a la réflexion suivante autour de l’emploi du mot « mérite » :

  • La confrontation entre le syndicat (CSQ) et le gouvernement sur cette création va entraîner un climat contre-productif; est-ce ce qu’on souhaite pour les deux réseaux d’éducation ?
  • L’avènement de l’ordre va diviser les enseignants eux-mêmes entre eux; a-t-on besoin de cette bisbille dans nos écoles dans une période où on est supposé de s’approprier une réforme importante qui touche les pratiques professionnelles ?
  • Le dossier de l’équité salariale, celui de la négociation de la nouvelle convention et celui de la réforme forment un ensemble bien complexe qui embêtera le plus habile des conciliateurs; veut-on vraiment ajouter ce dossier (la création de l’ordre) sous prétexte que le Parti Libéral a été élu avec cette plate-forme à son programme ?

Aussi,

  • Les enseignants souffrent du manque de reconnaissance professionnel; n’aurions-nous pas besoin d’une nouvelle « donne » pour discuter de l’importance de cette fonction dans notre société ?
  • Les enseignants sont démobilisés autant dans l’action syndicale que dans celle de leurs associations professionnelles (c’est mon point de vue); ne gagnerions-nous pas à vider ce débat autour des moyens de se prendre en mains pour le mieux-être de notre « profession » ?
  • Les intervenants de tout le milieu scolaire en ont assez que le dossier de l’évaluation (des enseignants, des institutions, du système) tourne en rond, socialement (encore ici, c’est ma perception); n’aurions-nous pas raison d’utiliser le dossier de la création d’un ordre professionnel comme levier pour relancer celui de l’évaluation ?

Tant de questions autour du mérite et de l’à-propos de ce que s’apprête à faire le ministre… Épisodiquement, je reviendrai sur ces questions si le contexte continue de s’y prêter; évidemment, je tenterai de contribuer par des réponses; les questions, j’en ai assez posées !!!

Si l’actualité le décide, j’en ferai même une nouvelle catégorie de mon carnet !

N.B. En passant, La Presse a publié, vendredi dernier une texte qui traite de ce sujet : « La controverse règne toujours en Ontario ». J’aimerais bien dénicher l’hyperlien, car il y a une belle démonstration du lien entre l’évaluation et l’ordre, mais pour l’instant, un extrait :

«L’Office des professions du Québec (OPQ) a d’ailleurs tenu compte de l’imbroglio ontarien quand il a d’abord refusé d’appuyer la création d’un ordre professionnel des enseignants de ce côté de la rivière des Outaouais, en février.»

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3 Commentaires
  1. Nathalie, c.o. 19 années Il y a

    D’abord une question : Serait-ce possible d’expliquer le lien entre la notion de « mérite » et les questions que je perçois comme étant du domaine de la « pertinence » (ou de « l’à-propos » comme vous dites)?
    D’après votre formulation, j’avais sous-entendu que vous voyiez l’accès à un ordre professionnel comme étant un privilège que l’on doit mériter et je m’attendais, avec surprise et curiosité, à ce que vos questions mettent en doute le mérite des groupes d’enseignants(es). Y a-t-il une subtilité qui m’aurait échappée?
    Ensuite, j’aimerais vous parler de quelques préoccupations que plusieurs membres de l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (OCCOPPQ) partagent.
    1. La reconnaissance professionnelle
    L’Ordre a le mandat de protéger le public et non ses membres. La reconnaissance professionnelle vient uniquement du « titre réservé » à ceux et celles qui répondent aux conditions d’admission de l’Ordre et qui payent leur cotisation annuelle. Pour les professionnels qui ont des « actes réservés » c’est un moyen d’accéder à certains emplois ou d’obtenir certains contrats. Notre groupe de professionnels étant souvent en compétition avec d’autres groupes de professionnels, la reconnaissance du public, des employeurs potentiels et des compagnies d’assurances est un enjeu important pour nous. Il y a aussi des pratiques non reconnues (pour ne pas dire douteuses) dans le domaine de la gestion de carrière et les gens ne sont pas tous en mesure de bien choisir leur intervenant parce qu’ils ne connaissent pas les compétences des conseillers d’orientation. Les membres ont donc formulé ce besoin de reconnaissance à l’Ordre qui a répondu que la promotion de la profession n’était pas son rôle, car elle a pour mandat, je le répète, de protéger le public et non les membres. On nous a aussi signifié que seule une association professionnelle pouvait assumer la promotion de notre profession. En d’autres mots, il faudrait payer une autre cotisation à une association si on veut vraiment obtenir plus de reconnaissance professionnelle.
    2. La cotisation (près de 500$/année)
    Je vais éviter de trop m’étendre sur ce sujet, mais disons qu’il n’y a pas de norme. Parfois les employeurs payent la cotisation professionnelle des employés, d’autres fois ce sont les employés qui assument ces frais. En général, les membres se disent plus disposés à payer leur cotisation si cela leur proccure des avantages. Dans certains milieux, le titre professionnel est essentiel pour l’embauche, mais il n’est pas toujours exigé après. Il y a aussi des endroits qui vont préférer embaucher des professionnels qui ne portent pas le titre parce que ça leur coûte moins cher. Ça varie aussi d’un secteur de pratique à l’autre (scolaire, employabilité, réhabilitation, communautaire, entreprises, bureaux privés, etc.).
    3. L’évaluation
    Eh oui! Qui dit protection du public, dit évaluation des services et donc des membres. En plus des conditions d’admission bien strictes, l’Ordre compte des inspecteurs qui sélectionnent des membres au hasard chaque année pour vérifier la qualité de leur travail. J’ai deux amies qui ont dû investir plusieurs heures pour répondre à l’enquête d’inspection cette année. L’inspecteur peut aussi venir sur leur lieu de travail pour juger de la qualité des rapports et des règles d’éthiques, notamment concernant la conservation des dossiers sous clé. Il y a de quoi se sentir contrôlé. D’un autre côté, l’Ordre souscrit à une assurance professionnel pour ses membres en cas de problèmes particuliers.
    Bref, il y a plusieurs proffessionnels éligibles à l’Ordre qui choisissent de ne pas être membre parce que cela leur coûte plus cher que cela ne leur rapporte. Après tout, il y a plein de titres non réservés qui peuvent paraître aussi crédibles, comme conseillers en emploi, conseillers en gestion de carrière, conseillers en formation, agents d’emploi, spécialistes en sélection de personnel, etc.
    Il n’y a probablement pas de paralèlles directs entre ces préoccupations et les questions que vous avez soulevées, mais peut-être qu’elles susciteront d’autres réflexions chez les enseignants qui analysent les avantages, les risques et les inconvénients de la création d’un ordre professionnel.

  2. Mario Asselin 19 années Il y a

    D’abord, la question de l’emploi du mot « mérite ». Le sens que je souhaitais lui attribuer en lien avec les trois premiers « picots » serait « de devenir exposé à subir » comme un inconvénient qu’on ne mériterait pas, il me semble. Dans l’autre série de « picots ». le même mot aurait plutôt le sens « d’avantage que nous serions en droit d’obtenir » comme une occasion en or que nous mériterions pour se refaire un nom, une réputation renouvelée…
    Je conviens avec vous que j’ai « semé » cet impression « du privilège qui se mérite »… Le syllogisme aurait été simple et même simpliste, à mon avis, si j’avais poursuivi dans ce sens. Je ne mets pas en doute l’idée que nous serions avantagé d’obtenir cet ordre, mais je pose la question si l’opportunité vaut l’inconvénient, ou encore mieux, la sommes de ces inconvénients, circonstanciels, j’en convient, mais présents tout de même. J’ai besoin d’y penser (et vos questions m’aident en ce sens) avant de « me faire une tête » si le mot « mérite » aura un penchant du côté opportunité ou inconvénient… Beau paradoxe n’est-ce pas ?
    Au sujet des préoccupations de l’OCCOPPQ, elle me paraissent bien légitimes telles que vous les formulez. Elles risquent même de causer des ambivalences à un enseignant peu informé de ce qu’est un ordre professionnel. Je me dis souvent que « l’approche contrôle » est rarement la bonne solution en matière de gestion (les enseignants de l’Institut reconnaîtront « mon discours »). Obliger chacun à devenir membre, l’obliger à subir une évaluation de rendement; il y a sûrement moyen de gérer cela autrement. Je crois que la reconnaissance professionnelle vient en premier de la qualité des services que des membres d’une profession offrent à des gens qui en bénéficient (des clients pour le dire clairement). En protégeant le public (les clients, bénéficiaires, etc.), un ordre professionnel sert bien la cause de la reconnaissance, mieux même, je dirais ! Ensuite, les membres seront incités à adhérer (et à payer leur cotisation). Enfin, le processus de l’évaluation devrait donner de la valeur au travail du professionnel. Cela devrait servir à valoriser et ce devrait être invitant que d’y participer.
    Ce sont les réactions qui me viennent à la lecture de vos commentaires que je salue, d’ailleurs ! Je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais je vois venir les débats et je crois qu’on a avantage à réfléchir tout haut si on veut voir plus clair. Merci de m’y aider !

  3. Nathalie 19 années Il y a

    Merci pour les précisions au sujet de la notion de mérite. Je comprends très bien ce que vous voulez dire.
    Pour ce qui est des préoccupations dont je vous ai fait part, elles ne viennent pas de l’Ordre en tant que tel, mais bien d’un certain nombre de membres ou de personnes éligibles mais volontairement non-membres. Aussi, mon but n’était nullement d’inquiéter les enseignants ambivalents, je ne maîtrise pas assez le dossier sur la création de l’ordre des enseignants pour parler de cette situation précise. Je souhaitais simplement partager nos questionnements, pouvant être circonstentiels eux aussi, afin d’ajouter des éléments de réflexion au débat que vous semblez souhaiter.
    Je tiens aussi à mentionner que mes préoccupations touchaient davantage le rôle de l’Ordre et le contexte professionnel de ses membres (ou aspirant membres) plutôt que la pertinence de l’existance d’un ordre professionnel.
    Je suis aussi d’accord avec le principe que vous énoncez en disant que, normalement, la protection du public peut renforcer la crédibilité professionnelle et donc la reconnaissance. Encore là, le contexte particulier des conseillers d’orientation, i.e. sans acte réservé et en compétition avec d’autres professionnels (surtout dans le secteur des ressources humaines), nous laisse croire que ce principe n’est pas infaillible. Dans le privé, il existe des entreprises et des individus qui sont prêts à investir le temps et l’argent nécessaire pour obtenir des résultats plus significatifs et plus durables.
    Et quand vous dites : « Je crois que la reconnaissance professionnelle vient en premier de la qualité des services que des membres d’une profession offrent à des gens qui en bénéficient ». On ne peut, une fois de plus, qu’être d’accord avec vous. Cependant, et là je sens que cette question pourra intéresser les enseignants, l’ordre devrait bien définir les conditions qui permettent aux membres d’offrir des services de qualité.
    Je pourrais vous parler longtemps de l’écart qu’il y a entre le type d’intervention qu’on nous a enseigné à l’université et le type d’intervention que les c.o. doivent se résigner à faire à cause des contraintes du milieu de travail. Dans les organismes d’Emploi-Québec, les conseillers ont un maximum de rencontres par client ou un nombre X de clients à placer en peu de temps. Quel est le quota d’élèves par conseiller d’orientation dans les écoles (pour ne pas dire dans les commissions scolaires, car il y a parfois un c.o. pour plusieurs écoles)? Les conseillers ne peuvent se pencher que sur les urgences (choix de cours optionels, gestion des cas problème, choix de programme à la fin du secondaire) et il reste trop peu de temps pour planifier des interventions à long terme qui seraient bien plus profitables pour les clients et pas mal plus conformes à ce que nous avons appris. Je pourrais m’étendre davantage sur les contraintes, mais je suis certaine que vous avez déjà compris où je veux en venir. Je vous signale aussi au passage que les contraintes sont particulièrement importantes dans les secteurs du domaine public (éducation, employabilité, réadaptation).
    À mon avis, pour assurer la protection du public, l’Ordre devrait aussi défendre ardamment les conditions qui permettent à ses membres d’offrir des services de qualité. Ainsi, nos représentants de l’Ordre participent aux consultations politiques et tentent de faire cheminer notre vision d’un service de qualité en parlant, évidemment, des avantages à plus long terme pour l’État et la société toute entière.
    Cela fait plusieurs années que notre Ordre travaille à la reconnaissance officielle d’un acte réservé (administration et interprétation de tests psychométriques), mais ce n’est pas encore fait. Il a aussi tenté de faire pression auprès des plus hautes instances pour éviter les coupures dans les services d’orientation. Il y a bien sûr eu l’émergence du concept d’approche orientante, mais, trop souvent, les budgets qui devaient y être consacré ont été détournés sans que l’Ordre ne puisse rien y faire.
    Les pouvoirs de l’Ordre sont limités pour faire évoluer les choses rapidement. Dans certains cas, il s’agit de travail de longue haleine et nous avons espoir que la cause va progresser. Peut-être grâce à l’Ordre, peut-être parce que la population sera plus sensibilisée à ses besoins et que le pouvoir politique l’entendra.
    J’espère que ce commentaire va alimenter des discussions consctructives, car le but est évidemment de trouver un moyen de bien servir la cause des enseignants et des élèves. Je vais suivre ce débat avec intérêt.

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