L’examen sans scolarité

« On va au concert pour entendre les meilleurs interprètes du monde, au musée pour contempler les ¦uvres des plus grands peintres, au cirque pour voir les meilleurs acrobates. L’École, à tous les niveaux, est en crise en grande partie parce qu’elle déroge à la règle universelle du libre accès à ce qu’il y a de meilleur au monde. »
Cette citation tirée de ce document de l’Encyclopédie de l’Agora pose le problème de la médiocrité du contenu des cours universitaires. Pas partout, pas tout le temps, mais certainement trop souvent… Nous sommes en pleine période de Commission parlementaire sur les universités; ce document de Jacques Dufresne tombe à point. Un autre extrait particulièrement évocateur du marasme dans lequel l’université sombre plus souvent qu’autrement en matière de transmission de connaissances :
« C’est le savoir qui importe et non les diverses façons d’y accéder. La situation de monopole dont jouissent les maisons d’enseignement a créé la funeste illusion que l’accès à ces maisons et aux résultats acquis selon leurs règles était plus important que le savoir lui-même. (…) Une seule chose justifie le monopole actuel des universités sur les diplômes : la présence réelle du maître et le dialogue chaleureux qu’il établit avec ses disciples. Encore faut-il qu’il soit un maître et que le dialogue existe réellement. S’il n’est pas un maître et si en plus il n’établit pas de dialogue chaleureux avec ses étudiants, ces derniers auront tout à gagner en choisissant la voie des examens sans scolarité. »
Cette voie me semble effectivement prometteuse. Permettre qu’un étudiant puisse « passer » les examens sans avoir suivi les cours me semble porteur d’une saine émulation. Les cours auraient « le devoir » de devenir signifiants si le fait de ne pas les « suivre » pourrait ne pas « faire la différence ». Trop souvent de toute façon, les programmes comportent des obligations qui deviennent des obstacles à l’apprentissage. Pourquoi ne pas donner aux gens la possibilité d’apprendre ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin, plutôt que de les contraindre à un programme tout fait.
Je sais, ces lignes comportent un caractère un brin subversif, mais il y a beaucoup de domaines qui évoluent et s’ajustent à ce besoin de « sur mesure ». Prenons le domaine de la musique. Trop longtemps, nous avons été contraint à se procurer un disque comportant 12 pistes alors qu’une seule d’entre elles nous intéressait vraiment. Bien avant aujourd’hui, un auteur comme Yvan Illich (Une société sans école, « Deschooling Society, 1971 ») tenait des propos encore plus tranchant invitant la société à se passer d’écoles :
« « Another illusion is that most learning is a result of teaching. Teaching may contribute to certain kinds of learning under certain circumstances. The strongly motivated student faced with the task of learning a new code may benefit greatly from the discipline we now associate mostly with the old-fashioned schoolmaster. But most people acquire most of their insight, knowledge, and skill outside of school – and in school only insofar as school in a few rich countries becomes their place of confinement during an increasing part of their lives. The radical deschooling of society begins, therefore, with the unmasking by cultural revolutionaries of the myth of schooling. It continues with the struggle to liberate other men’s minds from the false ideology of schooling – an ideology which makes domestication by schooling inevitable. In its final and positive stage it is the struggle for the right to educational freedom. »
Une autorité comme Paulo Freire du Brésil faisait apprendre à lire et écrire à des adultes analphabètes en peu de temps, en utilisant les mots d’un problème qui les touchait directement (ex: la gestion d’un puit, des revendications politiques, etc). Avant de commencer l’enseignement, il se renseignait sur de tels problèmes locaux, et enseignait en premier à lire ces mots. (Serait-il l’inventeur de la fameuse tâche authentique ???)
Un être humain apprend davantage dans un contexte signifiant; si ce contexte ne se trouve pas dans une salle de cours d’un établissement universitaire, est-ce à dire qu’il n’y a pas de reconnaissance possible pour les acquis d’une formation plus autodidacte ? Combien connaissons-nous de personnes qui ne se préoccupent que du papier tenant lieu de diplôme en bâclant au plus vite, pour « apprendre véritablement » en parallèle ?
Je ne crois pas qu’il soit question de ces préoccupations au Parlement ces temps-ci. Dommage…

6 Commentaires
  1. ConstellationW3 18 années Il y a

    Dufresne, Illich et Freire…

    Je griffonnais quelques notes de lectures sur mon cybercarnet et cela a fini par prendre l’allure d’un billet. En le relisant, je me disais que le propos aurait mieux cadré chez ConstellationW3. Il peut sûrement cohabiter à deux endroits… L’examen…

  2. Clément Laberge 18 années Il y a

    Illich et Freire sont effectivement de bonnes lectures pour revenir « au fond des choses » en ce qui concerne les rapports entre l’école et l’apprentissage. Un peu trop subversives pour plusieurs, mais combien nécessaire.
    Par ailleurs, je comprends ce que veux dire Jacques Dufresne quand il affirme que « c’est le savoir qui importe et non les diverses façons d’y accéder », mais je trouve l’affirmation ambiguë… parce qu’elle suppose qu’un « savoir » peut exister de lui même, alors que la capacité qu’on a de « mobiliser » ce savoir (dans une réflexion, dans une action) dépend largement de la manière dont on l’a acquise. C’est le fait d’être « en apprentissage » qui importe le plus.
    Évidemment, cet apprentissage peut être, selon les gens ou selon les moments de notre vie, autodidacte, légèrement guidé ou très fortement encadré. Et en ce sens, il est vrai que « ce n’est pas la façon d’y accéder qui compte ».
    Et encore moins le lieu où cet apprentissage se réalise (école, université, bibliothèque, maison, lieu de travail). D’où l’intérêt, justement de réapprendre à concevoir la ville comme une cité éducative. 😉

  3. Ytsejamer 18 années Il y a

    Coup de griffe aux institutions d’enseignement

    Mario, tout de go… donne un coup de griffe qui vaut le détour aux institutions d’enseignement dans son billet « L’examen sans scolarité ». Il enrichit son propos par la citation suivante: « C’est le savoir qui importe et non les diverses façons…

  4. Ytsejamer 18 années Il y a

    Coup de griffe aux institutions d’enseignement

    Mario, tout de go… donne un coup de griffe qui vaut le détour aux institutions d’enseignement dans son billet « L’examen sans scolarité ». Il enrichit son propos par la citation suivante: « C’est le savoir qui importe et non les diverses façons…

  5. Remolino 18 années Il y a

    Dufresne, Illich, Freire, Asselin, Allaire (!)

    Je manque de temps pour commenter même la moitié de mes lectures carnetières en retard, mais je ne voudais pas manque de revenir à ce billet de Mario Asselin sur les manières alternatives d’accéder au savoir (citant notamment Illich et Freire) et sur l…

  6. André Cotte 18 années Il y a

    Une fois le fameux diplôme acquis, on acquiert la liberté de s’instruire comme on le désire.
    Très souvent, la tâche exercée par une personne n’a rien à voir avec sa formation académique.
    C’est le cas de la première génération des TIC. Tous venaient d’horizon divers et souvent très éloigné de la technologie et pourtant ils ont fait carrière avec les TIC.
    C’est mon cas, j’oeuvre depuis 1983 dans le secteur des TIC en éducation et je n’ai pas un seul petit bout de papier qui confirme que j’y connais quelque chose.
    Mais doit-on abolir l’école et l’université pour autant? Je ne le crois pas, on arrive encore à y apprendre à apprendre et à penser.

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