L’école au centre des débats !

La lecture des journaux est de plus en plus longue ces jours-ci. Plusieurs articles traitent d’éducation. Je ne m’en plains pas ! Seulement dans La Presse d’aujourd’hui, pas moins de deux pages sur le conflit qui oppose les étudiants au gouvernement, un texte sur le mandat de grève des professionnels de l’éducation, six lettres aux lecteurs dans la section dialogue qui réagissent aux trois éditoriaux de Katia Gagnon sur l’école publique en comparaison avec le secteur privé et enfin, un texte de fond dans la rubrique « Forum » qui a été écrit par l’illustre Émile Robichaud.

Ce pionnier de la rigueur et de l’humanisme en éducation a travaillé à la commission scolaire de Montréal pendant 34 ans. Il y a entre autres fondé et dirigé pendant 18 ans l’école secondaire Louis-Riel. Les 29,  30 avril et 1er mai 1988, j’avais assisté au colloque « l’Éducation: le temps des solutions » organisé par l’Agora au Centre d’Arts Orford de Magog et M. Robichaud était là, avec toute son équipe de direction. Il m’avait fortement impressionné tout comme Frédéric Back qui avait présenté son film « l’homme qui plantait des arbres » et Allan Bloom qui lui, avait développé la thèse de son livre, « L’âme désarmée ».

M. Robichaud conserve son franc-parler dans le texte d’aujourd’hui comme lors de cette conférence d’alors. Je reproduis donc sous l’hyperlien plus bas « Écoutez les parents » puisqu’aucun lien chez cyberpresse n’en permet la lecture. C’est tout un texte !


Écoutez les parents
Novembre 1972. L’équipe fondatrice de l’école secondaire Louis-Riel, à Montréal, se met à l’oeuvre. Elle rencontre les parents de toutes les écoles « sources », celles dont la future école polyvalente accueillera les élèves. Les parents sont unanimes et formels: « Donnez-nous ce que le privé nous donne et nous enverrons nos enfants chez vous. »

Septembre 1973. Louis-Riel accueille ses premiers élèves. Des élèves qui appartiendront à des groupes stables. Chacun de ces groupes est sous la responsabilité d’un professeur titulaire, dûment préparé pour cette tâche par le Centre de psycho-éducation du Québec.
L’équipe de Louis-Riel créera des groupes de soutien pour les élèves en difficulté, enrichira tous les programmes d’études, mettra en place un système de reconnaissance du mérite des élèves, couronné par les Grands Prix de Louis-Riel.

Quand, après dix-huit ans à sa direction, je quitterai en 1990, elle sera devenue, aux dires mêmes de la commission scolaire, non pas une école pour « élèves enrichis », mais « une école enrichie pour tous les élèves ». Elle refusera à ce moment-là plusieurs centaines d’élèves par année faute de place.

Pourtant un seul critère prévalait pour l’admission des élèves: la proximité géographique.

Pas de concours d’admission basés sur des performances scolaires. Pourtant, on disait de Louis-Riel que c’était « l’école privée du secteur public ».

Les parents étaient satisfaits, les élèves fiers d’appartenir à Louis-Riel et la plus grande partie du personnel heureuse d’y travailler.

Quelles batailles!
Mais quelles batailles il a fallu livrer pour y arriver!

Bataille pour imposer un mode de prise en charge des élèves (les groupes stables) dont « l’organisation » pédagogique officielle ne voulait rien savoir au point qu’il nous a fallu fabriquer nos horaires « à la mitaine » pendant cinq ans.

Bataille avec le syndicat qui a tout fait, avant même l’ouverture de l’école, pour torpiller le navire.

Bataille avec des idéologues et des bureaucrates de tout acabit que notre approche humaniste révulsait.

Nous avons connu les griefs, le Tribunal du travail et même la Cour supérieure pour contester une injonction demandée par des puristes des droits pour nous empêcher de faire respecter les exigences de l’école.

Et voilà bien le drame de l’école publique! Pourtant elle est généreuse l’école publique! Elle accueille tous les enfants qui s’y présentent et fait des prodiges pour les servir le mieux possible. Mais elle souffre de masochisme! Elle s’impose à elle-même des contraintes, des règles insensées. Ce sont la bureaucratie tatillonne, les luttes de pouvoir, les idéologies dépassées qui l’asphyxient. J’ai confié un jour à M. Camille Laurin, alors ministre de l’Éducation, que je passais 80 % de mon temps à défendre contre toutes ces entraves, ce que nous réussissions à bâtir… dans le 20 % restant!

Résultats… ordinaires
Le drame de l’école publique, c’est qu’elle exige que des surfemmes et des surhommes fassent des efforts surhumains pour arriver à des résultats… ordinaires! Cela, les parents s’en sont rendu compte et, quand ils le peuvent, ils choisissent l’école privée. Pas parce qu’elle est extraordinaire: j’ai siégé quatorze ans au conseil d’administration d’une école privée et suis bien placé pour le dire. L’école privée est ordinaire. Mais elle est cohérente, cohésive, et… diversifiée. Les parents ne veulent plus se battre pour obtenir ce qu’ils souhaitent pour leurs enfants.

Tant et aussi longtemps que le secteur public s’empêtrera dans ses chicanes, dans sa bureaucratie, dans ses querelles stériles, les parents continueront à se tourner vers le privé.

Je reste persuadé que si le secteur public offrait aux parents un véritable choix d’écoles, et consacrait toutes ses énergies à épauler les éducateurs de grande qualité qui y oeuvrent, les parents lui feraient confiance.

L’affaire de la concentration musicale de l’école Pierre-Laporte- une école publique- illustre bien le manque de vision du secteur public. Voici une école « hors normes »: un scandale bureaucratique! Normalisons-la, un point c’est tout! Pierre-Laporte, c’est une « locomotive »! Tout autre secteur d’activité que le secteur public d’éducation en ferait une « référence ». Le secteur public, lui, la sabotera.

Voilà ce dont souffre le secteur public. Il ne voit souvent pas plus loin que la prochaine élection. Il n’accepte pas facilement qu’une institution relève la tête et sorte du rang. Il envie le succès du privé au lieu de se demander pourquoi les parents y envoient leurs enfants.

Les écoles privées ont respecté la loi et répondu aux attentes des parents. Le secteur public s’est entêté à offrir aux parents ce dont ils ne voulaient pas. Il voudrait maintenant leur enlever la liberté d’exercer le choix.

Pour renverser la situation, il faudrait que le secteur public écoute un peu plus les parents et les praticiens de l’enseignement et un peu moins les ténors syndicaux, les bureaucrates désincarnés et les théoriciens prétentieux dont la langue de bois et les dogmes fumeux découragent tout dialogue fructueux. Les parents, eux, ont compris, depuis longtemps et ont agi en conséquence.

Émile Robichaud dans La Presse du mardi 29 mars 2005, p. A23

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2 Commentaires
  1. […] eu l’immense privilège de rencontrer Frédéric Back, un week-end de fin avril 1988, à Orford. Je me souviens au moment de lui serrer la main, tellement j’étais ému. Devant […]

  2. […] pas de mains mortes pour décrire ce qui fait la bonne école. Je me souviens avoir conservé la trace de ce texte aux propos très proches de ce qu’il nous avait présenté en 1988. Le pionnier […]

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