En matière de pédagogie, faut-il croire à la supériorité d’une approche sur une autre «dans l’absolu» ? Est-il naïf de croire que la réforme actuellement en cours au Québec en Éducation permet une coexistence pacifique des approches et des différentes techniques ? Est-il possible de démontrer scientifiquement qu’une méthode pédagogique est supérieure à d’autres ?
Je suis tenté d’essayer de répondre par « oui » ou par « non » à ces trois questions. Mais je vais me garder « une p’tite gêne », car je commettrais peut-être une erreur. Depuis plusieurs semaines, certains médias écrits, la liste de diffusion « edu-ressources » et quelques publications Web sont le théâtre d’échanges animés autour de la pertinence des méthodes «privilégiant l’enseignement» versus celles «centrées sur l’apprentissage». Personnellement, j’ai fait écho à ce débat sur mon carnet ici, là et ici.
Ce matin, on peut dire que le débat a repris de plus belle par la parution de ce texte sur le site du Café Pédagogique qui est en quelque sorte une réplique à celui-ci (.pdf). [Ajout de janvier 2010: ce lien brisé peut-il être ce document?] Serge Pouts-Lajus n’y va pas de mains mortes et je suis plutôt de son avis : De deux choses l’une. Ou bien « Follow Through » est ce que nous en disent les chercheurs canadiens et il faut donner à leur contribution la place qu’elle mérite puisque, potentiellement, elle est de nature à mettre un terme à un débat qui déchire le monde de l’éducation depuis plusieurs décennies. Ou bien ce n’est pas le cas, la réalité de Follow Through n’est pas celle qu’ils nous présentent et s’il s’avère qu’ils ont cherché à nous tromper, nous devons leur retirer notre confiance et dénoncer leur man¦uvre. (…) Je voulais en avoir le c¦ur net. C’est fait.
En fin d’après-midi, c’est sur la fameuse liste de diffusion que le débat s’est poursuivi par une courte intervention [ma foi] bien intentionnée de Clément Laberge en réponse à un texte de Normand Péladeau qui faisait suite à celui du Café Pédagogique. Je publie sous l’hyperlien plus bas cette correspondance qui a été suivie d’une autre réponse de M. Péladeau.
Toutes ces réparties m’ayant inspirées les trois questions du début, j’en suis maintenant rendu à me demander si « nos amis », adeptes du paradigme de l’enseignement, sont encore de bonne foi ? Pourtant, je ne suis pas systématiquement contre ce qu’écrit M. Péladeau… (lire ce billet). Dans ses arguments, il y a plusieurs bons points (par exemple, lorsqu’il nomme certains auteurs qui «présentent une vision tout à fait manichéenne des approches pédagogiques»). Mais à quoi bon continuer d’argumenter si on se rend compte que peu de crédit sont accordé aux arguments que nous avançons ?
Alors je m’éxécute dans de réponses courtes aux questions du haut, quitte à me faire traiter de simpliste :
– En matière de pédagogie, faut-il croire à la supériorité d’une approche sur une autre «dans l’absolu» ?
Non dans l’absolu; Oui pour un type d’apprenants en particulier.
– Est-il naïf de croire que la réforme actuellement en cours au Québec en Éducation permet une coexistence pacifique des approches et des différentes techniques ?
Non; ce n’est pas faire preuve de naïveté que de le croire. Plusieurs approches peuvent aisément coexister SI ON S’EN DONNE VRAIMENT LA PEINE, en terme d’ouverture d’esprit et de formation continue…
– Est-il possible de démontrer scientifiquement qu’une méthode pédagogique est supérieure à d’autres ?
Probablement dans un contexte donné, pour un groupe d’apprenants donné, sur une durée de temps donnée, en tenant compte d’un type d’enseignant donné; tellement « donné » que la question deviendra alors : «Pourra-t-on utiliser les résultats de cette [potentielle] étude pour tirer des conclusions générales sur la supériorité d’une approche sur une autre «dans l’absolu» ? Non dans l’absolu; Oui pour un type d’apprenant en particulier…
Et on est reparti de plus belle !
Pendant ce temps-là, on a l’école à faire nous… et on a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.
Je l’ai déjà dit et je le répète : «Je ne doute point de l’utilité des travaux de recherche… surtout quand « les Ph.D » cherchent partout, pas seulement là où ils veulent bien ouvrir la lanterne.»
Normand Péladeau a dit :
Je viens de terminer la lecture de l’article de Serge Pouts-Lajus et je me dois d’intervenir et de corriger certaines affirmations faites par l’auteur. D’une part, il affirme que l’étude de House, Glass et McLean était une étude indépendante mandatée par le gouvernement pour « mettre un terme à la controverse « . Ceci n’est pas exact. Cette contre-expertise au rapport de la firme Abt Associates (la firme qui elle était mandatée par le gouvernement) a été financée par la Fondation Ford, fondation privée et qui a agi de la sorte au nom d’un des commanditaires ayant participé au projet Follow-Through (de mémoire je crois qu’il s’agit du « Bank Street College Model »). Alors, lorsque l’auteur affirme le caractère indépendant de ces chercheurs, on peut fortement en douter.
En parlant de cette étude, l’auteur affirme également « Ils remarquent que la dispersion des performances à l’intérieur des groupes est supérieure à la dispersion entre les groupes, ce qui invalide l’hypothèse du rôle prédominant de la méthode pédagogique sur d’autres facteurs contextuels ».
D’une part, il est important de rappeler que cette constatation de la plus grande variabilité des résultats à l’intérieur des modèles, vient non pas de l’étude de Glass et House, comme semble le sougligne l’auteur, mais du rapport original de Abt Associates (voir volume IV-A, page 135). Fait important à ne pas oublier non plus c’est que cette variabilité n’affecte pas également l’ensemble, des modèles et des domaines de résultats (voir p. 139). Les auteurs du rapport constatent en effet que les modèles basés sur une approche affective et cognitive sont ceux qui démontrent la plus grande instabilité des résultats. Or ces « autres facteurs contextuels » seraient en bonne partie liés à la qualité de l’implantation des modèles, qualité qui n’est pas indépendante des modèles eux-mêmes. Il est donc tout à fait normal que les modèles très structurés comme l’enseignement direct soient plus stables (et plus efficace) et que les modèles moins bien structurés produisent des résultats plus instables et laissant donc plus de place à l’influence des « autres facteurs contextuels ».
D’autre part, comme l’a souligné Steve Bissonnette, il est faux de prétendre que l’on aurait fait tirer à House et Glass des conclusions contraires à ce qu’ils affirment. Ce fut d’ailleurs une des réactions des auteurs du rapport original à la réanalyse de House et Glass. Dans ce numéro du Harvard Educational Review consacré à Follow Through, (qu’il aurait fallu lire) les auteurs de Abt Associates répondent à House et Glass en soulignant que malgré les critiques méthodologiques et la réanalyse complète des résultats selon une méthode prétendument plus appropriée, ces auteurs arrivent à un classement très semblable à celle du rapport original. La corrélation entre les deux classements de l’étude originale et la critique de House était de 0.78. Alors pourquoi tous ce brouha+ha pour arriver sensiblement aux mêmes conclusions? d’ou le titre ironique de leur article: Anderson, RB., St-Pierre, R.G. Proper, E.C. & Stebbins, L.B. (1978). Pardon us, but what was the question again? A response to the critique of the Follow Through evaluation. Harvard Educational Review, 48, 161-170. Le fait que les données de cette étude aient été analysées et réanalysées par des auteurs associés à l’enseignement direct n’a pas de quoi surprendre, surtout lorsqu’on sait les nombreuses difficultés qu’ils ont rencontrées par la suite (subventions coupées, campagne de dénigrement, méthode carrément interdite dans au moins deux états américains, et j’en passe). Que les auteurs associés aux autres modèles aient plutôt tenté de faire oublier l’existence même de cette étude n’est pas surprenant non plus. Je +m’interroge au même titre que l’auteur:
« Quelle conspiration du silence a pu empêcher la popularisation d’un acquis scientifique d’une telle importance »
Je passe rapidement sur le titre très tendancieux de l’article (« Fausses preuves ») et je ne m’attarderai plutôt sur une affirmation faite par son auteur: « Ce n’est évidemment pas le nombre de références bibliographiques citées à l’appui de cette thèse qui retient l’attention (autant de références et sans doute même beaucoup plus pourraient être convoquées pour soutenir une thèse inverse). » J’ai entendu souvent cette boutade. A chaque fois j’invite la personne qui amène cet argument à produire une telle liste de références, une recension des études démontrant les effets positifs du socioconstructivisme par exemple. La dernière en date, l’article de Desautels et collaborateurs paru dans le Devoir du 16 mars en réponse à l’article de Gauthier et Melluki. Ils affirmaient aussi être en mesure de trouver des articles semblables à ceux mentionnés dans le rapport Gauthier, Bissonnette & Richard. Ils affirmaient avoir pu en trouver après quelques heures de recherches seulement mais ne citent qu’une seule étude (pas très convaincante par ailleurs).
J’invite donc tous ceux qui croient à la supériorité d’un modèle d’enseignement « centré sur les apprentissages » à se mettre à la tâche et à produire une recension sérieuse d’études. Autrement, je devrais conclure qu’il ne s’agit effectivement que d’une simple boutade, dénué de fondement.
Bien à vous,
Normand Péladeau, Ph.D.
Recherches Provalis
Clément Laberge a dit :
M. Péladeau,
Permettez moi de signaler qu’il n’est pas nécessaire de
croire que les modèles d’enseignement «centrés sur
l’apprentissage» sont supérieurs aux autres pour dénoncer
l’argumentaire de ceux qui croient dans la supériorité de
«l’enseignement direct».
Je ne crois simplement pas à la supériorité d’une approche
sur les autres «dans l’absolu». Je crois à la
complémentarité des approches et à la liberté du prof de
choisir celle qui lui convient le mieux à un moment où à un
autre, en fonction des contraintes, des élèves qu’il a
devant lui, etc.
Il me semble bien plus important de développer chez les
enseignants la capacité de reconnaître les contextes où il
est pertinent d’adopter une approche «plus magistrale» et
ceux où une approche plus «socioconstructiviste» peut
s’avérer plus efficace que de plaider de façon presque
doctrinaire pour la supériorité d’une ou l’autre des approches.
D’ailleurs, à mon sens, la réforme n’a jamais interdit au
prof de s’adresser à ses élèves de la tribune, une craie à
la main, exigeant leur attention pour quelques minutes ou
quelques heures. Elle souligne toutefois à grands traits,
c’est vrai, qu’il n’est pas suffisant de s’appuyer
uniquement sur cette méthode.
Par conséquent, je ne crois pas qu’il est nécessaire de
faire la preuve de la supériorité d’un modèle «centré sur
l’apprentissage». Je ne crois d’ailleurs pas que cette
démonstration soit scientifiquement plus réalisable que
l’inverse.
Clément Laberge
Normand Péladeau a dit :
M. Laberge,
Si je partage l’idée que les approches ou plutôt les différentes techniques associées à ces approches peuvent être complémentaires (c’est une idée que j’ai déjà défendue par le passé), je crois qu’il est naïf de croire que la réforme permet cette coexistence pacifique des approches et des différentes techniques. L’une des raisons est qu’à moins de faire une lecture superficielle de ces approches, il est clair que chacun des modèles fait des propositions qui vont à l’encontre des autres approches et qu’il existe beaucoup de points sur lesquels les modèles ne s’entendent pas. Doit-on amorcer la lecture sur la base d’une approche synthétique (phonétique) ou globale? Doit-on on favoriser la mémorisation de certaines connaissances et habiletés ou n’est-ce pas dangereux comme certains le prétendent? Doit-on enseigner explicitement une habileté ou n’est-il pas préférable de favoriser sa découverte? Doit-on favoriser ou interdire le redoublement? Les évaluations doivent-elles être normatives ou critériées, qualitatives ou quantitatives?
Toute proposition implique un rejet de propositions contraires et la réforme autant que les auteurs qui l’ont influencé ne font pas exception. Allez lire ou relire le livre:
Tardif, J. & Presseau, A. (1998). Intégrer les nouvelles technologies de l’information. Quel cadre pédagogique? Paris: ESF.
où les auteurs présentent une vision tout à fait manichéenne des approches pédagogiques (les bons et les méchants, les choses à faire et à ne pas faire), Allez lire également les travaux de Perrenoud, des écrits de Marie-Françoise Legendre dans la revue Virage ou dans Vie Pédagogique. Il est bien difficile de prétendre que la réforme ne favorise pas certaines approches au détriment d’autres approches. Lorsque le C-RDI évalue un logiciel ou lorsque le gouvernement accrédite ou non le matériel pédagogique ou attribue une subvention de recherche, il est illusoire de croire qu’ils le font sans faire des choix très précis sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l’est pas. A titre d’exemple, j’ai réagi par le passé sur ce forum à une évaluation par le CRDI du logiciel Génies En Herbes. Il s’agissait selon moi d’une illustration très claire du fait que l’on favorisait certaines approches au détriment d’autres approches.
Vous affirmez: Par conséquent, je ne crois pas qu’il est nécessaire de faire la preuve de la supériorité d’un modèle «centré sur l’apprentissage». Je ne crois d’ailleurs pas que cette démonstration soit scientifiquement plus réalisable que l’inverse. J’aimerais bien savoir pourquoi vous pensez qu’une telle chose n’est pas réalisable. Ne croyez-vous pas possible d’évaluer l’impact réel du redoublement? de comparer la qualité des apprentissages de la lecture selon une approche globale ou phonétique? D’évaluer l’impact d’une technique d’enseignement précise?
Si ce n’est pas possible de répondre à ces questions à partir d’études sérieuses, sur quelle base devons nous choisir? Sur la base de nos positions idéologiques, sur des considérations politiques, voir même esthétiques? Une réelle science de l’éducation est elle encore possible?
Je crois qu’une telle chose est non seulement possible mais également souhaitable. Avant même d’entreprendre une réforme, ne serait-il pas souhaitable de tester les propositions mises de l’avant. Est-ce que toute proposition est également acceptable? Devrait-on réaménager toutes les classes du Québec selon les principes du feng-shui si j’affirme que cela permettra de diminuer les risques d’échec scolaire. Devrais-ton réintroduire la prière à l’école si quelqu’un affirme haut et fort qu’une telle chose diminuera les problèmes de violence à l’école? Et qu’en est-il de l’effet de la pédagogie par projet sur les enfants de milieux défavorisés. Est-ce que ça augmente réellement leur motivation scolaire et leur réussite à l’école?
Normand Péladeau, Ph.D.
Recherches Provalis
Une autre discussion sur la réforme
Comme le signale Mario ce matin, la discussion a repris de plus belle dans la liste de discussion edu-ressources au sujet de la réforme et la place qu’elle réserve aux approches pédagogiques « plus centrées sur l’enseignement » ou « plus centrées sur …
Je suis heureux que ce débat reprenne. D’autant plus qu’il évolue dans un sens qui se rapproche davantage de la position que j’ai développé avec plus ou moins d’habileté ici et là. J’ai déjà également réagi ici à des positions qui me paraissaient franchement excessives dans un débat similaire en France.
Il n’y a pas très longtemps, j’aurais parié qu’il était impossible de voir un jour des tenants de l’une et l’autre parti s’entendre ne serait-ce que sur une seule chose comme on le voit ici. MM Laberge et Péladeau s’entendent sur le principe de la complémentarité des approches et techniques pédagogiques. À la bonheur!
D’accord, il reste d’autres points de divergences, mais j’ose croire qu’ils ne sont pas insurmontables.
Je partage également les réponses que vous apportez aux trois questions Mario. Elles mériteraient d’être développées car je crois que nous avons ici une fenêtre exceptionnelle de rapprochement qui mériterait d’être explorée.
Une nouvelle page Wiki serait-elle bienvenue?
De toute manière j’y reviendrai certainement dans les prochains jours sur mon propre cybercarnet.
M. Chartrand,
Je viens de relire avec un intérêt renouvellé ce texte qui me semble particulièrement intéressant dans le contexte de la relance des discussions:
http://recit.cadre.qc.ca/carnets/andre/index.php/2005/01/30/7-p-classmsobodytext-styletext-alignjustifyreforme-de-leducationnbspun-virage-pedagogique-dont-limplantation-est-marquee-par-une-logique-de-rupturep
J’invite tout le monde à le lire.
Clément
Lorsque MC Bellosta a présenté sur le Forum de la SMF le texte en question ( Msg 282 sur
http://smf.emath.fr/Forum/TribuneLibre/?iis:249:999999#b ), j’avais donné quelques précisions que je vous recopie ici.
L’original est à :
http://smf.emath.fr/Forum/TribuneLibre/?mss:312:belajaaanndijaaamppi
Cordialement
Michel Delord
CA de la Société Mathématique de France
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II) L’étude « Quelles sont les pédagogies efficaces ? »
(Message 82)
Elle fait référence à des projets du type Follow-Through qui, c’étaient leurs objectifs, comparent les méthodes d’apprentissages à programme égal et à progression égales.
La position du GRIP – dont le « P » signifie programmes et qui ne s’appelle pas ainsi par hasard- est que la question clé – dans la conjoncture actuelle * – est celle des programmes et progressions. Le GRIP, qui connaissait ces études au moment de la rédaction de son premier texte craignait la réduction des études comparatives aux études synchroniques et notait : » Une comparaison historique est nécessaire car elle n’est pas aveugle, comme les comparaisons internationales, à un mouvement commun de dégradation. »
Cette faiblesse de l’étude canadienne (minimisation du rôle des programmes dans l’évaluation d’un système scolaire) est même relativement dangereuse dans la situation actuelle car un certain nombre de courants, qui se réclament de la didactique, des sciences de l’éducation ou de la pensée managériale de l’éducation, peuvent profiter de l’accent mis sur la méthode (qui n’est certes pas négligeable mais secondaire) pour minimiser l’importance des programmes. Par exemple :
1) Jacques Nimier qui présente comme un progrès dans l’évolution de la didactique des mathématiques que l’on minimise le rôle des programmes – ce qui est d’ailleurs une description réelle de l’évolution de celle-ci – :
Pendant 40 ans : Curriculum contre pédocentrisme
³Vers les années 70, 80, les congrès internationaux sur l’enseignement des mathématiques ne parlaient que de « curriculum » c’est-à-dire, en quelque sorte, de programme; fallait-il placer telle question de mathématiques avant ou après telle autre ? Fallait-il enseigner telle partie des mathématiques ou non, ce que l’on appellerait maintenant le passage du savoir savant au savoir enseigné. Dans tout cela l’élève n’existait pas².
In Jacques Nimier ³Histoire de la didactique des mathématiques²
http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/page26.htm
Une remarque: dans la période des années 70, on parle encore de programmes mais qui ne sont plus des programmes d’enseignement des mathématiques pour plusieurs raisons. Une en est que l’enseignement de la démonstration y est impossible car les démonstrations demandées et enseignées n’en sont plus puisque elles se réduisent à des manipulations purement formelles en algèbre par absence du domaine principal de l¹apprentissage de la démonstration qui est la géométrie synthétique enseignée à partir d¹une progression permettant une augmentation graduée des difficultés [Cf. notamment R. Thom ou Wu Hu ³The role of Euclidean Geometry in High School² J. Math Behavior, 15(1996)]. Les programmes des ³maths modernes² sont effectivement les derniers programmes correspondant à une vision globale mais fausse de ce qu¹est un curriculum: ensuite, en opposition justement formaliste au formalisme précédent, se produit une contre réaction empiriste qui ira maintenant simple exemple des dégâts de cette conception simplement au niveau de la forme – jusqu¹à, non seulement penser la rénovation des programmes dans des organismes séparés pour le primaire, le collège et le lycée mais, qui plus est, dans ses versions actuelles, à avancer des programmes pour le primaire et le lycée sans envisager de modifier ceux des collèges. Tout ceci est bien une innovation par rapport aux progressions précédentes qui figurent dans un document unique de 1882 à 1970.
Š
Ceci dit, l¹affirmation de Jacques Nimier est globalement juste, la tendance sur les années 1975/ 2000 est à centrer effectivement sur ³l¹élève qui doit être au centre² et donc à ne pas concentrer l¹attention sur la logique des curriculum. Et en ce sens, l¹apparition du forum de la SMF est bien une première victoire pratique contre cette tendance à négliger le rôle des programmes. Nous sommes à l¹époque du bilan des 30/40 dernières années et même en gros du dernier demi-siècle: ce n¹est pas moi qui l¹ait décidé mais le contenu des débats aussi bien en France ou il est peu développé – qu¹en Angleterre ou aux USA. Le dernier texte de Georges Andrews a pour titre ³Mathematics Education: Reform or Renewal²
[In Michel Delord, Message 08 de la page 00x du forum – 5 Avril 2000 -: « Survol : Sciences de l’Education »
http://smf.emath.fr/Forum/TribuneLibre/?mss:8:nhmkhnfanicofhojoijc ]
2) Les arguments avancés par Claude Thélot (minimisation de l’importance des programmes, mises en avant des compétences contre les connaissances) explicités dans son livre de 1999 écrit en collaboration avec Philippe Joutard (Réussir l’école, Pour une politique éducative) sont ceux qui ont guidé le déroulement du « Grand Débat » et justifié la mise en avant du fameux « socle « . Ce socle est, d’ailleurs dans ses diverses versions – les fondamentaux, les bases Š., présenté comme séparé de la notion de programme .
On peut cependant avoir une idée de ce que ce socle représente, puisque s’il n’existe pas en tant que tel et si les députés voteront sur son principe sans savoir ce qu’il recouvre, il correspond exactement à l’état d’esprit et aux contenus de l’évaluation PISA* et il va être conçu pour correspondre à ces critères si l’on veut afficher des statistiques glorieuses.
*Il est dommage pour la valeur instructive du « socle » que PISA soit tout à fait critiquable (j’avais donné l’an dernier des adresses de critiques dans les notes de http://michel.delord.free.fr/redoub.pdf ). Par exemple, plus récemment :
« Charles Beer, conseiller d¹Etat genevois en charge de l¹Instruction publique, a participé au pilotage de l¹étude PISA 2003 en Suisse. La présentation du volet helvétique, hier, à Berne, a été l¹occasion pour le magistrat d¹exprimer ses doutes sur ce classement.
Est-ce que les tests PISA sont vraiment significatifs pour évaluer le système éducatif suisse?
L¹évaluation du système éducatif suisse est limitée à l¹étude PISA. Nous sommes en quelque sorte «PISA dépendants». Or un seul type de test ne suffit pas. Pour affirmer avec un certain degré de fiabilité que le niveau suisse est bon ou très bon, les élèves devraient être soumis à plusieurs tests.
PISA évalue la capacité des élèves à être productifs dans le monde du travail. Est-ce le but de l¹école?
En ce sens, l¹outil PISA est contestable. Les tests ne mesurent pas l¹acquisition des connaissances, ce qui constitue le but de l¹école. Ils mesurent les compétences permettant de favoriser la capacité des élèves dans la vie adulte qui les attend. C¹est une capacité en termes productifs, liée à ce que l¹OCDE appelle une adaptation à l¹évolution de la société. N¹oublions pas que cet organisme s¹occupe de développement économique des pays. »
http://www.24heures.ch/home/journal/index.php?Page ID=10373&art id=43465
3) et surtout l’argumentation récemment défendue par Michèle Artigue, calquée sur la position des NTCM Standards, qui présente de manière positive les thèses de la quantitative literacy, du vidage du contenu théorique de l’enseignement et des programmes : » de nouvelles approches curriculaires où les compétences tendent à prendre le pas sur les contenus ». Elle cite positivement et met même en avant explicitement la « lutte contre la « syllabusitis » : Penser que la maîtrise d¹un domaine peut être identifiée à celle des contenus d¹un programme. »
[Michèle Artigue: « Enseigner les mathématiques aujourd¹hui, pourquoi? Pour qui ? Comment ? » (mars 2004)
http://www.ac-grenoble.fr/maths/perso/OKJPT/APMEPgrenoble2004%20(relu%20JPT).pps ]
La situation actuelle est donc bien caractérisée
– par la continuation et le renforcement de la tendance des 30 dernières années à minimiser l’importance des programmes en tant en tant que programmes, c’est-à-dire diminuer l’importance des contenus en terme de connaissances disciplinaires dans les programmes, pour mettre en avant des compétences, c’est-à-dire des procédures isolées du contexte disciplinaire et interdisciplinaire qui seules peuvent leur donner une cohérence (l’interdisciplinarité mise en avant officiellement n’est pas basée sur la cohérence interdisciplinaire mais sur des considérations psychologiques, sociologiques ou politiques).
– par la convergence et le durcissement des positions différentes tendances qui ont mis en place les programmes actuels à la défense de ceux-ci. A la suite de la réunion organisée par la SMF sur l’enseignement primaire en Octobre 2003, l’ARDM – Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques – a publié un communiqué dans elle prend position pour les programmes de 2002 et pas d’un point de vue conjoncturel, c’est-à-dire d’un point de vue qui engage la conception de la didactique des mathématiques :
« Les points de vue exposés étant assez radicalement opposés entre ceux qui considèrent que les programmes actuels sont inadaptés en termes de contenus et de méthodes pédagogiques et d’autres, comme nous, qui considèrent, à la lumière des travaux de recherches conduits depuis de nombreuses années en didactique des mathématiques, que ces nouveaux programmes sont porteurs d’une richesse potentielle pour l’enseignement des mathématiques. »
Viviane Durand-Guerrier, présidente de l’ARDM, Bulletin de l’ARDM n° 14, mars 2004
* Id est : nous n’affirmons pas le caractère clé de cette question dans n’importe quelle période. Le mot « actuel » couvre précisément la période commençant en France après l’époque des maths modernes : tous les promoteurs de cette aberration ont refusé de reconnaître qu’ils avaient mis en avant des programmes tout à fait critiquables en tant que programmes et ont simplement reconnu qu’ils avaient été mal appliqués, mal interprétés (notamment parce que les enseignants qui les appliquaient étaient mal formés).
Ce qui a induit deux problématiques qui permettaient d’évacuer la question des programmes et simultanément la responsabilité de ceux qui les avaient écrit et des corps d’inspection qui les ont fait appliquer, deux différentes formes de la pédagogie de projet :
i) « On n’a pas su adapter les programme, il faut savoir s’adapter à l’élève » qui est la base non pas théorique (car le pédocentrisme comme pédagogie du vide existait depuis bien longtemps : voir la citation de G.. S. Hall datant de 1890 sur ma page personnelle) mais justificative de « l’élève au centre » justement dans sa version qui l’oppose à la transmission des savoirs scolaires.
ii) « On n’a pas su adapter les programmes, il faut s’adapter au contexte local » qui est la base des divers projets d’établissements.
Le moins que nous puissions dire est que vous êtes très productif M. Delord. Autant sur votre site que dans ce commentaire, votre discours apporte un éclairage important dans ce débat. Merci de votre contribution.
Une question, si j’ose; Dans le contexte où vous parlez de « minimisation du rôle des programmes », êtes-vous à l’aise avec un programme axé « compétences » ? Je perçois dans l’avant-dernier paragraphe de votre commentaire une réserve sur ce point. Ici, au Québec, on a laissé croire qu’il fallait migrer de « l’élève savant à l’élève compétent », mais à l’image de ce que le philosophe Thomas De Koninck avançait ici (http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/mario/archives/006332.html), je suis d’avis que «Être compétent en mathématiques et être savant mathématicien, c¹est la même chose. Identiquement la même chose. Évidence pour les anciens Grecs, devenue paradoxe pour certains aujourd¹hui, semblerait-il.» Comment réagissez-vous à cela ?
Tout à fait d’accord avec vous!
Je suis d’accord avec Monsieur Pouts-Lajus sur au moins un point: « La qualité de l¹écoute et la modération des arguments sont au plus bas ». Malheureusement, cet auteur ne fait rien pour augmenter la hauteur du débat en portant des accusations non fondées et en s’en prenant aux personnes plutôt qu’aux idées. Le principal objectif de ma réponse était de rectifier les erreurs commises par son auteur. Les faits que je mentionne, tous vérifiables, et la correspondance que j’ai eue par la suite avec l’auteur me semblent clairement démontrer la mauvaise foi de celui-ci.
Je suis donc d’accord avec Robert Bibeau qui qualifiait l’article de « marigot suspicieux ». On est capable de mieux.
Je le répète encore une fois, je suis pour la combinaison de diverses techniques, mais j’ai vu trop souvent des méthodes et des techniques dénoncées au nom de l’orthodoxie socioconstructiviste. Comme je l’ai déjà mentionné auparavant, j’ai moi-même développé une intervention pédagogique très efficace (sur logiciel) qui est en mesure de profiter à bien des types de pédagogies, y compris les pédagogies par projet. La technique en question semble profiter plus particulièrement aux élèves ayant le plus de difficultés. Les résultats de mon expérimentation ont été publiés en 2003 dans American Educational Research Journal, la plus sérieuse revue de recherches en éducation de l’AERA. Pourtant, bien des conseillers pédagogiques ont dénoncé ma méthode comme dangereuse et fortement conseillé aux professeurs utilisant cette méthode d’abandonner cette pratique. Ils ont affirmé que cette méthode était contraire aux principes de la réforme et à cet égard ils n’avaient pas tout à fait tort puisque le principe de base sur lequel repose cette intervention contredit certains des postulats mis de l’avant par Jacques Tardif ou Marie-Francoise Legendre et qui fondent notre réforme. L’enseignant a bien sûr la liberté académique d’utiliser ma technique ou toutes autres techniques du genre en complément avec d’autres approches. Cependant, il devra le faire en dépit des avis contraires des « experts » et peut être également de certains de ses collègues de travail. Mais plus important et plus grave encore, il devra pour ce faire monter lui-même ses activités (et ce n’est pas une mince affaire) puisque l’on encourage de plus en plus les éditeurs de manuels et les auteurs de logiciels de soustraire de leur matériel les éléments qui lui permettraient justement de facilement réaliser ce type d’activités.
Comme je l’ai déjà dit, le problème avec la réforme n’est pas tellement dans ce qu’elle propose mais dans ce à quoi elle s’oppose, aux pratiques qu’elle décourage. Je consacrerais volontiers ma carrière à développer du matériel pour faciliter la tâche aux enseignants et aussi à évaluer systématiquement l’efficacité du matériel développé avant de penser à en faire la diffusion. Mais ce serait bien difficile compte tenu des critères d’évaluation du C-RDI qui rejette ce type de logiciel parce que non conforme à cette réforme et de la tendance actuelle à rejeter le type de technique que je propose. Si vous lisez l’anglais, jugez par vous même:
Peladeau, N., Forget J. & Gagné, F. (1993). Effect of Paced and Unpaced Practice on Skill Application and Retention: How Much is Enough? American Educational Research Journal, 40 (3), 769-801.
Je peux aussi faire parvenir un résumé en français.
Et si vous êtes intéressé à appliquer une méthode du genre, faites-moi signe. Je pourrais sûrement vous aider. Je suis même disposé à offrir gratuitement mon logiciel, et peut être même un certain soutien technique (et moral) aux personnes ou aux écoles sérieusement intéressées à développer du matériel pédagogique pour leurs enseignants (malgré le fait que je suis souvent très occupé) Mais sachez tout de suite que ça risque de déplaire à certains et de vous attirer des critiques.
Salutations,
Normand Péladeau
Prise de conscience
Je regarde avec attention depuis quelques jours les échanges auxquels ont donné lieu la publication de ce texte de M. Pouts-Lajus. Tout comme la dernière fois, je préfère intervenir un peu plus en retrait. En lisant le texte de M….
Voici la réponse officielle de Richard et Bissonnette à l’article de Pouts-Lajus.
http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/faus.php#a2
Ça remet les propos tendencieux de Pouts-Lajus en perspective.
Normand Péladeau, Ph.D.
Recherches Provalis
La recherche connective
Le ciel s¹est assombri, le vent levé, les nuages ont bombé le torse, le tonnerre grondé, et même la foudre s¹escrimée. La tempête qui oppose les tenants de l¹enseignement direct aux défenseurs d¹une pédagogie centrée sur l¹apprenant a connu des…
Bonjour
Je viens de découvrir que le debat sur edu-ressources auquel j’avais commençé à participer est reproduit ici. Je m’en réjouis car je n’avais pu continuer ma participation car mes messages de reponse n’étaient plus publiés sur cette liste, y compris aprés mon inscription avec une 2eme adresse. Je viens de reverifier aujourd’hui qu’il en était toujours de même avec mes deux adresses. J’essairai donc, si vous m’en donnez le temps, de rattraper le retard en publiant ici.
Michel Delord