« Pendant quelques jours d’été, les passants sont invités à venir écrire des lettres qui sont expédiées gratuitement à travers le monde… »
Il s’agit d’une invitation des Correspondances d’Eastman qui auront lieu du 18 au 21 août 2005. Chez Radio-Canada, on parle de la « Fête annuelle des lettres ».
J’aime beaucoup cette initiative dont je ne connaissais pas l’existence. « Faire écrire » : quel beau prétexte !
En 2004, quelque 200 écoliers des écoles Val-de-Grâce d’Eastman, de La Relance et de La Ruche de Magog ont participé au concours de la plus belle lettre d’amour. Je suis tombé sous le charme de celle-ci de Valérie Dauphinais qui, du haut de sa 6e année, déclare son amour à sa grand-mère décédée:
«Si tu as le temps, cher ange, tu pourrais me rendre visite. (…) As-tu rencontré grand-maman ? Ça ne doit pas, car je crois qu’elle est en train de faire sa formation d’ange… Elle doit être aussi très occupée parce qu’elle nous a promis, à moi et à ma famille, qu’elle serait notre ange gardien.»
J’ai déjà écris à ma grand-mère. C’était lors de ses funérailles, en guise d’hommage. Je me souviens que cette lettre m’avait beaucoup aidé à surmonter ma peine.
Voilà une belle occasion à saisir que cette invitation à la correspondance !
Mise à jour du 25 mai 2008: Ce billet est souvent repéré par des internautes qui font des recherches à partir de mots-clés comme «grand-maman», «ange», etc. J’ai contacté par courriel la jeune fille qui a écrit les belles paroles ci-haut puisque les archives des correspondances d’Eastman ne semblent toutes accessibles, mais je n’ai pas eu de réponse. À tout hasard, il m’est venu le goût de reproduire le texte que j’avais écrit pour ma propre grand-maman au moment de son décès. Le voici…
Éloges à ma grand-mère qui repose maintenant, en femme libre
Grand-maman Agathe est enfin sortie de son hôpital. Depuis près de dix ans, c’est ce qu’elle désire le plus: retrouver sa liberté. Je sais en tant que petit-fils comment cette valeur fut importante pour elle au-delà du mot même, liberté. Laissez-moi aujourd’hui vous expliquer ce que je retiens de son témoignage de vie! Tu permets grand-maman Agathe…
De son enfance, je sais bien peu de chose si ce n’est de ses origines d’un père capitaine de bateau et d’une mère avenante que j’ai connue au foyer du Cap St-Ignace d’où elle est décédée un peu comme grand-maman, de simple vieillesse. J’imagine facilement notre grand-mère, à l’âge de l’adolescence, un peu rebelle, travaillant tôt à la manufacture et un peu après, comme téléphoniste. Par la suite, je la vois courtisée par son raquetteur préféré, grand-papa Henri-Paul. Si ma mémoire est bonne, elle est plus âgée que lui au moment d’accepter de l’épouser. Leur couple devait être le style à ne pas passer inaperçu; homme de conviction, un peu bourru, grand-papa a une femme à sa hauteur. Agathe est la pierre précieuse de cette union, même si plus souvent qu’autrement, c’est Henri-Paul qui brille de toute sa prestance.
À partir d’ici, c’est plus facile pour moi de vous en parler. Enfant, j’habite la même maison qu’eux. Je vois plein de gens aller et venir. Maison d’accueil dans cette période où la morale catholique régimente les comportements, grand-maman est tolérante. Elle élève ses enfants, souvent les amis de ses enfants, parfois même, les enfants de ses enfants. Elle est infirmière à temps plein pour un mari malade de neuf infarctus qui dirige la circulation de son lit, dans le refuge des Papillon. Elle soigne aussi sa plus vieille qui restera enfant toute sa vie; grand-maman a des principes qui sont affichés clairement: on ne juge pas!
Je sais mes tantes que vous avez dû connaître une mère un peu différente de la grand-mère qu’elle fut pour sa troupe de petits-enfants. Probablement que ses p’tits défauts, vous les connaissez… moi pas! C’est ma grand-mère, vous savez…
Elle m’a appris l’amour inconditionnel. Vous savez ce don de soi qui se voit dans les yeux d’une grand-mère lorsqu’elle vous regarde et qu’elle dit à vos parents: «laisse-lé dont faire, c’est juste un enfant». Encore récemment, à l’hôpital, à but de force, elle a accueilli Emma, en ne voulant plus s’en séparer. Pleurant d’émotion de tenir dans ses bras une autre promesse de vie, grand-maman Agathe était bien; elle tombait en amour de nouveau et pouvait serrer cet autre joyau de ses entrailles…
Je me souviens de ses sacs d’épicerie qu’elle me préparait à chaque semaine dans mes premiers pas de vie en appartement. Je me souviens de sa tarte aux pommes qu’elle me réchauffait à une heure du matin, lorsque je revenais de travailler de chez les vieux de l’hôpital. Elle faisait provision de sommeil en soirée, pour mieux jaser à mon arrivée. Elle me disait comment elle aimait sa famille, sans les juger, tous, aussi compliqués ou simples qu’ils soient les uns les autres. Elle me vantait les mérites de ses gendres, si différents, mais si travaillants. Elle me racontait les premiers pas amoureux de ces couples qui se formaient et qui la plaçaient constamment entre l’arbre intransigeant du Papillon et l’écorce tendre de la Cloutier.
Par ses paroles, elle avait le don de nous grandir en nous encourageant et surtout, elle nous inspirait par son témoignage de vie. Ça se peux-tu servir autant dans une vie? Marcher à chaque jour, aller-retour, jusqu’à Saint-Michel, pour aller reconduire sa grande fille. Cette fille dont elle avait sûrement juré qu’elle ne manquerait jamais de rien. Je ne peux m’empêcher de voir dans cet autre geste d’accueil inconditionnel plus que dans n’importe quelle parole qu’elle aurait pu me dire. Jamais grand-maman ne semblait découragée de sa vie au service des autres. Elle semblait tellement libre dans ses choix.
Libre par ses pas aussi lors de ses nombreuses marches qui, lorsqu’elles se sont interrompues, ont marqué la première étape de son mal de vieillir. Libre, elle l’était également dans ses opinions puisqu’elle était difficile à cerner moralement. Contrairement aux gens de son temps, elle n’était pas pieuse. Pourtant, elle ne se chicanait pas avec le bon Dieu, même qu’ils semblaient plutôt amis. Elle avait l’air de trouver qu’en son nom, les gens jugeaient pas mal les autres ce qu’elle, elle ne se serait pas permis.
Vous comme moi, j’en suis sûr, savez pourquoi nous sommes heureux que nos enfants aient pu connaître leur arrière grand-mère. Je crois bien qu’ils n’ont pas vu son meilleur côté. Ses dernières années, alitée, elle était plutôt bougonneuse, mais quand même, elle arborait un large sourire et de beaux yeux lorsqu’elle nous voyait avec nos familles. Sa fierté de nous voir vieillir lui donnait un petit répit dans sa quête d’une liberté perdue dans sa chambre d’hôpital.
Nous étions quelques-uns, à son chevet, pour l’accompagner dans ses derniers moments. À l’instant du désarroi de sa dernière inspiration, s’est succédé l’euphorie de la sentir délivrée. Maintenant, tu es libre grand-maman. Tu peux partir en paix de nous avoir construit et tant aimé. Va rejoindre ton amoureux Henri-Paul dont tu nous as si souvent parlé et dont j’ai pu voir votre bel amour. Pars pour ce voyage toi qui en avais si envie de voir du pays avec lui. Veille quand même un peu sur nous; sur tes cinq grandes filles dont tu étais si fière. Je sais combien elles ont peiné ces dernières années de te savoir moins libre de tes mouvements, particulièrement celles de Québec qui ne sauront pas comment occuper ce temps libre que ton départ oblige.
Quant à nous, inconditionnellement, nous continuerons d’accepter nos différences comme tu nous l’as toujours montré. Merci de m’avoir aidé dans mes premiers pas vers la liberté. En sortant d’ici, nous reprendrons tous notre marche, heureux et heureuses de te savoir maintenant délivrée et parfaitement épanouie.
Tags: "...à ce qui me fait plaisir"
Salut,
Je vous remercie énormément d’avoir apprécier ma lettre!
Au plaisir de vous réécrire
Valérie
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