«Apprendre, c’est procéder à une synthèse indéfiniment renouvelée entre la continuité et la nouveauté.»
Jean Piaget, constructiviste.
«La pratique guidée aide les élèves à vérifier, à ajuster, à consolider et à approfondir leur compréhension de l’apprentissage en cours, par l’arrimage de ces nouvelles connaissances avec celles qu’ils possèdent déjà en mémoire à long terme»
Barak Rosenshine, cognitiviste.
Pourquoi je devrais me priver des trouvailles de l’un de ces deux chercheurs sous prétexte de leur appartenance à l’une des famillles qui tentent d’expliquer comment se manifestent les apprentissages ?
L’approche cognitiviste pose une question principale et non encore résolue, comment s’articulent entre elles les fonctions du cerveau déjà identifiées (mémoire, perception…). Si l’on prend l’exemple des émotions (cf la revue Sciences Humaines de Mai 2006) on peut se demander, par exemple, comment interfèrent émotion, perception, mémorisation, action ? On entre dans le domaine de la complexité, c’est à dire dans le domaine de ce que la science ne peut (encore ?) expliquer expérimentalement, mais que la science tente de comprendre empiriquement.
Opposer les recherches serait tenter de les enfermer dans la diabolisation, figure réthorique bien connue des débats actuels sur l’éducation, il nous faut refuser cette forme de discours idéologique.
Avec le renouveau pédagogique, on a quand même fait beaucoup de chemin depuis Skinner et ses chocs électriques, sauf que dans les forces armées canadiennes,ce n’est peut-être pas le cas ?
En effet, voici des extraits d’em@ils écrits par une recrue de 20 ans, à qui, au moins, on paie tous ses cours :
« Je dors dans une tente avec un autre élève du collège, Le jour il fait facilement 35 ou 40 dans la tente et la nuit ça doit tournée autour de 5 degrés. On a deux casier (format polyvalente) et un petit bureau chaque pour renger nos effets personnelles. »
« ma job est d’assembler des vieux sac à dos moisis et de laver des vieilles 303 rouillées (arme utilisée pendant la 2ième guerre mondiale)
Les autres on des job genre classer des papiers ou étiqueter des dociers »
« On est tous déprimé, on déteste notre job et en plus, quand les cadet vont arrivé, on va même travailler le samedi. »
« on se leve entre 4:30 et 5:30 et on se couche a 23:00. Je suis crissement fatiguer ca n’a juste pas d’alure. En plus, on a des cours de 7:00 a 19:00. »
Si ce jeune homme était dans une secte plutôt que dans l’armée, les « déprogrammeurs » qualifieraient-ils cette « méthode d’enseignement » de lavage de cerveau ?
Je ne comprends pas le sens de ta question, Mario. D’une part, le PDFQ se réfère explicitement à ces deux écoles en plus d’y ajouter le socioconstructivisme. Par ailleurs, les deux extraits que tu cites, je n’oserais pas m’aventurer au-delà de cela, me paraissent orientés dans le même sens en ce qui concerne l’apprentissage : un processus dans lequel interviennent des connaissances antérieures, une activité cognitive d’appropriation, un processus dont le produit final est un construit cognitif. Je n’y vois rien de mutuellement exclusif et donc je ne comprends pas pourquoi poser la question.
Qu’est-ce qui m’échappe, Mario? Un élément de contexte dans lequel se situe la question? Est-ce que je comprends mal les deux extraits? Enfin, si tu as une petite chance de m’éclairer…
Ah! Pour le contexte de la question j’imagine que seul Mario peut répondre, mais en ce qui concerne le pertinence de ma compréhension des deux extraits, si je m’égare, quelqu’un d’autre lisant ce commentaire peut tout aussi bien me signaler ce qui m’échappe.
Dans un documentaire qui sera diffusé demain à la Première Chaîne de Radio-Canada (voir ce billet qui t’aidera à mieux situer le contexte de ce court billet laconique), Normand Baillargeon affirme dans une de ses envolées que «Jean Piaget est un constructiviste notoire, contestable et contesté, dont les théories sur l’apprentissage sont intenables en psychologie et ont été mise à mal et à mort par Chomsky». Poursuivant sur le thème de la réforme, il se met «sur le cas» du constructivisme et formule (selon mon interprétation) le syllogisme suivant :
La réforme est basée sur le constructivisme radical.
Le constructivisme radical est misologue, il prône la haine des connaissances.
La réforme prône la haine des connaissances.
Tu comprendras qu’en fin de semaine, j’ai beaucoup lu sur le cognitivisme et le constructivisme. Je suis même allé rencontrer un ami à moi, grand-papa, prof de maths et grand spécialiste de Piaget, qui m’a mis sur la trace de certains ouvrages de cet auteur. Cette citation est issue du livre «Apprentissage et structure de la connaissance» (p. 330). En lisant des textes de Barak Rosenshine qui se trouvent à être souvent cité par les gens du groupe de ceux qui interviennent souvent ici contre le constructivisme, je suis tombé sur cette citation (voir ce texte des chercheurs Gauthier, Mellouki, Simard, Bissonnette et Richard) qui m’a fait prendre conscience de ce que tu as observé : «les deux extraits me paraissent orientés dans le même sens en ce qui concerne l’apprentissage».
De plus, je me suis demandé pourquoi il fallait que nous en éducation, nous nous devions de choisir un camp dans ce débat entre gens d’allégeances théoriques «différentes». D’autant plus que de ma perception, «le PDFQ se réfère explicitement à ces deux écoles en plus d’y ajouter le socioconstructivisme».
Voilà ! Tu sais presque tout…
Je suis sûr que d’ici demain en soirée et même après, nous pourrons en rediscuter; quand tu auras (si c’est possible pour toi) écouté l’émission «Un autre regard», ce sera probablement plus facile pour toi de comprendre mes états d’âme.
Merci mille fois Mario! C’est une réponse des plus éclairantes. Je te suis d’autant plus reconnaissant d’avoir pris le temps de répondre aussi rapidement que tu dois être bien accaparé par ta préparation pour l’émission de demain. Tu peux être certain que je serai à l’écoute de l’émission dans la mesure du possible. J’ai aussi une début de soirée chargé.
Bien que je ne sois aucunement un spécialiste de quoi que ce soit dans ce domaine, et bien que je risque de t’embrouiller les idées en éclaircissant les miennes, je te livre ici, Mario, l’état de ma réflexion à ce sujet. J’estime qu’il faut distinguer trois formes de constructivisme pour s’y retrouver dans ce débat : le constructivisme comme théorie de la connaissance, l’épistémologie; le constructivisme comme théorie du processus d’apprentissage; le constructivisme comme théorie de la pratique pédagogique.
À mon avis, l’argumentaire de M. Baillargeon prend son appui initial au niveau épistémologique. Il fait référence au constructivisme radical parce que ce dernier nierait tout rapport entre la connaissance et le monde réel. Autrement dit, la connaissance que nous avons du monde n’a rien à voir avec ce dernier. C’est la mort de l’empirisme et des thèses réalistes, c’est la mort même de l’expérimentation. M. Baillargeon y voit, et c’est également mon avis, la fin de toute possibilité d’établir un procès de vérité fondé sur un rapport au réel, ce qu’il appelle l’opinion vraie en se référant à Platon. Cependant, je crois que M. Baillargeon erre lorsqu’il considère que le constructivisme n’est possible que sous sa forme radicale. Je ne peux malheureusement pas te référer à un texte, je ne peux même pas te dire que j’ai déjà lu cela quelque part, mais, moi, qui me considère comme un constructiviste, je ne crois pas que le caractère construit du savoir élimine toute référence au réel.
Je crois que le raisonnement de M. Baillargeon pèche également parce qu’il transporte un débat épistémologique sur le terrain d’une théorie de l’apprentissage et sur celui d’une théorie de la pratique pédagogique. Or, à ma connaissance, le lien de continuité entre ces trois aires théoriques n’est pas donné d’emblée et M. Baillargeon n’en rend aucunement compte.
C’est d’ailleurs cette réduction de l’épistémologie constructiviste à sa seule forme radicale qui l’amène à faire ce que je considère comme une erreur, conclure que les théories constructivistes de l’apprentissage et des pratiques pédagogiques qui sous-tendent cette réforme soutiennent que l’apprentissage d’une connaissance est acceptable du moment qu’elle est construite, fut-elle fausse. Si tel devait être le cas, M. Baillargeon peut dormir tranquille. Jamais les enseignants ne vont laisser leurs élèves construire de fausses connaissances sans intervenir. Ils ne laisseront pas des élèves croire que les anovulants protègent contre les ITS (infections transmises sexuellement), que les filles ont un don naturel pour laver la vaisselle, que Picasso est un premier ministre italien et que sais-je encore. Je serais d’ailleurs très étonné que les concepteurs de cette réforme donne une telle portée au constructivisme auquel ils se réfèrent.
En ce qui concerne l’opposition de MM. Péladeau, Bissonnette, Gauthier et al., je crois qu’elle n’en a pas tant contre le constructivisme comme théorie de l’apprentissage, que contre le constructivisme comme théorie de la pratique pédagogique, cette théorie (plus ou moins formalisée) qui sous-tend les différentes pratiques pédagogiques dites constructivistes : pédagogie de la découverte, du projet, etc. Comme M. Péladeau est un habitué de ce carnet, qu’il a l’esprit vif et la plume agile, je serais bien heureux, ne serait-ce que pour ma propre édification, de le lire sur ce dernier point.
Je crois qu’André met le doigt sur un bobo autrement important qu’il teinte beaucoup les discussions actuelles. De réduire le constructivisme (ou le socioconstructivisme) à sa forme radicale me semble empreint de mauvaise foi. Le constructivisme radical a une définition bien précise qui diffère grandement de ce que les pédagogues entendent par «constructivisme».
J’écrivais à ce sujet : http://dedalus.freezee.org/carnets/index.php/2005/11/24/217-comment-demolir-les-constructivistes-radicaux
Parlant de simplifications et de caricatures, que penser de cette affirmation dans l’intervention #2 faisant référence à
« Skinner et ses chocs électriques » auquel on associé ce « lavage de cerveau ».
Au fait, sauf erreur, Skinner n’a pas fait une seule étude en apprentissage animal ou humaine impliquant des chocs électriques. Il a d’ailleurs toujours été farouchement opposée à l’utilisation des techniques aversives. De plus, les historiens s’entendent pour dire qu’il a eu une influence positive sur le développement des technologies de l’enseignement.
Je veux bien entendre l’opinion des gens qui disent qu’on réduit ou qu’on caricature ce qu’est le socioconstructivisme, mais on n’invente pas des calomnies de ce genre.
Au fait, je partage somme toute fort bien la distinction de monsieur Chartrand entre ces trois niveaux. Il s’agit d’une distinction fondamentale. Il est vrai également que je ne m’oppose pas du tout au constructivisme comme théorie de l’apprentissage. Cependant, le constructivisme comme théorie de la connaissance est clairement un mouvement que je trouve carrément obscurantiste.
Je suis également d’accord pour dire que le
« lien de continuité entre ces trois aires théoriques n’est pas donné d’emblée ». Il y a des constructivistes de l’apprentissage qui défendent des pédagogies instructionnistes et s’opposent aux pédagogies constructivistes. Si j’ai tendance à croire que tous les pédagogues constructivistes ont une théorie constructiviste de l’apprentissage, il y a néanmoins des pédagogues constructivistes qui gardent une vision « réaliste » de la science (je parlerais de « réalisme critique » qui est une position bien différente du « positiviste »).
Ceci dit, historiquement, ce qu’on remarque, c’est que de plus en plus de socioconstructivistes pédagogiques adoptent une vision socioconstructiviste de la connaissance, pour une raison fort simple: cela leur permet de se soustraire à tout exercice de vérification scientifique. C’est vrai aux États-Unis, mais c’est vrai également au Québec et dans la francophonie.
M’sieur Péladeau
Je cite : « La boîte de Skinner est un dispositif expérimental inventé par Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) célèbre béhavioriste, il inventa cet appareil pour tester les capacités de rongeurs ou de pigeons à subir un conditionnement opérant, c’est-à-dire faisant intervenir le comportement de l’animal et le renforcement de celui-ci par un stimulus renforçateur (prise de nourriture pour un renforcement positif, choc électrique pour un renforcement négatif). »
Source :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bo%C3%AEte_de_Skinner
C’est la preuve que Wikipédia n’est pas infaillible.
Intéressant. La version anglaise ne fait jamais mention de chocs électriques mais parle de présentation de lumières, de sons, de musiques, d’images, de dessins.
http://en.wikipedia.org/wiki/Skinner_box
Cher M. Burrhus Frederic Skinner
Je me fondouille en excusations pour avoir lapsusser que vous encourageasionnez et /ou utilisasionnez les chocs électriques.
En effet, plus haut dans cette discussion, j’aurais dû relier les électrochocs à Pavlov et non pas vous, car certains disent même que vous étiez contre ce genre de méchanteries.
Alors, j’espère que vous n’êtes pas choqué après moi et que vous passerez quand même une excellente journée, où que vous soyiez.
Sincèrement
Jojo
p.s. : dans la version française sur Skinner, http://fr.wikipedia.org/wiki/Bo%C3%AEte_de_Skinner, dans Wikipedia, on indique que les électrochocs sont un exemple de renforcement négatif, mais pas nécessairement que Skinner en faisait usage…
Je remercie donc M. Pédaleau, d’avoir socio-construit avec moi ma connaissance à propos de l’Honorable Mister Skinner.
Bonne journée TLM
Bonjour !
Juste un petit mot. Il y a de ça plusieurs années, alors que j’étais étudiant au doctorat en technologie éducative à Concordia, nous avions eu une longue discussion (via le web) sur le potentiel éducatif de ce qu’on nommait alors le « computer conferencing ». On se demandait entre autre ce qui pouvait régir le mécanisme des contributions, pourquoi certains sujets attiraient plus de monde, alors que pour d’autres, l’action d’un modérateur-animateur était essentielle pour augmenter la fréquence et quelquefois la qualité des contributions, deux conditions que nous jugions essentielles à la « construction de connaissances ».
Finalement, le constat « troublant » que nous avions fait, tout doctorant que nous étions, c’est que le processus des contributions se faisait sous le mode du conditionnement opérant. On contribue rarement sur une base régulière quand on ne reçoit pas un feedback sur ce qu’on écrit. La réponse de l’autre, sa réaction, agit comme renforcement. Le comportement de contribuer est maintenu parce qu’il a comme conséquence la réponse « gratifiante » de l’autre. Alors voyez-vous, il n’y a rien de tout blanc ou de tout noir quand il est question d’apprentissage. Tout est attaché et chaque théorie est une tentative d’explication qui est coloré par les conditions initiales où se déroule l’expérience. Et il ne faut jamais, à partir du moment où elle est proposée, tenter de prouver qu’une théorie fonctionne. Il faut essayer de la réfuter. C’est à ce prix qu’on avance.
Je respecte la démarche de Piaget, comme celle de Vigotsky. Chacun vivait en son propre temps, dans sa propre société et il n’est pas étonnant, par exemple, qu’un jeune russe du début du siècle ait développé la thèse d’une construction sociale des connaissances dans une société soviétisée qui « trippait » sur le collectivisme. Et pas étonné non plus que son oeuvre ait refait surface au début des années « 70 dans l’Amérique de Woodstock…
Mais j’apprécie aussi et tient en haute estime l’oeuvre de Skinner qui, dans « Par-delà la liberté et la dignité » aura su dire les « vraies affaires ».
Finalement, mon commentaire est un peu plus long que je n’aurais cru… Sorry.
« Le comportement de contribuer est maintenu parce qu’il a comme conséquence la réponse « gratifiante » de l’autre. »
Alors je m’empresse de renforcer positivement monsieur St-Pierre pour son intervention fort pertinente.
B.F. Skinner a fait l’objet de nombreuses calomnies, la pire étant l’affirmation que sa fille a été élevée dans un « skinner box », ait développé des troubles mentaux, poursuivi son père pour finalement se suicider. C’est une croyance très répandue.
Dans un article du Gardian de Londres (où elle habite) sa fille a tenté de rétablir les faits:
http://books.guardian.co.uk/departments/healthmindandbody/story/0,6000,1168052,00.html
Mais j’entends toujours ce genre d’affirmation de la part d’étudiants en éducation à l’université ou des étudiants de CÉGEP qui disent l’avoir entendu dire par leur professeur.
P.S. J’ai eu la chance de rencontrer et de m’entretenir longuement avec son autre fille Julie S. Vargas, qui a suivi les traces de son père et a consacré sa vie à la recherche en technologie éducative.