«Je ne croyais pas que le milieu était si individualiste»

Le hasard fait bien les choses. Hier soir, je me suis lancé dans l’écriture d’un billet où il était question de l’isolement dont souffrent plusieurs enseignants, surtout en début de parcours. Une phrase tirée d’un billet de Stéphane Martineau m’avait particulièrement frappé : « Je ne croyais pas que le milieu était si individualiste ». Je n’ai pas pu publier le billet, car suite à une fausse manoeuvre, j’ai tout effacé avant une première sauvegarde… J’ai dormi dessus, comme on dit.
Ce matin, je me demande si mon erreur n’était pas plutôt un geste manqué, une sorte de réflexe pour faire inconsciemment ce que je ne pouvais me résoudre à faire; réécrire ce texte d’un autre angle. J’avais accumulé une série d’hyperliens qui menaient à autant d’articles traitant du malaise des enseignants et des directions d’école. Ça finissait par devenir déprimant. L’idée n’est pas de nier que les problèmes existent (ils sont nombreux), mais explorer quelques pistes de solution me semble une bien meilleure approche.
De fait, je crois qu’à chaque fois qu’un enseignant (ou une direction) ne se sent plus seul, il lui est possible de s’accrocher pour ensuite se développer et s’épanouir. Échanger des stratégies, objectiver des pratiques sans s’exposer au jugement, nommer ses limites, parler de ses bons coups et raconter sa dernière trouvaille ne font pas vraiment partie des moeurs. Même virtuellement, les scrupules sont nombreux et émergent rapidement quand on s’imagine en train de s’ouvrir; s’exposer aux moqueries, entendre les sarcasmes, passer pour un vantard (ou un plaignard) ou tout simplement, se dire qu’on va perdre du temps… des minutes si précieuses parce qu’on en manque quand on exerce cette profession. Pourtant, je persiste à croire que les filons de la communauté d’apprentissage et du mentorat méritent d’être exploités davantage qu’ils le sont.
Quand je lis ce genre de billet (merci à Kim Auclair de s’être «dénoncée») ou des témoignages de ce type, je me prends à rêver à moins d’isolement et à une mission éducative où le poids est réparti sur plusieurs épaules.
J’ai eu l’impression de me retrouver isolé dernièrement. Sur ce blogue en particulier, dans cette conversation, pour tout dire. Le repli sur soi est un chemin torturé qui me mine quand je l’emprunte. Qu’est-ce qui m’a aidé? Lire d’autres collègues, aller voir ailleurs, participer à d’autres conversations et surtout, relativiser mon appréciation de la situation, de mon positionnement. J’ai trouvé du réconfort, par exemple dans cette conversation chez François et je réalise (encore) que je n’ai pas à porter seul sur mes épaules les combats que je choisis d’entreprendre.
J’ai bien aimé la répartie de Luc Papineau sur ce billet d’André Chartrand qui me semble porteuse de bien des remèdes :
« Vous êtes en réflexion et vous ne vous en cachez pas. Moi, j’ai ma part de préjugés, de convictions et de croyances. Oui, je peux être très décapant avec la réforme. Cependant, j’essaie de ne pas rejeter du revers de la main les opinions qui divergent des miennes. »

S’il m’arrive parfois de me sentir pris dans un monde d’individualistes alors que je me considère une personne passablement « connectée », je m’imagine facilement jusqu’à quel point on doit se sentir seul quand on croule sous la tâche et le poids des responsabilités. La force des réseaux ne règle pas tout, mais je me félicite à chaque jour de pouvoir l’apprécier…
Notre milieu est plus collaboratif qu’on ne le ressent. À moi de me souvenir que l’individualisme guette quand même un peu et que souvent, je suis le premier à y puiser de mauvaises inspirations.

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2 Commentaires
  1. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 16 années Il y a

    Je crois que c’est en grande partie parce que les enseignants sont individualistes dans leurs pratiques qu’ils sont si malheureux. Et davantage en cette période de bouleversement, alors qu’ils pourraient trouver réconfort dans le travail d’équipe. Mais si on encourage le travail d’équipe dans les écoles, rien ne favorise son émergence, que ce soit l’accablement de la tâche, les horaires, ou l’environnement physique.
    L’organisation du travail dans les écoles tend à l’individualisme. À la longue, un professeur finit par s’en imbiber. Non-pas dans les relations personnelles, mais dans la conception du travail.
    La classe, c’est le cubicule du professeur. Il y opère seul, devant les élèves, comme un one-man-show. Il fait généralement ses planifications seul, l’obligeant à s’isoler pour cette partie de son travail. Idem pour la correction. Idem pour la recherche de matériel. Idem pour les rencontres avec les parents. C’est usant. À la longue, il finit par se replier sur lui-même… et à regimber.

  2. Photo du profil de MichelBerhin
    MichelBerhin 16 années Il y a

    Toute médaille a son revers et inversément !
    Certes, voilà bien une faiblesse du métier d’enseignant (1), mais aussi une de ses forces, selon moi. Car on sait les efforts qu’il faut parfois déployer pour faire bouger les choses, dans certains milieux professionnels atteints de léthargie.
    Or, une fois dans « cubicule », la porte fermée derrière lui, l’enseignant est « libre » d’entreprendre. Il ne doit pas attendre de mettre en projet tout l’établissement scolaire pour avancer dans la voie qu’il croit opportune. D’où que vienne l’interpellation : de ses lectures, de ses partenariats de réflexion hors école…. et zou, l’enseignant est autorisé à intégrer ce dynamisme dans sa pratique. On est très peu surveillé dans l’enseignement !
    C’est en tout cas ce que mon expérience de terrain m’a donné à connaître.
    Et le revers du revers, c’est bien sûr la pratique de l’enseignant fou qui s’embarque -seul- dans des voies irréfléchies. Certes, le contrôle viendra bien à un moment donné, exiger des justifications… mais après combien de dérapages, voire d’accidents (avec parfois mort d’homme !)
    Il y a d’autres effets iatrogènes, en matière d’enseignement !
    Prenons l’usage de certaines docimologies qui, alors qu’elles sont là pour traduire objectivement un avis de l’enseignant sur l’état d’avancement des apprentissages d’un élève, l’enferme dans une pratique, parfois arithmétique, parfois mécanique… qui rend l’évaluation inappropriée.
    Il eut encore mieux valu alors laisser parler la « bonne » subjectivité du pédagogue. Mais on sait ce que certains peuvent en faire… jusqu’à la pervertir effrontément.
    Une chose est sûre, on est dans le non-marchand. On travaille avec de l’humain. Tous les modèles organisationnels si bons soient-ils ne doivent avoir le dernier mot si leur application stricte révèle ça et là des dérapages… Il est alors urgent de les contrôler.
    (1) Je ne parle pas ainsi de l’individualisme, mais de la situation d’isolé qui est la nôtre, quand nous sommes dans nos classes

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