Jusqu’où un professeur et un syndicat peuvent-ils aller pour afficher un désaccord dans le contexte de l’implantation de la réforme?

«Les compétences que je ne touche pas, je mets systématiquement « B » à tout le monde», explique un enseignant dans cet article.

Est-ce un «crime» si grave que de donner de «fausses notes à ses élèves» quand on est enseignant et qu’on ne juge pas utile d’évaluer des compétences?
« Les enseignants qui se rebellent contre la réforme sont de plus en plus nombreux, assure la Fédération autonome de l’enseignement. «À mon école, c’est 80 % des profs qui ne l’appliquent pas», confirme un prof de Montréal. «Nous, on est assez délinquants. On se le dit entre nous qu’on n’applique pas la réforme», affirme un autre professeur. »

jusqu’à quel point est-ce une «faute professionnelle» que de boycotter le nouveau programme de formation quand on est membre d’un syndicat qui affirme être en croisade contre la réforme?
Que dire?
Voici quelques réflexions qui me viennent à la suite des derniers jours…

  • À chaque automne, dans la période où les écoles secondaires publiques disent à la télévision qu’ils sont «La bonne école», il est fascinant de voir les syndicats orchestrer leur propre campagne de promotion des intérêts de leurs membres. Je ne sais pas si c’est un hasard, mais toutes les sommes qu’investissent les C.S. sont rapidement lapidées par des événements qui nuisent aux efforts de recrutement légitimes des écoles publiques, en particulier sur l’Île de Montréal. Cette année, le syndicat et certains de leurs membres semblent penser que les parents ne sont pas demandeurs du renouveau pédagogique. Selon eux, «la bonne école» serait celle qui ne s’inspire pas de la logique des compétences et du désir de rendre les élèves plus actifs dans leurs apprentissages. Que d’efforts de promotion jetés à la poubelle! Après ça, on viendra encore dénoncer le financement public des écoles privées.
  • Des enseignants qui ont peine à comprendre ce qu’ils doivent faire pour être davantage dans le renouveau, il y en a plein. Des enseignants prêts à se vanter de ne rien faire dans le sens du renouveau tout en sachant très bien de quoi il est question, je ne sais pas combien il y en a, mais je crois que cette attitude témoigne de l’adhésion à une culture de l’affrontement; ça n’annonce rien de bon pour les écoles, les parents, les enseignants et les patrons…
  • Le «chialage organisé» est l’arme privilégiée par plusieurs et il convient de se demander en quoi chacun de nous est-il responsable de ce qui arrive? Comment fait-on pour gérer une telle situation où la proposition est à l’effet de confronter les dirigeants et la loi?

    «Directement pointée par la CSDM, l’Alliance des professeurs a réagi en assurant qu’il n’y a aucun mot d’ordre de ne pas appliquer la réforme dans les écoles, comme l’a dit hier son président, Pierre St-Germain. «Ni l’Alliance ni la Fédération [autonome de l’enseignement, qui représente 27 000 enseignants] n’ont lancé d’appel à la désobéissance civile», a-t-il indiqué, des propos corroborés par la présidente de la FAE, Nicole Frascadore.» (source)

    On baisse la température d’un côté et on monte le ton de l’autre» :

    «Les intervenants du milieu scolaire sont littéralement sortis de leurs gonds hier en apprenant que des profs ne respectaient pas la réforme et donnaient des notes bidons à leurs élèves.
    La présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Diane de Courcy, était outrée à la suite des propos tenus par la Fédération autonome de l’enseignement et rapportés dans l’article paru hier dans Le Journal de Montréal

    Personnellement, je suis d’avis que les directeurs d’école ont la clé de la solution en poche. Manifester beaucoup d’écoute, rappeller les droits et les responsabilités de chacun et surtout, assurer un leadership qui commande d’agir avec les enseignants comme il est demandé aux enseignants d’agir en classe dans le contexte du renouveau; moins d’information descendante et plus de coopération. C’est le temps de prouver par son comportement qu’on adhère aux principes du renouveau par les actions plutôt que par la parole. L’appropriation du renouveau n’arrivera pas suite aux discours; ce sont les changements de comportements qui lui donneront un espace pour exister, à commencer par ceux provenant des chefs d’établissement.

Je continue d’y réfléchir dans les prochaines heures…

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6 Commentaires
  1. Marie Jobin 16 années Il y a

    Si le ministère de l’éducation croit aux valeurs de la réforme scolaire, je crois qu’il devrait donner l’exemple et partir du vécu des enseignants.
    Si les commissions scolaires au lieu de standardiser donnaient à chaque direction d’école la marge de manoeuvre nécessaire pour construire localement avec son équipe école, peut être que de bons leaders pourraient avoir une chance « d’agir avec les enseignants comme il est demandé aux enseignants d’agir en classe dans le contexte du renouveau; moins d’information descendante et plus de coopération. »

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Je n’aime pas beaucoup moi non-plus cette attitude qui laisse entendre que les arguments d’autorité doivent primer. «C’est la loi, appliquez la loi…» Bof!
    Trop souvent, la seule façon d’encadrer que connaissent certains dirigeants est la standardisation. Ça pourrait tuer de bien belles initiatives. Nous avons été la cible de ce comportement dans mon école au début de l’expérience de l’école ciblée. Les hauts gradés du MELS n’aimaient pas nos façons de faire… Si je n’avais pas été au privé, on m’aurait muté là où je n’aurais pas voulu aller 😉
    Pourtant aujourd’hui, je me considère un assez bon ambassadeur du renouveau. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon sens critique malgré mon préjugé favorable à la réforme telle qu’exprimée actuellement. Vous visez dans le mil Mme Jobin. Si chacun doit suivre des directives pour être «dans l’esprit» des changements actuels, je ne vois pas d’avantage à croire dans ce renouveau!

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 16 années Il y a

    M. Asselin,
    Puis-je hasarder une question, et de même à M. Chartrand s’il nous lit: l’autonomie professionnel des enseignants a été évoquée dans le cas qui nous occupe. Jusqu’ou peut-elle leur permettre de ne pas tenir compte de la réforme?

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Excellente question M. Papineau; ce devrait être le point central de cette discussion.
    Est-ce que les enseignants étaient si centrés «programme» du temps où c’était souvent le manuel de base (ou le cahier d’exercices) qui tenait lieu de programme? Est-ce que le fait de se coller au max aux examens uniques en 4e et 5e secondaire était un gage de conformité d’enseignement du programme?
    Puisqu’il semble reconnu que le choix des stratégies n’est plus discutable d’un point de vue autonomie professionnelle, il nous reste la question des compétences. D’un point de vue légal, je ne suis pas un spécialiste, mais à partir du moment où le programme est prescriptif, je ne crois pas que cette question soit discutable. Par contre, puisqu’un élève compétent est un élève savant, on ne contrevient à aucune règle si on évalue les connaissances. À la fin d’un cycle, au bilan, je ne crois pas que l’exercice de l’autonomie professionnelle pourrait aller jusqu’à refuser d’évaluer la maîtrise des compétences puisque ce sont celles-ci qui sont prescriptives. Inventer des notes (ou des cotes) me semble irresponsable et au-delà de l’acceptable. Ne pas se sentir capable de bien évaluer les compétences et refuser de le faire, me semblerait plus justifié bien qu’avec le temps « cette excuse» risque de devenir moins «invoquable». Pour l’instant du moins, ne pas pouvoir s’assurer que les étudiants soient capables d’agir avec ce qu’ils savent me semble plus proche d’un acte professionnel difficile qu’impossible au pire.
    Je suis moi aussi curieux de savoir ce qu’en pense André.

  5. Photo du profil de Djeault
    Djeault 16 années Il y a

    « Les compétences que je ne touche pas, je mets systématiquement “B” à tout le monde», explique l’enseignant dans l’article.
    À la rigueur, l’enseignant X aurait-il démontré plus de rigueur en indiquant que cette compétence n’a tout simplement pas été mise en oeuvre, touchée, durant l’étape évaluée par le bulletin, au lieu de mettre un B à TLM ?
    Ça lui aurait au moins permis de réaliser qu’elle, il, n’a pas fait ce qu’il fallait durant l’étape qui se termine pour favoriser chez l’élève l’utilisation de cette, ces compétences !
    Prenons, par exemple, la compétence « exploiter les TIC ». Un enseignant qui n’a pas l’habitude ou n’amème carrément jamais ses élèves au lab d’informatique, et n’exige aucun travail fait à l’ordinateur, aura bien sûr de la difficulté à évaluer cette compétence.
    S’il ou elle met simplement un B, au lieu d’être pleinement honnête et d’admettre que cette compétence n’a pas été touchée, il, elle ment aux élèves, à leurs parents et à lui-même et s’empêche de réaliser pleinement qu’il, elle, n’a pas vu à cette compétence durant l’étape qui se termine, que c’est un fait, mais qu’il pourra, devra, y voir durant l’étape qui s’amorce…
    Ne pas avoir touché à une telle ou telle compétence à une étape n’est pas incorrect en soi,, si on a l’intention de s’y pencher davantage à la prochaine : par exemple, en ESL, dans le livre du maître de Zoom, à chaque unité, activité, il y a des codes qui renvoient à la section, liste des compétences au menu : chaque unité, ou activité ne peut pas toucher toutes les compétences, and that’s OK!
    Néanmoins, l’attitude « Les compétences que je ne touche pas, je mets systématiquement “B” à tout le monde » n’est pas ce qui pourrait être appelé de la rigoureuse honnêteté…

  6. Photo du profil de AndreChartrand
    AndreChartrand 16 années Il y a

    Bonjour Mario, Bonjour M. Papineau,
    En premier lieu, je vous demande de m’excuser pour le délai que j’ai mis à répondre à votre invitation. Mais, comme vous le savez certainement, je n’ai pas votre assiduité sur la carnetosphère. Par ailleurs, j’ai pris le temps de réfléchir un peu car il n’y a pas de réponse simple et définitive à cette question. Voilà toutefois comment je vois les choses.
    Si on prend la question par le bout de l’autonomie professionnelle des enseignants, on doit d’abord dire que cette autonomie n’est pas absolue. Elle est encadrée par un dispositif législatif, règlementaire et par les contrats de travail (conventions collectives). C’était vrai avant la réforme, c’est encore vrai maintenant. L’autonomie professionnelle n’autorise donc pas un enseignant à se soustraire aux obligations que lui impose ce cadre. Comme certains aspects de la réforme sont prescrits par ce même cadre…
    Ça, c’était pour le principe général.
    Plus précisément, l’autonomie professionnelle des enseignants trouve des assises, notamment, dans la Loi sur l’instruction publique. Cette dernière reconnaît aux enseignants le droit de diriger son ou ses groupes, le droit de choisir les interventions pédagogiques et les instruments d’évaluation.

    19. Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de diriger la conduite de chaque groupe d’élèves qui lui est confié.
    Responsabilité de l’enseignant.
    L’enseignant a notamment le droit:
    1° de prendre les modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié;
    2° de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés.

    En ce qui concerne le choix des interventions et des méthodes pédagogiques, ce droit est confirmé dans la littérature officielle récente sur le renouveau pédagogique notamment dans Poursuivre le renouveau pédagogique, automne 2006 et dans Le renouveau pédagogique. Ce qui définit « le changement », octobre 2005.
    Toutefois, les programmes d’études sont prescrits. Cela signifie, par exemple, que si l’enseignant peut choisir les instruments d’évaluation, il ne peut pas choisir les objets d’évaluation. Comme le PDF prescrits le développement de compétences, ces dernières doivent être évaluées et l’enseignant ne peut invoquer son autonomie professionnelle pour se soustraire à cette obligation. Il en va d’ailleurs de même avec les contenus des programmes. Si l’enseignant a une grande marge de manœuvre quant à l’aménagement de ces contenus, il ne lui est pas loisible d’en faire fi.
    À cet égard, la Loi sur l’instruction publiquestipule :

    Élaboration des programmes.
    461. Le ministre établit, à l’éducation préscolaire, les programmes d’activités et, à l’enseignement primaire et secondaire, les programmes d’études dans les matières obligatoires ainsi que dans les matières à option identifiées dans la liste qu’il établit en application de l’article 463 et, s’il l’estime opportun, dans les spécialités professionnelles qu’il détermine.
    Objectifs.
    Ces programmes comprennent des objectifs et un contenu obligatoires et peuvent comprendre des objectifs et un contenu indicatifs qui doivent être enrichis ou adaptés selon les besoins des élèves qui reçoivent les services.

    La convention collective (2000 – 2002) du secteur public quant à elle reprend à son compte ce mécanisme de prescription et d’adaptation possible dans la formulation de certains aspects de la tâche enseignante.

    8-1.05 Il revient à l’enseignante ou l’enseignant de choisir la démarche appropriée pour la préparation et la présentation de ses cours dans les limites des programmes autorisés.
    8-2.01 L’enseignante ou l’enseignant dispense des activités d’apprentissage et de formation aux élèves et elle ou il participe au développement de la vie étudiante de l’école.
    Dans ce cadre, les attributions caractéristiques de l’enseignante ou l’enseignant sont:
    1) de préparer et de dispenser des cours dans les limites des programmes autorisés;
    […]
    6) d’évaluer le rendement et le progrès des élèves qui lui sont confiés et d’en faire rapport à la direction de l’école et aux parents selon le système en vigueur;

    Bref, l’autonomie professionnelle permet difficilement à un enseignant de se soustraire à l’application des aspects les plus formels de la réforme. Cependant, en utilisant avec un peu d’imagination toute la marge de manœuvre que permet l’autonomie professionnelle, les enseignants réfractaires à la réforme peuvent probablement s’aménager un modus vivandi acceptable. Quant à la contestation elle doit se faire sur la place publique comme plusieurs le font déjà. Cette suggestion me paraît être une application du principe général « obey now, grief later ».
    Quant à M. B (celui-là même qui met des B à tout le monde), il se place dans une position dangereuse. Il contrevient à ses obligations les plus élémentaires. Par ailleurs, j’estime que M. B manque beaucoup d’imagination. Je serais très curieux de savoir ce qu’il entend au juste par « appliquer la réforme » et « ne pas appliquer la réforme ». Je subodore une réponse du genre « faire des projets ». « pas faire de projets »,
    En espérant que tout cela ait un peu de sens pour vous messieurs. Désolé pour la longueur de cette réponse. Je n’ai pas su faire plus court.

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