Ce soir, le sommeil ne viendra pas. C’est l’histoire de sa vie, l’affaire d’un coup de poing. Il a beau vouloir reprendre la scène, retirer le geste malheureux, imaginer d’autres scénarios… rien ne peut le rassurer maintenant que c’est fait.
Il est jeune; on peut espérer qu’il s’en remettra, lui. Ce sera lourd, pas mal «heavy» et pour un grand bout de temps. Il vient d’être accusé à quatorze ans d’un acte criminel qui vient de changer complètement sa destinée. À côté de celui qui ne s’en est pas remis, on peut penser qu’il n’est pas à plaindre puisqu’il est là, lui. Tout faux…
J’aimerais trouver les mots pour dire «attends, donne-toi du temps». Ça prendra peut-être toute une vie pour s’en remettre, je ne sais pas. Dans quelques mois, le «involontaire» aura pris un peu le dessus sur l’autre. Car c’est bien de ce qu’il s’agit. Un coup tout plein de négligence, une violence comme il y en a trop souvent, mais surtout, un accident. Je ne dis pas ça pour banaliser; c’est grave ce qui s’est passé. Mais il y a assez d’un jeune homme tué.
«Tu as maintenant deux vies à vivre. Rien que pour ça, tu dois t’en remettre. Même si tu ne dormiras pas, au réveil demain, tu vas t’en vouloir pour ce qui s’est passé. C’est pas ça le problème le plus dur à surmonter… cette autre épreuve, tu la verras dans les yeux des autres. Accroche-toi. Cette mort était involontaire… il faudra l’assumer. Place toute ta volonté pour tenter de réparer et sois responsable pour l’honorer. En vivant pour toi et aussi pour lui, tu sauras retrouver la paix, en tout cas, une paix.
Mes meilleures pensées t’accompagnent dans ce long combat que tu entreprends. Je suis tout aussi compatissant envers tes parents et ceux de celui qui n’est plus. Pour ces derniers, je suis sans mot; j’offre mon empathie.»
Mise à jour du 28 avril: Des jeunes proches de Jean-Benoît (le jeune garçon qui a quitté trop vite) ont lancé un «Skyblog» qui accueille les témoignages de ceux qui en auraient envie (source). Sous l’hyperlien ci-bas, je reproduis une réflexion de Marc-Antoine Rioux (élève de 5e secondaire de l’École de Jean-Benoît) publié dans Le Soleil de ce matin (je n’ai trouvé au cun hyperlien) et qui traite des événements…
Réflexion, «Si je vous écris aujourd’hui…»
Marc-Antoine Rioux, 17 ans*
Je vous écris aujourd’hui cette lettre pour vous faire part de la situation actuelle de notre Québec. Notre belle nation sombre dans un maelstrom indescriptible. On ne se préoccupe pas des vrais enjeux. Tout le monde veut s’impliquer, mais nous laissons tous cela aux voisins. On laisse des massacres sans précédent s’accomplir dans nos institutions scolaires qui sont pourtant des lieux d’éducation morale et mentale. Il est minuit moins quart, Québec!
Vous, la génération d’avant la mienne, êtes en train de nous montrer un exemple et nous le suivons! J’habite Trois-Pistoles et je me croyais bien à l’abri de la violence! Cette dernière est venue me frapper en plein visage ce midi (jeudi)! Un étudiant de mon école s’est fait frapper, à la suite d’une banale chicane qui aurait pu être évitée, et il est, au moment où j’écris ces mots, entre la vie et la mort**.
Il est normal de voir des effusions de violence lorsque ceux qui nous gouvernent la prêche pour tenter de régler des conflits. Nous (la génération des années 90) sommes de simples étudiants qui ont bien de la difficulté à faire la différence entre le bien et le mal, à la recherche d’identité. L’image que vous nous envoyez est loin d’être facile à déchiffrer. Un gouvernement qui tente de faire la paix par les armes? Des soldats qui meurent au nom de la paix? Ça va s’arrêter où? Dites-le-moi parce que j’ai bien hâte de le savoir!
Des tours qui s’effondrent, des bombes qui explosent, des voitures qui se kamikazent. Ne sommes-nous pas capable de vivre ensemble?
Est-ce si difficile de comprendre que tout ce que nous voulons c’est la paix? Il faut comprendre ce que les autres générations n’ont pas compris. C’est pas correct de se frapper dessus, les ti-namis! Puis-je rendre le message plus simple? Peu importe le problème, il y aura toujours une solution pacifique. Comprenons-le une fois pour toutes!
Mais non, il faut toujours plus d’argent, que ce soit celui qui sert à produire le prochain film « J’te tape dessus et tu me tapes dessus » ou celui qui sert à envoyer nos soldats se battre sans buts bien fixés en Afghanistan. Et quand le problème n’est pas l’argent, c’est le pouvoir! Pourquoi, pourquoi toujours rechercher ce que l’on n’a pas? Toute situation à ses limites et notre génération vous exprime la sienne!
Alors quand déciderons-nous de changer, de mettre nos vieilles querelles de côté, de s’unir contre l’ennemi qui, dans cette situation, est nous-mêmes?
Le temps des débats parlementaires vains est terminé. Nous voulons des réponses, des solutions, la fin de la violence.
Notre monde déraille de plus en plus. Il a soif de paix. Agissons avant qu’il ne soit trop tard. Unissons-nous et changeons…
* Étudiant de cinquième secondaire, école L’Arc-en-ciel, Trois-Pistoles
** Jean-Benoît Beaulieu est décédé depuis.
Je ne comprends pas le « involontaire ». À ce que je sache, quand on frappe qqun, c’est pour lui faire mal, et à chaque fois, il y a un risque, si minime soit-il de tuer l’autre. C’est pas un accident ce qui est arrivé. C’est juste que l’ado qui a commis le geste a été moins chanceux que trop d’ados.
Ma perspective est celle d’un éducateur, pas celle d’un juriste Brem. Je me suis assis des centaines de fois avec des jeunes qui ont échangé des coups de poing, je suis arrivé souvent au moment où on sentait qu’il était pour en pleuvoir, sans compter le nombre de rencontres pour désamorcer, avant que la moutarde monte au nez. Dans toutes ces occasions et je soupçonne que c’est la même chose dans cette tragédie de l’École Arc-en-ciel, aucun des deux ne voulait la mort de l’autre, ni-même pensait à lui faire vraiment mal. Ces pertes de contrôle sont toujours malheureuses et en frappant, les jeunes prennent le risque de blesser l’autre, bien entendu.
Je considère qu’on doit qualifier l’événement d’accident. Le coup de poing est lié à la volonté de la personne qui l’a donné, mais cette même personne, à 14 ans de surcroît, ne pouvait pas prévoir qu’il pouvait causer la mort. Les conséquences sont malheureuses et je le répète, je ne veux rien enlever à la responsabilité du jeune homme, mais quand le résultat est aussi peu prévisible, on doit parler d’accident. Qui plus est, dans une perspective éducative…
Ceci étant dit, personne ne devrait prendre la chance de frapper quelqu’un d’autre pour résoudre un différent, à quatorze ans comme à quarante-cinq.
AUX NUANCES JURIDIQUES
L’Homicide involontaire, Manslaughter, est différent du meurtre au premier degré, lequel implique la préméditation.
AU PREMIER DEGRÉ
Selon le Ministère de la Justice du Canada, il y a « les meurtres au premier et deuxième degrés. Le meurtre au premier degré se caractérise par un ou plusieurs des aspects suivants :
1) il est commis avec préméditation et de propos délibéré :
2) il englobe le meurtre d’un agent de police, d’un directeur ou d’un autre fonctionnaire ou employé permanent d’une prison dans l’exercice de ses fonctions;
3) la mort est causée en commettant ou en tentant de commettre certains autres actes criminels (détournement d’aéronef, enlèvement et séquestration, harcèlement criminel ou agression sexuelle, par exemple).
Les meurtres qui ne répondent pas à au moins un de ces critères sont considérés comme des meurtres au deuxième degré. »
HO-MICIDE COUPABLE INVOLONTAIRE
Clairement le cas, à l’@rc-en-ciel de Trois-Pistoles.
« L’homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si « la personne qui l’a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine » (paragraphe 232(1) du Code). »
« Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser est une provocation et peut entraîner la réduction de l’accusation à celle d’homicide involontaire coupable si « l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir pu reprendre son sang-froid » (s. 232(2) CCC). »
« 60 % de l’ensemble des personnes accusées d’homicide sont condamnées pour homicide involontaire coupable (Boyd, 1988). »
Ces derniers 20 ans, juste au QC, ce n’est pas la première fois qu’un seul coup de poing enlève la Vie ; r@ppelons-nous en, certes : encore une bien triste Histoire ) – ;
C’est spécial de tomber ce soir sur ce billet, car j’ai eu, à très peu de mots près, la même discussion avec des élèves aujourd’hui…
Quel beau texte Mario. Qui exprime toute la compassion d’un enseignant,d’un éducateur et aussi d’un papa. Cette histoire est tragique, et universelle: deux ados qui en viennent aux poings, ça aurait pu arriver au coin de la rue, à l’aréna, au dépanneur. Il aura fallu que ça arrive à l’école pour qu’aussitôt, on en fasse une histoire liée à la violence chez les jeunes, dans un contexte « sans surveillance ». C’est d’une tristesse infinie pour la famille de l’enfant décédé, mais aussi pour celle du jeune qui vivra toute sa vie avec ce souvenir. Et aussi pour ces enseignants, ce personnel qui se demandera si les choses auraient pu être autres…