Yann Martel vs Stephen Harper

Je me suis un peu emporté sur le blogue de mon ami Clément à propos de l’initiative «What is Stephen Harper reading?» de l’écrivain émérite Yann Martel (voir ici pour une explication en français de la démarche).

«Je peux me tromper, mais je crois que la démarche de M. Martel n’avait pas réellement de rapport avec le fait choisir le bonhomme [M. Harper] tel qu’il est dans le sens de partir de ce qu’il aime, de ce qui l’intéresse, de ce qui pourrait lui donner ce goût de la culture. (…) Je crois que les choix [de livre] de deux semaines en deux semaines vont être le reflet de ce que M. Martel voudrait que M. Harper soit!»

Voilà que je me cite moi-même, maintenant… Je ne reprendrai pas ici l’ensemble de l’argumentation, mais je demeure convaincu que l’idée de Yann Martel n’envoie pas le bon message. L’article du Devoir rapportant l’initiative de l’auteur de «L’histoire de Pi» met l’emphase sur l’élément déclencheur de la démarche née en réaction à une cérémonie «superficielle» soulignant les 50 ans du Conseil des arts du Canada:

«J’avais envie de crier: « Est-ce que nous ne valons rien, bande de philistins »? Est-ce que vous croyez que nous ne sommes que des parasites qui se nourrissent à même le dur labeur de nos chers citoyens?»

M. Martel a cru bon «reprendre en main la culture de Harper» (c’est d’ailleurs le titre de l’article du Devoir) et c’est sur ce point que je m’émeus. Je me dis que ce réflexe prête flanc à cette idée que pour transmettre une certaine culture, il faille choisir certaines oeuvres et le lecteur n’aura d’autres choix que de s’ouvrir l’esprit. M. Martel explique dans une section de son site (qui est en anglais seulement d’ailleurs, «The story behind this website») ce qui le préoccupait au sortir de son aventure au 50e du Conseil des arts du Canada. Le mot clé semble être la notion de «stillness»:

«But he [Stephen Harper] must have moments of stillness. And so this is what I propose to do: not to educate—that would be arrogant, less than that—to make suggestions to his stillness.»

Sur le fond donc, je me dois de diminuer d’un cran mes appréhensions. Je continue de penser qu’il y a mieux à faire que de suggérer aux deux semaines un livre à quelqu’un pour occuper ses moments de quiétude même si cet ouvrage est «known to expand stillness». Mais si la démarche devait provoquer ce que Clément décrit, je serais le plus heureux des hommes… «que le Premier ministre renverse l’exercice en répondant à l’écrivain avec ses propres suggestions.» En ce sens, la suggestion du livre de Léon Tolstoï, «La Mort d’Ivan Ilitch» s’explique un peu mieux. De fait, j’avais été estomaqué de ce premier choix et mon sentiment était que ça ressemblait à «je vais vous dire ce qui serait bon que vous lisiez pour vibrer à mon diapason». Je m’en vais de ce pas mettre un bémol à «la sévérité» de ma critique de l’initiative aux commentaires #2 et #4 du billet de Clément. Laissons la chance au coureur, on verra bien!

Mise à jour du 1er mai: Le deuxième livre suggéré par Yann Martel est «La Ferme des animaux» de George Orwell.

Mise à jour du 15 mai: Le troisième livre sélectionné est «Le meurtre de Roger Ackroyd» de Agatha Christie.

Mise à jour du 30 mai: Le quatrième livre choisi est «À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré» de Elizabeth Smart.

Mise à jour du 12 août: On a maintenant droit à un site en français et nous en sommes au livre #9. Voici les titres qui se sont ajoutés:

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