Des chiffres, c’est lettre!

L’annonce du Conseil Supérieur de l’Éducation qui avait à se prononcer sur le régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire a relancé le débat sur le bulletin scolaire en ces temps de renouveau pédagogique. Dans son communiqué de presse, le CSE a bien tenté de minimiser l’impact de sa position:

«Finalement, le Conseil ne souscrit pas à la modification concernant l’obligation d’exprimer, sous forme de pourcentage, les résultats de l’élève ni à celle d’inscrire la moyenne du groupe dans le bulletin et le bilan des apprentissages transmis aux parents.»

C’est que le gouvernement Charest a rapidement tranché au printemps dans la foulée du programme du parti de Mario Dumont et le milieu scolaire est maintenant secoué par le retour du bulletin chiffré et des moyennes de groupe. Les fonctionnaires du MELS souffrent en silence de cette décision qu’ils jugent totalement inconséquente (c’est ce que je pense que les fonctionnaires pensent). Les centrales syndicales les plus anti-réforme sont pris de court par cette mesure étant contre l’évaluation des compétences (qui demeure), mais bien obligé d’applaudir, faute de passer pour d’éternels chialeux (ce que je pense qu’ils sont). La majorité des enseignants syndiqués est bien mal prise étant obligée de considérer la position de plusieurs pédagogues qui n’en reviennent pas du caractère illogique de ce geste, en même temps qu’elle doit prendre acte du fait que le dossier de l’évaluation scolaire a été mal défendu et teinté des interprétations les plus loufoques (bulletins à «pointes de tartes» ou en «bonhomme sourire»). Bref, on n’entend pas les gens de la CSQ. Du côté des parents, on aurait beau dire que ce n’est pas ce qu’on a demandé (le retour des notes), mais si ça permet aux parents d’enfin comprendre les bulletins, ce sera difficile de déchirer sa chemise. Enfin, la fédé des C.S. est du même avis que le CSE sur cette question, à peu de chose près.

Politiquement (c’est la seule façon de pouvoir apprécier cette décision), le retour en arrière (et plus parce qu’au primaire, il n’y en avait presque plus de bulletins chiffrés) permettra à Mme la ministre de pouvoir dire qu’elle a réformé la réforme, se donnant un rapport de force intéressant à la table de pilotage et face aux partis d’opposition. Le calcul est le suivant: les gains dans l’opinion publique valent cent fois la moue des fonctionnaires et de quelques pédagogues. Force est d’admettre que ces gens ont eu tout le temps de faire la pédagogie du renouveau et sur les questions d’évaluation, à tort ou à raison, le gouvernement a jugé qu’il fallait profiter de la confusion pour faire son lit, politiquement parlant. Malheureusement, les arguments des profs malgré tout arrivent trop tard (et que dire de l’excellente discussion à la suite du billet).

Je suis d’avis que le CSE tient une bonne position pour de mauvaises raisons. Le bulletin est avant tout un outil de communication aux parents et cette histoire «d’impact négatif sur la perception de la compétence et l’estime de soi d’une bonne proportion d’élèves» est le pire des arguments. M. «le prof malgré tout» fait preuve de bien plus de sagesse:

«Avez-vous déjà essayé de mesurer une distance en utilisant une unité de poids? Ça ne va pas bien hein? On peut dire que le parc est à trois cents mètres de chez soi, ou même, à 2 minutes de marche, mais une phrase du genre : «J’habite à 150 kilogrammes de chez ma soeur», ça sonne faux. Par contre, des fanatiques de l’entraînement pourraient dire qu’ils habitent à 400 calories du travail. Des fanatiques…»

En ce qui me concerne, j’ai toujours prétendu que le jour où les enseignants auront reconsidéré leurs pratiques en classe sera celui où on pourra reparler de leurs pratiques en évaluation. Bien sûr, Gilles a raison de parler d’une période bien triste pour le monde de l’éducation, mais baisser les bras à ce moment-ci n’aidera pas davantage l’école à se transformer.

Je peux «faire avec» les chiffres même si c’est incohérent parce que je comprends «la game». Je ne dis pas que je suis d’accord, je dis que je fais partie de ceux qui n’ont pas convaincu assez de gens de l’à-propos d’une évaluation centrée sur l’aide à l’apprentissage plutôt que sur le tri social. Ou bien les arguments n’étaient pas convaincants ou bien ils étaient mal formulés ou encore, ils ont fait face à de meilleurs, ce qui est aussi une hypothèse à considérer. Parlant d’argumentaire, avons-nous seulement pris le temps de s’en contruire un?

En attendant, il y a encore beaucoup d’espace pour améliorer l’école et si j’osais être cynique, je dirais que la situation actuelle procure davantage de marge de manoeuvre à l’essentiel de la réforme du curriculum que celle de l’automne passé où on ne donnait pas cher du passage du renouveau au secondaire…

En attendant que M. Proulx reprenne du service au RAEQ, je suggère de passer à un autre programme.

Mise à jour du 26 août: Enfin, une réaction de la CSQ.

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3 Commentaires
  1. David D'Arrisso 15 années Il y a

    «Le bulletin est avant tout un outil de communication aux parents et cette histoire «d’impact négatif sur la perception de la compétence et l’estime de soi d’une bonne proportion d’élèves» est le pire des arguments.»

    Certes, cet élément est présent dans l’argumentaire que le Conseil développe dans le cadre de son avis et, à cet effet, les médias l’ont repris jusqu’à plus soif, ou, plutôt, jusqu’à faire oublier le reste de la réflexion du Conseil. Or, ayant participé à cette dernière, je vous assure que la réflexion du Conseil est beaucoup plus développée, malgré les délais impossibles qui lui ont été impartis pour la rédaction cet avis.
    À cet effet, je vous invite, avant de poursuivre votre réflexion en prenant à partie les arguments du Conseil, d’aller au-delà du communiqué de presse et des interprétations qu’ont pu en faire les journalistes et autres chroniqueurs en faisant leur topo. Référez-vous plutôt directement au texte de l’avis. Vous y découvrirez le cadre d’analyse que s’était donné le Conseil pour mener sa réflexion, les éléments sur lesquels il s’est véritablement penché (et sur lesquels il ne s’est pas penché!) et, enfin, l’ensemble des arguments sur lesquels repose sa prise de position. Il va s’en dire que ceux-ci vont bien au-delà de la simple phrase, malheureuse à vos yeux, que vous avez reprise dans votre billet.
    Je n’entrerai toutefois pas dans un débat sur la valeur des arguments du Conseil, car la tâche de les défendre incombe à la présidence. Cependant, j’ai déjà fait part de ma position personnelle sur le sujet des bulletins, que vous trouverez dans un billet déjà publié sur le blogue du RAEQ .

  2. Michel le Neuf 15 années Il y a

    Mon cher Mario, mon cher David,
    La farce continue, c’est tout. Quant à moi je persiste à croire « qu’en refusant depuis quelques années d’accepter de se replier stratégiquement vers un bulletin chiffré pour mieux se concentrer sur le processus d’évaluation lui-même, certains de ceux qu’on appelle nos leaders pédagogiques, viennent d’offrir une victoire à ceux qui s’opposent à ce qu’ils appellent « la » réforme. Tout ça, parce qu’on n’a pas fait l’effort de penser que le bulletin ce n’était qu’une interface qui devait être conviviale, « user-friendly » pour le parent-usager. » Bon, c’est vrai, je radote, puisque j’ai déjà écrit ça sur mon blogue il y a quelques mois.
    Je disais aussi que la grande défaite là-dedans, le drame, c’est de se faire ramener à l’ordre par le politique qui joue au pédagogue.
    Mais, est-ce vraiment étonnant de se retrouver là, avec ce grand fossé qui sépare les perceptions des pédagogues et celles de l’opinion punlique ? Je crois que quand on relit ce passage de l’École enfirouapée (1978) de Jacques Grand’maison, ce n’est pas étonnant, bien le rebours:
     » L’éducation est un lieu où l’on peut constituer un sous-système enroulé sur lui-même et même une sous-culture, qui resteront assez longtemps en marge du pays réel, sans connaître les vérifications plus évidentes auxquelles les lieux économiques et politiques sont soumis. Et chez nous, ce problème s’accuse dans la mesure où le monde scolaire est souvent une structure riche dans un environnement relativement pauvre. Ce qui a pu jouer dans le caractère un peu schizoïde, irréel, artificiel de bien des expériences. »

  3. steve bissonnette 15 années Il y a

    Pour alimenter vos réflexions, j’attire votre attention sur les documents suivants :
    1. Avis d’experts en mesure et évaluation des apprentissages sur le projet de politique d’évaluation des apprentissages
    http://www.dep.uqam.ca/recherche/labform/AVISEXPERTSEVAPFASC11pts12juinweb.pdf
    Le résumé de cet avis :
    http://www.dep.uqam.ca/recherche/labform/AVISEXPERTSresume6juinfinal.pdf
    2. Une recherche de Roch Chouinard sur les effets des pratiques évaluatives :
    http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/recherche/pdf/RF-rchouinard.pdf
    Chouinard et ses collègues ont évalué les effets des pratiques évaluatives sur plusieurs variables, dont le rendement scolaire. À ce sujet, voici ce qui est rapporté en page 63:
    «Approche évaluative et rendement scolaire
    La présente étude poursuivait aussi l’objectif d’examiner les relations entre les différentes
    approches évaluatives identifiées et le rendement en mathématiques et en français. Le seul résultat significatif à cet égard se situe au secondaire alors que les élèves exposés à une approche unimodale de l’évaluation rapportent de meilleurs résultats que les élèves sous une approche multimodale. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, nos résultats indiquent qu’une plus grande diversification des méthodes évaluatives, la participation accrue des élèves à la démarche et l’individualisation plus poussée des pratiques évaluatives ne peuvent être associées à une augmentation du rendement des élèves».
    «Approche unimodale = caractérisée par le
    recours aux tests et aux examens.
    Approche multimodale, caractérisée par une plus grande individualisation des pratiques évaluatives, la participation accrue des élèves à la démarche, le recours à des sources plus variées de mesure (productions individuelles et travaux d’équipe) et par un recours moindre aux tests et aux examens» (p.6).

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