Au moment où j’écris ces lignes, je suis en attente d’un court texte provenant du comité de coordination du Réseau pour l’Avancement de l’Éducation au Québec (RAEQ) dans le contexte où le but de la rencontre d’hier était de préparer une prise de position sur une hypothèse qu’examine la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, soit de «rendre compte des connaissances acquises dans le bulletin et le bilan des apprentissages en sus des compétences».
L’adoption d’une position commune au sein des membres du groupe me paraît être un exercice difficile depuis hier. La jeunesse du mouvement qu’est le RAEQ, le fait qu’il ne se soit pas donné de structures formelles (un C.A., des règlements généraux, etc.) et la volonté d’agir par consensus me semblent être en cause. Néanmoins, la grande qualité des participants et la diversité de leur provenance ont fait en sorte qu’à ce stade-ci, je suis davantage déçu que frustré de ce qui arrive.
J’ai beaucoup aimé la discussion d’hier. Il est assez rare que des parents, des universitaires, des profs, des directions d’école et des C.P. puissent discuter d’évaluation des apprentissages dans un agora aussi peu intentionné, si ce n’est de vouloir que ça aille mieux en éducation au Québec. J’ai entendu hier des points de vue critiques autant que des plaidoyers efficaces envers les changements actuels accompagnant l’appropriation du nouveau programme de formation de l’école québécoise. En gros, les gens sur place me semblaient partager les convictions suivantes:
- Un élève «compétent», c’est un élève «savant».
- La ministre de l’Éducation et «le politique» ont créé toute une secousse dans les dernières semaines et il y a un réel danger de dérape dans le cheminement de ce qui est convenu d’appeler «la réforme de l’éducation».
- La réforme a pu être mal expliquée, mal comprise, mal vécue ou mal administrée, mais elle demeure un vecteur de changement important; elle a engendré plusieurs impacts positifs en classe et à l’école et on n’entend pas assez de ces histoires à succès qui démontrent sa pertinence. Ces histoires existent en grand nombre…
- La question du bulletin scolaire est en même temps un «incontournable enjeu» et un «faux-débat». Quand une équipe-école développe des pratiques évaluatives qui respectent le cadre de référence actuellement en vigueur en évaluation, il est souvent constaté que le bulletin prend beaucoup moins d’importance pour les parents quand vient le temps d’apprécier les résultats scolaires de leur enfant; le portfolio (ou le ePortfolio), les rencontres et les autres façons de témoigner des apprentissages deviennent beaucoup plus importants. Cela dit, le bulletin doit rester compréhensible et exempt de langue de bois, sans prendre les gens pour des imbéciles.
- Il devient très important de nommer «qu’évaluer des compétences», c’est «évaluer des connaissances», entre autres; chercher le moyen de rendre compte des connaissances dans le bulletin pourrait s’avérer une forme de leurre et ainsi, ouvrir la porte à un affaiblissement de l’approche par compétence, à laquelle les gens tiennent beaucoup.
La question posée prend pour acquise une volonté ministérielle de rendre compte davantage des connaissances dans le bulletin et le bilan des apprentissages. C’est ici que le consensus sur la réaction à avoir s’arrête. Il y avait dans la salle des «oui mais» et des «non plutôt».
Les «oui-mais» (dont je faisais partie) voulaient offrir une porte de sortie à la ministre en affirmant qu’il était effectivement possible de rendre compte des connaissances en cours d’apprentissage, mais pas au bilan et surtout pas en juxtaposition aux compétences. Les «non plutôt» se disaient qu’il fallait insister pour ne pas évaluer de façon explicite les connaissances pour toutes sortes de bonnes raisons et que, de toute façon, valait plutôt mieux réaffirmer qu’on n’a jamais cesser de tenir compte des connaissances dans les nouvelles pratiques évaluatives centrées sur les compétences.
Je devrais recevoir sous peu la proposition de texte à transmettre aux médias et à qui voudra bien entendre parler de l’avis du RAEQ. Nous devrions être une trentaine de volontaires à réagir d’ici la fin de la P.M.; je saurai après si j’ai raison de penser qu’on aurait dû tenir un vote indicatif pour savoir de quel côté les cent personnes présentes hier penchaient…
En attendant, on peut lire ce billet de Sylvain Bérubé qui n’était pas sur place hier, mais qui aborde le sujet en cause, ce billet de François Guité écrit à la suite de deux événements auxquels il a participé vendredi et samedi (dont la rencontre du RAEQ), cet article du Doyen de la Faculté d’éducation de l’Université de Montréal qui s’est adressé à nous à peu près dans ces termes hier (merci à André Chartrand d’avoir «blogué» ce texte) et cet éditorial de Brigitte Breton publié au Soleil portant sur les dernières prises de position libérales en matière de dictées à l’école.
J’attends le courriel de Mme Lafortune et je ferai une petite mise à jour…
Mise à jour de fin de soirée: J’ai pris connaissance du projet de déclaration vers le début de la P.M. Ce texte d’un peu plus de mille trois cents mots m’a semblé reprendre plusieurs arguments des «non plutôt», mais j’attendrai la version finale avant d’en dire plus. J’ai fait quelques suggestions. Je serai déçu non pas du penchant des arguments, mais du fait qu’on ne veuille pas répondre directement à la question posée. En fin de P.M., j’ai reçu un courriel nous annonçant (ceux qui avaient fait des commentaires, j’imagine) que le texte final serait expédié aux journalistes demain A.M. Il semble que je pourrai le publier vers 9 h, demain A.M.
Mise à jour du lundi A.M.: Je viens de recevoir la position finale. Je suis d’accord sur le fond avec ce qui est publié, même si je demeure déçu qu’on ne réponde pas directement à la question, à savoir «qu’il est possible de rendre compte dans un outil de communication aux parents des connaissances en cours d’apprentissage, mais pas au bilan». Ça demeure une bonne idée de soumettre ce document à la communauté, aux journalistes et à la Ministre.
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Dommage, Mario, que ta nuance d’hier (i.e., il est « possible de rendre compte des connaissances en cours d’apprentissage, mais pas au bilan ») ne se retrouve pas dans le courriel que je viens de voir circuler.
Ce qui s’y retrouve, cependant, c’est un écho à ton Un élève «compétent», c’est un élève «savant». En effet, on y lit cette affirmation apparemment anodine : Celui qui est compétent pour résoudre des problèmes de mathématiques, connaît le sens de concepts mathématiques.
Si seulement les choses étaient aussi simples.
Il y a cinq ans, Philippe Jonnaert relatait une expérience menée auprès de 48 élèves de 4e primaire. Après leur avoir montré le signe « égal » dans plusieurs opérations arithmétiques sur des entiers naturels, le chercheur leur posait la question: « qu’est-ce que ce signe veut dire pour toi? »
• 20 élèves, se limitant à la signification verbale du signe, lui ont répondu « ça veut dire égal »
• 8, sans doute les plus futés, lui ont dit: « on met ça quand c’est pareil »
• 7 ont répondu: « ça me dit d’écrire une réponse »
• 5 lui ont dit: « ça veut dire combien ça fait dans le calcul »
• 4 ont répondu: « on met égal là pour qu’on écrive la réponse là »
• 2 lui ont dit: « quand c’est plus on met un égal plus grand, quand c’est moins on met un égal plus petit »
• 2 autres ont répondu: « si y a rien d’écrit après « = », c’est qu’on doit faire le calcul; ça me dit « fais le calcul » »
Pour moi, cet exemple mesure avec humour la distance que les profs constatent chaque jour entre le savoir codifié dans les ouvrages de référence et les connaissances (différemment) construites par chaque individu. Seulement 17% des répondants (N=8) semblent avoir construit une connaissance qui sera compatible, 4 ans plus tard, avec les premiers rudiments d’algèbre… mais qui, pendant ces 4 ans, viendra remettre en question les 40 autres élèves, y compris ceux qui écrivent la bonne réponse, là?
(Pour d’autres, je le crains, cet exemple viendra s’ajouter aux pièces à conviction invoquées pour condamner la réforme… avant même de vérifier le type de curriculum auquel ont été exposés ces élèves.)
Pour moi, cet exemple illustre aussi ce dont parlait hier Michel D. Laurier—notre propension à « chosifier » les concepts et les représentations symboliques. Lui parlait de la chosification des pourcentages; Jonnaert de la chosification d’un symbole aussi apparemment trivial que le signe « = »; moi, de la chosification du bulletin.
On fait comme si 48 parents, à qui on aurait posé la question, « à quoi sert un bulletin, pour vous? », répondraient à l’unisson « ben, c’est un outil de communication, voyons! »
Pas sûr…
L’école, en tant qu’institution organisée au quart de tour, semble avoir besoin d’un certain nombre de fictions pour fonctionner.
Des fictions comme
* les savoirs, en dehors de la boîte noire de nos cerveaux inscrutables, ça existe
* les examens, SAE et tutti quanti, ce sont des moyens efficaces pour scruter ces cerveaux inscrutables,
* les notes, les cotes et tutti quanti, ce sont de bonnes mesures de la distance entre les savoirs (codifiés dans les manuels officiels) et les connaissances (différemment construites dans nos cerveaux inscrutables)
* ces distances variables (entre des abstractions savamment chosifiées), telles des pommes et des oranges, se prêtent à des opérations arithmétiques (comme le calcul de la moyenne)
* les parents ne veulent pas savoir si leurs gènes sont plus performants que ceux du voisin—ils veulent savoir si leur enfant a compris des notions aussi fondamentales que « = »
* et autres fictions du genre.
Je soupçonne que nous préférons débattre de la chose tangible—le bulletin—parce que c’est décourageant de remettre en question les fictions qui supportent cet édifice qui s’appelle l’école publique de masse.