«Dans ce contexte, notre rôle à l’école c’est de permettre le lien à des objets complexes, de diffusion lente, accumulant beaucoup de temps d’écriture et de temps lecture, impliquant une médiation éditoriale forte.»
J’ai remplacé par «à l’école» le «d’éditeur» qui était dans cette citation de François Bon, publiée sur Le Tiers Livre dans le contexte d’un entretien avec Éric Legendre de l’Université de Montréal. Ce qui me frappe dans cet extrait réside dans la possibilité que l’école – comme les éditeurs – voit son écosystème évoluer du lieu clos qu’il était vers le milieu ouvert qu’il doit devenir, mais toujours habité par cette «médiation éditoriale forte»; et je ne parle pas de la classe qui est un des lieux de l’école le plus touché par ces transformations…
De fait, ce billet m’est inspiré par celui de Martin Lessard qui m’a conduit jusqu’à un commentaire de Isabelle Gaumont qui raconte jusqu’à quel point les «maisons d’édition ne sont pas prêtes pour le numérique, et ne souhaitent pas le devenir». Tout comme les écoles d’ailleurs…
Internet a un effet «multiplicateur» écrivait François Bon. J’ajouterais qu’il agit aussi tel «un accélérateur». Ce faisant, il y a un certain nombre de choses qui changent la donne au niveau de l’école, qu’elle soit prête ou non à intégrer ce levier en ses murs! Conséquemment, voici trois choses dont elle n’a plus le monopole:
- L’information sur ce qui la caractérise ne peut plus être tenue aussi secrète. La qualité de ses profs, ce qu’en pensent les collègues et les usagers et tout ce qui peut constituer une forme d’évaluation institutionnelle circule – et circulera – de plus en plus librement dans/hors de l’école.
- Elle n’est plus seule à posséder les leviers qui font souvent la différence dans l’acte d’apprendre: les savoirs, les ressources pour les acquérir et les réseaux pour les catalyser.
- Elle décide de moins en moins ce qui doit être enseigné et ce sur quoi on doit se baser pour être plus certain que ce contenu soit appris et bien intégré.
Restons préoccupés par la fonction «médiation éditoriale forte» de l’école. Bien que Charlemagne ait créé l’école pour bien d’autres raisons que celles d’instruire/socialiser/qualifier, il faut voir comment sa propension à vouloir se considérer «seule au monde» contribue à l’empêcher de voir les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies en général et Internet en particulier plutôt que de les considérer comme des tares. Elle aime souvent bien mieux se protéger des influences extérieures et de faire comme si la critique n’existait pas sous le prétexte de devoir protéger les jeunes contre la surexposition à la violence ou la pornographie. On connaît certains usages préoccupants des jeunes en matière d’Internet en dehors de l’école, mais on préfère souvent ne pas se donner les outils pour éduquer prétextant y faire face par des discours de prêcheur ou disant simplement que c’est du ressort de la famille. Si l’école – et les systèmes scolaires – a encore beaucoup d’influence, il faut voir en quoi le fait de ne pas avoir le monopole sur ces trois points risque de mettre beaucoup de pression sur son écosystème.
Des parents qui plaident pour leur enfant en quête d’avantages
Pour pouvoir choisir le meilleur programme scolaire pour son enfant, afin de pouvoir entrer dans telle école ou encore, être dans la classe de tel professeur… de nombreux parents interviennent de façon à trouver ce qu’ils cherchent pour que leur jeune ait accès aux meilleurs services disponibles. Au primaire comme au secondaire, la somme de renseignements qui circulent sur une école ou à propos d’un enseignant ou d’un programme est en croissance. Je ne parle pas que des – faux – palmarès ou des sites du type «Rate My teacher»; je parle des conversations, de ce que les moteurs de recherche disent et des données ici et là qui font en sorte qu’on peut trouver tellement de choses quand on veut savoir. Dans ce billet de Will Richardson, «As Parents, How Should We Assess Schools?», on a un bon exemple de questions soulevées par des parents qui sont en quête de la meilleure institution pour leur enfant. Heureusement, le meilleur prof des uns vaudra bien celui des autres; force est d’admettre qu’il est de moins en moins possible pour les gens à l’interne de cacher les informations utiles aux gens de l’extérieur qui veulent tout savoir de ceux qui seront si déterminants dans les apprentissages de leur enfant. Ils se souviennent de ceux qu’ils ont eus, eux-mêmes. Ils souhaitent pour leur marmaille le profil de ceux qui ont fait une différence dans leur propre vie… Est-ce qu’on parle d’information objective? Assurément pas. Mais dans les prochaines années, avec le poids du contenu généré par les utilisateurs, l’identité numérique d’une école, d’une classe et d’un enseignant prendra de plus en plus d’importance. Faire semblant d’ignorer ce phénomène ou tenter de gérer un tant soit peu cette identité pourrait devenir un choix possible, mais dans les deux cas, il faudra vivre avec le fait que l’école ne peut plus prétendre cheminer dans le secret le plus absolu. Le «bouche à oreille d’hier» voyage pas mal plus rapidement aujourd’hui…
«Ready, Set, Think!»
Ce billet de Julia Osteen vise juste… Trop souvent aujourd’hui, «Schools don’t care if kids learn; teachers just want you to tell them back the information they gave you» (source). Le fait de viser à ce que chacun soit le plus «engagé» possible dans ses apprentissages à l’école est en train de la transformer, doucement. Et les nouvelles technologies abondamment utilisées en dehors de l’école par les jeunes contribuent à les faire migrer du statut de passifs à celui d’actifs. Les connaissances sont partout et circulent librement, les jeunes – et leurs parents – contre-vérifient constamment ce qui est dit à l’école, dans la classe, et l’enseignant qui ne participe pas à devenir le spécialiste de l’apprentissage (plutôt que d’essayer de demeurer le spécialiste de la connaissance) se trouve de plus en plus isolé ou croule sous la charge. On peut apprendre beaucoup sur une foule de domaines en dehors de l’école et cette dernière doit trouver sa valeur ajoutée ailleurs que dans le patrimoine de ce qu’elle a à offrir en terme de contenus explicites. À l’image de ce que disait Michel Serres, les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir plus intelligents, en ayant moins à se souvenir, mais en étant plus responsables et créatifs pour agir et faire avec ce que l’on peut mobiliser. À l’école aussi, on vit ce même passage!
«En démocratie électronique, qui décide de quoi?»
Le récent billet d’Internet Actu sur la démocratie électronique décrit assez bien comment certaines initiatives rapportées par le Rapport mondial 2008 sur l’e-Parlement peuvent complètement changer la perspective de l’exercice du pouvoir. En étant de plus en plus confrontés par les usages des TIC autour d’eux, les divers agents de l’école réalisent que le pouvoir peut de moins en moins être concentré entre les mains d’un petit nombre de personne et résider loin de là où l’action se déroule. À l’image des parlements, le milieu scolaire voudra entreprendre une communication plus bidirectionnelle par ses espaces Web, devenant par le fait même plus renseigné sur ce qui est réellement appris, davantage concerné par ce qui est à apprendre et prenant moins pour acquis qu’il est seul à décider ce qui doit être enseigné. Bien sûr le curriculum d’État reste prescriptif, mais on découvre qu’avec le dialogue et la conversation qu’apporte l’utilisation d’un Internet plus ouvert, le chemin pour se l’approprier tend à s’adapter un peu mieux aux particularités de chacun. Destination commune, mais itinéraires différents… c’est possible, même souhaitable… non?
L’école, si elle n’a plus le monopole en plusieurs matières, n’en reste pas moins très importante. La fracture numérique et l’écart-type qui s’agrandit entre le niveau socio-économique des familles fait en sorte qu’on compte souvent sur elle pour suppléer dans bien des domaines. Reste qu’il lui faut plus que jamais s’ouvrir sur son milieu et s’adapter à la réalité d’une société en grande mutation dont l’Internet grand public est en quelque sorte l’indice phare de la transformation.
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On a du travail à faire… BEAUCOUP de travail ! Beaux défis à relever…
Alors reposons-nous bien pendant ces vacances, nous en aurons besoin pour mieux re-bondir en 2009 !
On peut même dire la perte du monopole a débuté avec les médias traditionnels et pas seulement le web (qui est, c’est bien dit, un « accélérateur »).
L’école semble subir le contre-coup que subissent toutes les institutions à l’ère de l’information qui circule librement et en grande quantité : érigés à une époque de très grande pauvreté et de friction de l’information, ces havres (bibliothèques, parlements, rassemblements) voient leur utilité redéfinie de l’extérieur.
Merci Mario, et bravo pour votre blogue!
…Mais, mon nom est Gaumont avec un T 🙂
Oups… Désolé. Je viens de faire la correction.