Facebook au centre d’une controverse dans un lycée Belge

J’ai souvent parlé de Facebook sur ce carnet (1, 2, 3 ,4 ,5, 6 et 7) et je suis souvent fasciné par les multiples cas d’utilisation de ce réseau social qui vient de fêter ses cinq ans. J’ai pris quelques minutes ce matin pour lire la centaine de commentaires au bas de cet article sur LaMeuse qui traite d’un autre épisode trouble de l’utilisation de Facebook par des jeunes. Le «bon sens» est-il en train de disparaître?
Rappelons les faits, du moins ceux qu’on peut retracer par Internet. Une éducatrice d’un lycée Belge semble en mener large auprès des adolescents dans un établissement réputé et fait l’objet de discussions sur deux groupes Facebook (un public et un autre privé). On y badine un peu, mais la démission de l’éducatrice est exigée par certains participants à la discussion, au point où la directrice de l’institution sent le besoin d’intervenir. Elle fait fermer le groupe, réussit à identifier soixante-dix-huit étudiants et les convoque en retenue pour deux heures pendant lesquelles un travail de réflexion est exigé sur «ce qu’on peut et sur ce qu’on ne peut pas faire sur Internet». Parallèlement à ça, la Fédération des Étudiants Libéraux «saisit d’une demande d’avis» la Commission de la protection de la vie privée, en Belgique. Le questionnement de la FEL semble le suivant:

«Appeler à la démission d’une éducatrice de son école par le biais d’un groupe Facebook n’est certes ni fort sympathique pour la personne concernée, ni le moyen le plus efficace à relayer quelques coups de gueule vis-à-vis d’un membre du corps éducatif. Se fonder, maintenant, sur l’existence d’un tel groupe et pratiquer le recensement de ses membres avec pour objectif d’attribuer des heures de retenue et des travaux académiques disciplinaires est, par contre, bien plus heurtant aux yeux des Étudiants Libéraux, craignant voir là un dangereux précédant de non-respect tant de la liberté d’expression que de la vie privée des élèves en dehors des murs et des temps d’école.»

Intéressant questionnement s’il en est un. Tout aussi intéressant est cette question dans le contexte où on se demande de plus en plus dans les écoles si un enseignant peut vraiment accepter «l’amitié Facebook» de ses étudiants.

Dans les douze pages (au moment d’écrire ici) de commentaires que suscitent cette «controverse», il y a bien quelques bêtises et inepties, mais aussi quelques perles que je me permets de reproduire sous l’hyperlien plus bas (dans l’ordre où elles ont été postées). Je crois que c’est la meilleure façon d’illustrer «les forces» en présence…

  • (13) Le créateur du groupe aurait été sommé de donner son identifiant et son mot de passe pour accéder à son compte Facebook et prié de laisser l’ordinateur à disposition du corps dirigeant, celui-ci pouvant à loisir se balader sur les groupes ou activités de l’élève. Si l’on n’appelle pas cela de la violation de vie privée, je ne m’y connais pas.
  • (Papa d’un élève collé) Je m’allie à la directrice quand elle dit que la plupart des élèves n’étaient pas conscients de la dangerosité de ce genre de dénonciation publique. Par manque de maturité, les ados sont moins langue de bois et moins diplomate que nous adulte. Par contre, mon enfant n’est pas naïf et si il s’est inscrit à ce groupe, c’est qu’il avait un message à faire passer. Le volet Facebook passé, il sera important de se pencher sur l’origine du problème. C’est un devoir moral pour la direction, il en va du crédit du Lycée. 78 élèves, dont la plupart de 5ème et 6ème, sont-ils à ce point à côté de la plaque?
  • (Freddoo) Ce qui se passe est très grave: il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression commise par la direction d’une école. De quel droit en effet une école se permet-elle d’intervenir dans des discussions qui ne se passent pas en son sein? Va-t-on sévir aussi, demain, si un professeur surprend deux élèves en train de se plaindre d’un autre professeur alors qu’ils rentrent chez eux en métro ou qu’il s’achètent un paquet de frites au fritkot du coin? Serait-on obligés de ne dire que du bien de tout le personnel de l’école et en tous lieux? Je soutiens complètement les élèves dans cette affaire, et les encourage à se défendre voire à contre-attaquer. En créant de nouveaux groupes sur Facebook ou d’autres sites, par exemple. Surtout, ne vous laissez pas faire!
  • (Freddoo) Je lis que les jeunes n’étaient pas conscients de la « dangerosité » de leur acte… j’aimerais qu’on m’explique en quoi critiquer une éducatrice et demander sa démission serait dangereux pour qui que ce soit! Ça ne va pas la tuer quand même!! Au contraire, si elle tombait sur les messages en question ça lui permettrait peut-être de se remettre en question et donc d’évoluer, ou bien de se défendre (pourquoi pas directement dans le groupe Facebook) si elle estime avoir été mal jugée. S’exprimer n’a jamais fait de mal à personne, au contraire, c’est subir les choses sans pouvoir rien dire qui est pesant.
  • (mai68) La réaction du parent s’adressant à la rédaction est ahurissante: Facebook est un lieu public; y citer quelqu’un, pour en dire du bien ou du mal, c’est comme si on faisait défiler un avion tirant une banderole au-dessus de Liège, de la Belgique ou même de l’Europe. OK, le nom de l’éducatrice en question n’intéresse probablement pas grand monde, mais le procédé est évidemment au mieux de la médisance publique, au pire de la calomnie. Donc, dire que supprimer le groupe et coller 2h est exagéré explique beaucoup de choses sur les soucis d’éducation des jeunes. Je suppose que les parents en question sont totalement d’accord que leur ado , lorsqu’il sera fâché contre eux, fasse un groupe sur Facebook pour dénoncer leur tyrannie et demander leur renvoi comme parents indignes…
  • (Blanchette) c’est dommage que la directrice ne puisse pas mettre en colle quelques spécimens qui s’expriment ici 🙂 avec certains parents qui s’expriment ici.
  • (Guy) Aujourd’hui nous déplorons le décès d’un ami très cher qui se nommait “Bon Sens”. ”Bon Sens » vivait avec des règles simples et pratiques, comme: “Ne pas dépenser plus que ce que l’on a”, et des principes éducatifs clairs, comme “Ce sont les parents, et non les enfants, qui décident“. ”Bon Sens” a perdu pied quand des parents ont attaqué des professeurs pour avoir fait leur travail en voulant apprendre aux enfants les bonnes manières et le respect. Un enseignant renvoyé, pour avoir réprimandé un élève trop excité, a encore aggravé l’état de santé de “Bon sens“. Il s’est encore plus détérioré quand les écoles ont dû demander et obtenir une autorisation parentale pour mettre un pansement sur le petit bobo d’un élève, sans pouvoir informer les parents de dangers bien plus graves encourus par l’enfant. ”Bon Sens” a perdu la volonté de survivre quand des criminels recevaient un meilleur traitement que leurs victimes. Il a encore pris des coups quand cela devint répréhensible de se défendre contre un voleur dans sa propre maison et que le voleur pouvait porter plainte pour agression. La mort de ”Bon Sens” a été précédée par celle de ses parents : Vérité et Confiance, de celle de sa femme Discrétion, de celle de sa fille Responsabilité ainsi que de celle de son fils Raison. Il laisse toute la place à ses trois faux frères: “Je connais mes droits”, “C’est la faute de l’Autre” et “Je suis une victime”.
  • (Robert Istace) Alors là, c’est le bouquet. Mon père qui était chez les jésuites pendant la guerre se prenait des taquets à longueur de temps, sûr qu’il eut aimé Facebook pour dénoncer ces abus. D’autre part, nos temps cultivés professeurs viennent de découvrir l’écriture ? Chacun de nous sait bien que les génies qu’étaient Molière, Céline, Genet, Fante ou Sade étaient des bons petits moutons bêlants. Mais il est vrai que dans une société inculte où les icônes sont Madonna, Marc Lévy, Ronaldo ou Jennifer, Facebook peut passer pour le Nécronomicon. Les profs sont des veaux avec leurs psychologies qui visent à rendre tout le monde lisse comme du botox. Et si mon fils eut été puni, je vous assure que je lui aurais interdit d’aller en colle et l’aurait encouragé à en rajouter. Vous avez raison les jeunes ; au lieu d’agresser les profs, vous êtes créatifs pour dénoncer les abus. Bravo et poursuivez dans cette voix.
  • (X) Quel coup de pub pour Saint-Jacques ! 70 élèves collés… Le directrice n’avait pas l’air embarrassée devant les caméras, le sera-t-elle un peu plus devant les chiffres des futures inscriptions aux Lycée ? Et 70, cela fait une fameuse proportion d’élèves, de quoi se poser des questions Madame…X… ? Cette « pétition » sur Facebook est-elle beaucoup plus grave que la « lettre » adressée par les professeurs à Monsieur ??? l’année passée (lettre qui a amené la démission de ce dernier, le directeur)? Cependant, il n’y avait personne pour sanctionner les professeurs.
  • (Le Pacha) Pour ma part, j’ai élaboré il y a deux ans, un dossier sur le phénomène du « blog ». Un collègue avait eu quelques problèmes avec une classe qui avait trouvé drôle de s’en moquer sur le net. Après réflexion avec la direction, il a été décidé que je passerai une heure avec eux en classe à réfléchir ensemble sur les faits commis. C’est à cette occasion que j’ai monté un dossier de 12 pages reprenant des exemples concrets (d’ailleurs tirés de « La Meuse » ;-)…) mais aussi des textes légaux et des analyses. Ce n’est évidemment pas la panacée, mais l’échange me semble plus efficace que d’obliger 78 potaches à « gratter » deux pages (ou plus…) sans un animateur pour organiser les réflexions.Chaque année, je retravaille ce dossier avec mes classes pour faire du préventif. Je viens d’ailleurs de commencer aujourd’hui l’exploitation de celui-ci. Si déjà deux ou trois élèves par classe se rendent compte après ce module de ce que sont les notions de respect, de liberté d’expression, de droit à l’image,…. je me dis que je n’aurai pas perdu mon temps.Et peut-être aurai-je ainsi désamorcé un futur conflit ???Les enseignants sont de grands utopistes…
  • (MGC) Les gros titres ce matin m’ont fait frémir ! « Des élèves de Saint-Jacques ont créé un groupe pour RÉCLAMER LA DÉMISSION d’une éducatrice. » Ce n’est en aucun cas la vérité … Le groupe n’était qu’un constat humoristique de ce que notre éducatrice disait à ses élèves. Une sanction est normale, mais est-ce vraiment une sanction qui nous fera réfléchir sur les répercussions du groupe sur un espace public : internet ? Une « conférence » sur ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire avec internet aurait été bien plus intelligent … Ce n’est que mon avis … Les personnes qui ont insulté les élèves de « MERDEUX » et les parents de « DÉBILES » devraient eux aussi avoir quelques heures de colle pour ces insultes sans intérêt….. Provocation futile et inutile….
  • (DUQ) Une éducatrice, par essence, éduque, donc fait des remarques et à l’occasion punit, ce qui n’est pas très agréable, j’en conviens, mais où allons-nous sil’on accepte de clouer au pilori que pourrait devenir facebook tous ceux qui peuvent nous être désagréables: les flics, les contrôleurs des contributions, les juges,les professeurs, les inspecteurs de l’onem, des affaires économiques, les supérieurs, les inspecteurs de toutes sortes…Dans quel monde allons-nous vivre si nous tolérons que la moindre divergence,ressentiment ou insatisfaction se retrouve sur facebook avec une dimension planétaire?
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5 Commentaires
  1. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    La question est aussi de savoir si ce qu’on reproche à l’enseignante est fondé, non? Et si on ne verse pas dans une certaine forme de diffamation ou de cyber-bullying? Internet est un espace public. Il y a des choses qu’on ne crierait pas sur les toits ou n’écrirait pas sur les murs, je crois.
    Pour ma part, je me demande aussi si, avant d’étaler sur la place publique un tel problème, les élèves ont fait des représentations devant les instances du collège.
    Enfin, si l’enseignante est tenue à un certain devoir de réserve, n’est-elle pas à toute fin pratique perdante dans un tel débat ou elle ne pourra intervenir?
    Au hockey, on dit souvent ce qui se passe dans le vestiaire reste dans le vestiaire. N’y a-t-il pas un danger d’étaler sur la place publique de telles situations?
    En même temps, on le voit avec divers articles publiés dans La Presse aujourd’hui (voir chez André Chartrand), les jeunes ne communiquent pas de la même façon que nous le faisions, avec les risques et les responsabilités que cela implique.

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Tu apportes un bon point Luc quand tu demandes si, au minimum, les jeunes ont discuté avec leurs enseignants ou avec la direction de ce qui semble poser problème. Ouvrir «à l’externe» me paraît être une solution de dernier recours et ce n’est pas l’impression qui se dégage de ce qu’on peut lire ici et là, en lien avec cette histoire.
    L’éducatrice (car je ne crois pas qu’il est question d’une enseignante dans le cas de celle qui est visée par les représailles des jeunes) passe probablement un mauvais moment avec tout «ce vacarme» et on va s’entendre pour dire que ce n’est jamais facile pour un groupe d’adultes d’avoir à gérer une situation comme celle-là. Internet change beaucoup de chose au niveau des communications et on ne parle pas toujours de progrès… Bien sûr que l’éducatrice part perdante avec tous ces sous-entendus. Et j’ajoute qu’elle n’a pas à participer en public à cette grogne, étant tenue au devoir de réserve. À nous d’en tenir compte…
    Néanmoins, je me dis que cette communauté éducative peut encore en profiter pour se servir de cette situation pour se souder davantage. Si les jeunes ont pu frôler (ou dépasser) la limite sur Facebook, que dire de certaines interventions parentales (pas tellement celles citées plus haut)?
    Chaque milieu doit revoir ses pratiques avec l’émergence de ces nouveaux moyens de communication qui nous exposent tous à la critique. En amont, il nous faut mieux nous comprendre et être conscients des responsabilités. Internet est une sorte de loupe qui grossit tout, les conflits, comme les bons coups!
    Par contre, quand la seule solution des institutions est d’interdire à l’école YouTube, Facebook ou MySpaces, on ne peut pas dire qu’on s’aide beaucoup…

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    Si on interdit le débat public pour le ramener à l’interne, serait-ce fautif? Je ne dis pas que cela soit le cas ici, par exemple.
    Mais y a-t-il vraiment des gagnants à cette situation maintenant publique?

  4. nina 13 années Il y a

    Pour 2009, voici mes voeux : je souhaite régler un petit problème du genre détail avec cette grosse tache de si peu président de la république Française, en lui envoyant un avocat. Et toi, cher blogueur ?
    voila. Sinon ça, c’est une tentative de gros scandale public, ça peut toujours servir à calmer du monde. Merci pour l’espace d’expression.

  5. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Je mentionnais vers la fin de ce billet le questionnement «un enseignant peut vraiment accepter « l’amitié Facebook » de ses étudiants?»
    Sur le réseau «Éducation au média Internet», Christelle Membrey a ouvert un sujet qui touche cette question: «Facebook : quelle attitude adopter?». Plus directement encore, Jean-Paul Moiraud répond directement à la question «Peut-on devenir ami avec ses élèves sur Facebook?»…
    C’est à lire, par ici!

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