C’est la question que pose Jeff Mignon (consultant médias reconnu) dans l’entrevue qu’il a accordée à Michel Dumais en première partie d’une table ronde sur les défis et enjeux du journalisme et des médias à l’émission Citoyen Numérique sur CIBL. La question se pose dans le contexte de la crise qui sévit au niveau des médias en général et des journaux, en particulier.
J’y réfléchissais la semaine dernière; si l’avenir des «Newspaper» est compromis, celui des journalistes est ouvert, même s’il reste à redéfinir. Jeff Mignon a plusieurs bonnes idées sur ce qui arrive et sa conversation avec Michel Dumais est très instructive. Selon lui, plusieurs choses se conjuguent en même temps:
- La fin du monopole du véhicule publicitaire des médias traditionnels est arrivée. Le 80-85% de revenus qui venait de la pub… il s’en va. De la rareté de temps et de l’espace… on passe à l’abondance, et les prix chutent! Qu’est-ce que les journaux offrent aux annonceurs pour qu’ils restent clients dans la mesure, entre autres, où ils ne possèdent pas de données précises indiquant le retour sur l’investissement? (Complément d’information sur ce sujet chez «Axon Post», par l’intermédiaire de Pierre Fraser)
- La «gueguerre» entre les services marketing et ceux de la rédaction des journaux est «suicidaire»; elle doit cesser, même si la frontière entre les deux «départements» doit rester étanche. Les solutions à venir doivent être trouvées de façon commune, néanmoins, ce qui ne semble pas se faire, actuellement.
- La dérive de la profession de journaliste doit être constatée… la perception des gens aurait glissé, laissant croire que le journaliste est passé de la position de «défendeur du peuple» (le journaliste était du côté du lecteur) à celle d’un intouchable maintenant «du côté de l’élite» (il devient perçu comme étant «au-dessus du lecteur»). Cet article sur «Rue 89» est intéressant à lire, sous cet angle. La solution, selon Mignon, c’est d’accepter la conversation! Plusieurs ne l’envisagent pas encore, même si dans la table ronde qui a suivi, les participants journalistes avaient l’air de dire que cette conversation avait toujours fait partie de la donne.
Ça rejoint pas mal un billet que je lisais ce matin, «A newspaperman laments» écrit par le «Managing Editor» du Vancouver Sun. C’est par un gazouillis de Jay Rosen que je suis tombé sur ce passage:
«What is more interesting is the work being done in places like Revenue Two Point Zero or the many digital enterprises looking for innovative ways to support good journalism in the time ahead. We won’t get out of our challenges by identifying what we’re losing for those who don’t see it or don’t much care about it.»
Il me semble que Jeff Mignon apporte le débat au bon endroit quand il demande de quelles façons «sera financé dans le futur la profession de journaliste?» L’entrevue en totalité vaut le détour, pour qui s’intéresse aux enjeux du journalisme et des médias.
N.B. Complément d’informations chez Jeff Mignon ici, en français et là, en anglais…
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Merci beaucoup Mario. Quelques précisions:
1- Je ne dis pas exactement que les 80 à 85% de revenus publicitaires qui financent les médias vont disparaître. Je dis qu’on ne peut pas assumer qu’ils seront là pour toujours. Les chiffres montrent que les médias perdent des parts de marché publicitaire chaque année. Par ex, aux US, les quotidiens américains sont passés de 16,5% de part de marché de pub en ligne en 2004 à 13,1% en 2008.
2- La guéguerre entre tous les services en général est à arrêter, en particulier la pub et la rédaction.
3- Accepter la conversation est l’une choses que les rédactions ont à faire. Mais pas la seule. Loin de là. Il est d’ailleurs symptomatique que les journalistes du panel aient le sentiment que c’est ce qu’ils ont toujours fait. Le décalage est tellement grand qu’ils ne s’en rendent plus compte.
Ton billet m’en inspiré un autre dans lequel je me suis permis de lancer deux idées de modèles alternatifs. Il faudra bien trouver une façon de soutenir le journalisme professionnel si le modèle d’affaires actuel ne fonctionne plus ou ne permet plus aux journalistes de consacrer le temps qu’il faut pour aller au-delà de l’anecdotique et de l’«éditorialisation» qui caractérisent de plus en plus les contenus des médias.
Très bon texte. Il a le mérite de faire la distinction entre crise du journalisme et crise du média utilisé par les journalistes. Tant qu’à moi, le journalisme n’a jamais été aussi bien qu’aujourd’hui, mais la bonne question est posée: comment fera-t-on vivre ces journalistes?