Après la révolution sexuelle, la révolution identitaire?

«L’interdiction d’interdire» est-elle en train de franchir de nouveaux sommets? C’est la question que je me pose après avoir lu l’excellent éditorial d’InternetActu paru récemment, «La vie privée, un problème de vieux cons ?». Si la perte de certaines inhibitions avait pu préoccuper nos grands parents qui ont eu à composer avec la révolution sexuelle, les parents et les éducateurs d’aujourd’hui ont souvent peine à composer avec les inhibitions qui tombent également par le truchement d’Internet sur les questions identitaires…

«La révolution sexuelle n’a pas fait de l’échangisme ni des orgies le B-A.BA de la sexualité, mais a permis de décomplexer, et libérer, le rapport à la sexualité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhiber, et décomplexer, tout ou partie de la façon dont nous protégeons notre identité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs de remplacement.»

Le début de l’article de Jean-Marc Manach pointe vers un document qui défend la thèse que nous serions en présence des «prémices d’un bouleversement similaire, d’un point de vue identitaire, à celui de la révolution sexuelle». Dans «The Societal Benefits of Data Sharing» les auteurs Don Peppers et Martha Rogers se demandent comment interpréter le fait qu’autant de gens souhaitent se dévoiler à autant de monde…

«What does Facebook’s popularity say about our willingness to broadcast all sorts of personal data to a potential audience of millions? Does it mean that its 40 million or so members–that number could jump a few digits by the time you read this–have changed their big picture privacy settings, so to speak?»

Bien sûr, quelques pédagogues diront que plusieurs de ces personnes n’ont pas assez conscience du fait que sur Facebook ou ailleurs, ils sont en public et qu’ils pourraient se garder une petite gêne, voire, s’interdire quelques divulgations de renseignements plus sensibles. Je lisais cette semaine ce billet d’Éric Noël qui vise à «sensibiliser ses élèves à la protection de la confidentialité dans Internet». Un réflexe de «vieux cons» ou un geste de prudence élémentaire, pose l’édito d’InternetActu de tout à l’heure?

Au moment où on cherche à mesurer jusqu’à quel point il faudrait baliser Internet, faut-il se poser les mêmes questions que nos grands parents face à ces nouvelles occasions de libertés que certains appellent «progrès»? Se dévoiler (la révolution sexuelle a aussi eu ses effets pervers) peut engendrer des conséquences négatives sérieuses et, s’il ne faut pas trop pousser l’analogie avec cette période de la fin des années soixante, on croit bien être en présence d’une révolution, ici également…

«Le parallèle avec la révolution sexuelle s’arrête là. Au siècle dernier, les jeunes – et notamment les femmes – dénonçaient les tabous et carcans de la société, et voulaient plus de libertés. Aujourd’hui, les natifs du numérique ne militent pas “contre“, mais “pour” : ils vont dans le sens du vent, non seulement de ceux qui font profession de nous “profiler“, mais aussi de ceux qui prônent les notions de bien commun et de partage des données, pour une redéfinition de la notion de propriété tel qu’on le voit à l’oeuvre avec la culture du “Libre” (créative commons, logiciels libres).»

«Interdit d’interdire»? Je veux bien, mais toute révolution, si positive et désirée soit-elle, nécessite qu’elle soit guidée par une conscience la plus objective possible des résultats de nos actes, dans le temps. La révolution identitaire, si elle existe, n’échappera pas à cette règle, «vieux cons» ou pas!

Pendant ce temps-là, je me demande encore où je me situe par rapport à cette question posée par Jean-Marc Manach: «En finir avec la vie privée?» Je fais «vieux con» si je réponds que ça doit encore exister?

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3 Commentaires
  1. Photo du profil de MichelMonette
    MichelMonette 13 années Il y a

    Je ne m’inquiète pas trop de l’attitude actuelle en lien avec des données intimes. Je constate autant du débordement chez les uns que de la retenue chez les autres. Comme toute nouvelle possibilité, un ajustement va se faire. Les gens ne sont pas si cons. En revanche, quand je constate qu’en Grande-Bretagne un énorme spyware voit le jour avec la complicité des Fournisseurs de Services Internet (FSI) http://ow.ly/1fO4 , là je m’inquiète sérieusement. Oui il faut baliser Internet, mais pas de la façon dont on l’imagine. Ce qu’il faut baliser, ce sont les comportements des FSI. Ceux-ci doivent être neutres. Malheureusement, on a laissé le loup entrer dans la bergerie. Difficile d’être neutre quand tu as tes propres intérêts commerciaux à pousser dans le tuyau. CRTC vous dites? Ils se sont croisés les bras en regardant Bell, Québécor, Rogers… s’emparer du tuyau aux bits d’or. Bonne chance la vie privée!

  2. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    J’ai de la difficulté avec cette analogie avec la révolution sexuelle. En effet, on l’idéalise quelque peu, il me semble.
    Combien de femmes et d’hommes sont aujourd’hui complexés par leur corps? Combien sont soucieux du phénomène de la performance sexuelle? Il suffit de jaser avec un sexologue pour s’apercevoir que cette dite libération a entrainé aussi des obligations, des contraintes et de nouveaux complexes.
    De plus, puisqu’on parle de jeunes, combien d’entre eux confondent aujourd’hui génitalité avec sexualité?
    La libération sexuelle a surtout permis la mise en marché et la commercialisation de la sexualité. À cet égard, et peut-être existe-t-il ici un point commun, la libre circulation de données personnelles est aussi très intéressante commercialement.

  3. jmmanach 13 années Il y a

    Loin de moi l’idée de qualifier de « vieux cons » ceux qui défendent le droit à la vie privée; je ne fais pas partie des Big Brother Awards pour rien…
    Toute la question est de savoir comment appréhender cette « extimité », et cette façon décomplexée que nous avons de nous exposer sur les réseaux.
    D’un côté, il n’y a pas de libertés sans vie privée. De l’autre, à trop flipper sur de possibles atteintes à la vie privée, on pourrait être tenté de taire certaines informations, et donc brider notre liberté d’expression.
    Or, et à l’instar de ce qui s’est passé avec la libération sexuelle, un changement des mentalités pourrait aider à résoudre ce paradoxe, de même qu’il n’est plus mal vu, aujourd’hui, pour les femmes, de bronzer les seins nus ou de porter une mini-jupe.
    La question est aussi de savoir comment cohabiter avec tous ces marchand de données personnelles, et toutes ces administrations (notamment policières) qui se font fort d’exploiter nos données, et comment faire de telle sorte que nous restions en démocraties…

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