Sommet montréalais sur la maturité scolaire: un enfant sur trois était-il vraiment vulnérable au moment de son entrée scolaire en 2006?

Selon cette publication-synthèse de l’enquête En route pour l’école!, 5 087 enfants en 2006 auraient commencé l’école en étant vulnérables dans au moins un domaine de maturité scolaire tel que défini par l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMDPE). C’est un enfant sur trois à Montréal qui serait ainsi touché.
Je comprends de ce qui précède qu’à partir de ces résultats, la Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a pris l’initiative d’organiser des sommets sur la maturité scolaire se disant qu’il fallait d’urgence «réfléchir à des solutions pour mieux soutenir le développement des tout-petits». Le 28 mai prochain au Centre Mont-Royal, se tiendra celui de Montréal. Le document préparatoire à cet événement n’y va pas avec le dos de la cuillère au niveau des questionnements à poser, à savoir «Les enfants montréalais sont-ils prêts pour l’école?». C’est tout juste si on ne répond pas «non»…

«Les données de l’enquête En route pour l’école! ont produit une onde de choc majeure. Malgré les ressources et services disponibles, ainsi que la mobilisation de nombreux acteurs en petite enfance, l’enquête révèle qu’un grand nombre d’enfants sont vulnérables au moment de leur entrée à l’école.»

Je m’attends donc dans les prochains jours à lire dans les médias une panoplie de messages catastrophes sur ce qui nous attend au niveau de la réussite scolaire dans les écoles montréalaises dans les prochaines années. Je me dis que le portrait démographique à Montréal est très particulier et le document précédemment cité décrit bien la situation. Voici quelques données concernant les enfants et leur famille vivant sur le territoire de l’île de Montréal:

  • «1) En 2006, on comptait 118 669 enfants âgés de 0 à 5 ans, soit 27 % de l’ensemble des enfants de 0 à 5 ans du Québec.
  • 2) En 2005, Montréal a accueilli 20 729 nouveau-nés. Pour 52 % de ces naissances, la mère est née à l’extérieur du Canada (comparativement à 8 % dans le reste du Québec). Lorsqu’on considère la provenance de l’un ou l’autre des deux parents, cette proportion atteint 61 % (comparativement à 11 % pour le reste du Québec).
  • 3) En 2006, 31 % de la population montréalaise était née à l’extérieur du Canada (560 395 immigrants) et 33 % de la population était allophone. De 2001 à 2006, Montréal a accueilli 136 675 nouveaux immigrants. Plus de 120 communautés ethnoculturelles sont installées à Montréal.
  • 4) En 2005, 79 660 familles vivaient sous le seuil de faible revenu (après impôt), ce qui représente 17 % des familles à Montréal. Chez les familles monoparentales avec un parent féminin, cette proportion s’élevait à 32 %. Si on considère la situation des enfants âgés de 0 à 5 ans, on constate que, en 2005, 30 % d’entre eux vivaient sous le seuil de faible revenu.
  • 5) De 2001 à 2006, 43 % de la population montréalaise a déménagé. Parmi ces personnes, 62 % se sont déplacées sur le territoire de Montréal et 16 % ont déménagé dans une autre ville du Québec.»

Ce qui me dérange dans l’approche privilégiée pour ces sommets réside dans la vision très «santé» de l’analyse. Je recevais un courriel d’un collègue (il s’identifiera s’il le désire), qui résumait bien mon sentiment:

«Il faut mesurer l’impact d’une telle façon de voir et de dire les choses sur la population et sur les professionnels de l’éducation. Y a-t-on pensé?»

En terme de gestion, il me semble que le ton de la documentation est très discutable. J’ai été directeur d’une maternelle pendant sept ans et j’avais accès à des tests de ce genre que nous administrions aux enfants de quatre ans. Je me doute de la réaction du personnel de l’école si je leur avais annoncé pareil constat. En fouillant ce soir dans la documentation, j’ai trouvé ce paragraphe issu d’un rapport régional:

«Des 35% d’enfants qui sont vulnérables dans au moins un domaine, environ la moitié (16%) affiche une vulnérabilité dans un seul domaine. Enfin, ce sont 2% des enfants qui présentent une vulnérabilité dans les cinq domaines.»

Il est à noter que c’est la première fois qu’on procède ainsi pour tracer le portrait à l’entrée des jeunes de cinq ans. On ne peut donc pas comparer avec les années passées. De mon expérience, j’ai souvenir dans l’école privée de Québec que je dirigeais, des taux d’enfants présentant de grands retards dans un seul des cinq domaines à peine plus bas. Évidemment, je ne mentionne pas ça pour banaliser la situation. J’en ai seulement contre le ton alarmiste de toute cette documentation «pré-sommet». Et je ne parle pas de cette «façon « santé » de voir la maturité des enfants [qui] ne cadre pas du tout avec la façon « éducative » de voir le développement de l’enfant.» Je reprends ici le contenu de ce que m’écrivait mon copain dans le courriel.

Quant à moi, cette discussion sur ce qui est ici appelé la «maturité scolaire» part sur de bien fragiles bases qui mériteraient d’être fortement nuancée avant de crier à l’onde de choc! Il y a beaucoup à faire pour favoriser la réussite scolaire, à Montréal en particulier. Les données sur la démographie montre un apport culturel important dans les résultats qui mérite d’être étudié de très près. De là à envoyer «comme message» à l’entrée que «les enfants sont vulnérables» avant même de commencer leur scolarité… je me pose de sérieuses questions sur les intentions des gestionnaires de ce programme. Cette forme de pression apportée par l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal sur le réseau scolaire ne me dit rien de bien constructif.

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3 Commentaires
  1. michel le neuf 13 années Il y a

    Tous les enfants n’arrivent pas à l’école prêts à apprendre. On voudrait bien, mais ce n’est pas le cas. Pourtant c’est la mission de Québec Enfant, un organisme soutenu par la Fondation Chagnon. Les comités d’action locaux (les « CAL ») mis sur pied par Québec Enfant dans un certain nombre de régions ciblées sont à l’origine de l’utilisation de l’IMPDE. L’outil consiste essentiellement en une grille d’observation qui doit être complétée par les enseignantes du préscolaire selon un protocole assez rigoureux. C’est un outil, comme tous ceux dont la Fondation Chagnon fait la promotion, qui s’appuie sur de solides résultats de recherche.
    Maintenant, devant un portrait comme celui-là, il y a des décisions à prendre. Notammment celle de mettre en place des programmes d’intervention spécifiques dans les milieux les plus à risque. Tu me vois venir… Tu sais qu’il y a quasi-unanimité quand à certains facteurs de protection qui permettent aux enfants de se sortir du cercle de la pauvreté. Notamment quand il est question de la lecture.
    Or, il faut établir au préscolaire un enseignement explicite et systématique des habiletés liées au développement de la conscience phonologique. Même chose pour le développement des habiletés sociales.
    Or, il existe pour cela des approches plus efficaces que d’autres qui ont généralement en partage le fait de ne pas donner dans le « ludique » la pédale au fond. Ce qui heurte bien des gens du présco.
    D’autre part, tu comprendras que lorsque qu’une agence de santé et de services sociaux fait la promotion des résultats de l’IMPDE sur un territoire sous sa responsabilité, elle se lance en quelque sorte un message à elle-même et aux Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Les CSSS ont une responsabilité quant au développement des enfants de leurs territoires. En jargon, on parle de responsabilité populationnelle. Et cette responsabilité est d’autant plus évidente qu’on parle d’enfants qui ne sont pas encore dans les écoles et que souvent on ne retrouve même pas dans des CPE.
    Cet état de fait est bien réel. Et dans la mesure où les enfants dont on parle passent tous, à partir de 5 ans, entre 35 et 60 heures par semaine dans les écoles, il est important que les réseaux de services de santé et de services sociaux viennent s’occuper de leurs clients là où on peut facilement les joindre, c’est-à-dire dans les écoles.

  2. Nathalie Carpentier 13 années Il y a

    Je suis éducatrice en milieu familial sur la rive-sud de Montréal et cet article m’interpelle. Peut-on savoir les sphères les plus à risque? J’entends le niveau émotif, cognitif, social, etc? Il serait intéressant pour nous d’avoir une vue plus détaillée des résultats obtenus afin de travailler sur les points les plus à risque!

  3. Photo du profil de JeanArchambault
    JeanArchambault 13 années Il y a

    Bonjour Mario,
    Je suis (tu le sais bien) le collègue qui ai fait parvenir ce courriel dont tu fais état, aux responsables du sommet sur la maturité scolaire. J’y faisais état de mon indignation devant la suprématie de la vision « santé » et du manque de scrupules du sommet à traiter ses choses de « scolaires »!
    J’ai récidivé afin de mieux expliquer mon point de vue. Voici le courriel que je faisais parvenir à madame Francine Trickey, responsable à l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Il répond aussi en partie à certaines affirmations de michel le neuf:
    « Bonjour madame Trickey,
    Merci pour votre réponse.
    Je veux tout d’abord rendre clair le fait que je ne visais pas personnellement madame Lacombe, mais plutôt le message qu’elle transportait. De plus, je ne mets pas en cause la bonne volonté des intervenants qui oeuvrent en santé publique ou en milieu scolaire. Je veux simplement faire état d’autres façons de voir les choses que celle de cette étude sur la maturité scolaire.
    À voir le nombre de courriels, de téléphones et de paroles d’appui que j’ai reçus de la part de directions d’écoles et d’enseignants, de cadres scolaires, dont des cadres supérieurs, et de collègues des universités, je crois que j’ai touché un sujet pour lequel plusieurs aimeraient exprimer leur exaspération. En effet, il y a incompréhension ici et je ne crois pas qu’il s’agisse seulement d’une imcompréhension, de la part du monde scolaire, du concept de maturité scolaire.
    Ce qui me semble aussi incompris, c’est que la vision « santé » (à ne pas confondre avec la représentation parmi les instances), tenue pour acquise par plusieurs (et même par des gens du milieu scolaire) n’est pas la seule façon de voir les choses. Qu’elle soit dominante et fasse la Une des médias ne lui confère pas une plus grande légitimité, ni une plus grande validité. Ne pas reconnaitre d’autres visions (entre autres, la vision éducative et la vision de justice sociale) ou prendre SA propre vision comme la vérité, dénote un manque de connaissances et un manque de rigueur intellectuelle. C’est pourtant ce que font plusieurs.
    Mais voyons en quoi la vision « santé » ou, si vous préférez, la vision médicale, risque de nuire à l’école et comment elle entre en conflits avec des visions éducative et de justice sociale. D’abord, le « diagnostic » de la maturité. Il procède d’une façon de faire longtemps décriée, en adaptation scolaire par exemple, et abandonnée depuis une vingtaine d’années aux USA et depuis une bonne douzaine d’années, au Québec: l’approche catégorielle. Le « déficit » de l’enfant y est médicalisé au point d’en faire un « diagnostic » et d’en constituer une catégorie. Les raisons de cet abandon ont trait aux trop grandes variations et à l’aspect contextuel des observations, qui rendaient invalides les catégories. Ainsi, croire que les tout-petits passent tous par une seule et même porte à l’âge de 6 ans, c’est faire fi des contextes différents et des personnes différentes qui accueillent les enfants. Non, toutes les écoles et toutes les classes ne sont pas pareilles. Par ailleurs, l’abandon des catégories a annoncé le passage d’interventions « médicales » pour soulager ou guérir l’élève, à des interventions éducatives, pour le faire apprendre. L’apprentissage implique que l’on tienne compte de ces facteurs de contexte.
    La corrélation positive et forte entre le niveau socioéconomique et la réussite scolaire est bien documentée. Cependant, on a pu observer des écoles où, même si elles étaient en milieux défavorisés, les élèves réussissaient aussi bien que les élèves des écoles de milieux favorisés. L’observation de ces écoles a permis de mettre en évidence des caractéristiques reliées à cette réussite: la croyance fondamentale des gens en les capacités d’apprentissage des élèves et les attentes élevées que ces personnes entretenaient à l’égard de leurs élèves. Venir leur dire que leurs élèves ne sont pas prêts à entrer à l’école et que la transition sera difficile correspond à leur dire que leurs espoirs sont vains! Et pourtant, ils font réussir leurs élèves, avec ces espoirs. Nous avons incidemment observé dans plusieurs écoles des enseignants et des directions découragées par ces résultats: « si nos élèves ne sont pas prêts, à quoi bon intervenir? Attendons plutôt qu’ils le soient! » Ce concept de « readiness » entre ici en collision avec celui de l’apprentissage.
    Dans une vision de justice sociale, l’inclusion est de mise. On considère ainsi que catégoriser des élèves, leur attacher un « diagnostic » constitue une forme de ségrégation qui peut plus facilement mener à la marginalisation. Par ailleurs, la justice sociale commande que l’on examine les enjeux de pouvoir en cause et que l’on considère fortement le jeu des conditions socioéconomiques, conditions les plus aptes à faire à faire sortir les enfants de la pauvreté! Eh oui! l’intervention précoce aussi précoce et efficace soit-elle, et l’école, aussi performante soit-elle, ne peuvent à elles-seules parvenir à faire sortir les enfants de la pauvreté. Elles peuvent en aider certains. Mais les interventions les plus efficaces sont celles qui s’attaquent directement au problème: les conditions socioéconomiques. Nous savons bien que les gouvernements qui ont réussi à faire fonctionner des politiques anti-pauvreté et qui ont réussi à assurer un revenu décent à tous (les pays nordiques, par exemple), sont gratifiés des meilleurs résultats scolaires au monde.
    Enfin, le monde scolaire est en changement. À cet effet, l’école est scrutée, étudiée, des expériences se font ici et là, des changements se mettent en place à plusieurs niveaux, bref, l’école change. Aujourd’hui, il est de plus en plus admis que les difficultés scolaires des élèves ne sont pas toutes dues à l’élève lui-même, à son milieu ou aux conditions socioéconomiques dans lesquelles il vit. Elles sont aussi (et souvent bien davantage) dues à la qualité de l’organisation de son école, des apprentissages que l’on y fait faire, du climat qui y règne, de la façon dont on dirige le tout, etc. La question première peut donc se retourner: est-ce les élèves qui ne sont pas prêts pour l’école ou n’est-ce pas plutôt l’école qui n’est pas prète à accueillir tous les élèves? En effet, la vision de l’école, immuable, présentant un défi pour lequel l’élève doit se préparer (mais au fait, se préparer à quoi?), une marche qu’il doit être prêt à franchir, perd de plus en plus sa place au profit d’une école accueillante, ouverte, capable de prendre l’enfant là où il se trouve et de le faire progresser. Dans cette vision des choses, le « readiness » perd tout son sens.
    Voilà! Ce sont quelques réflexions sur des façons de voir les choses. Elles ne sont pas nouvelles. D’autres les ont faites bien avant moi. La vérité dans tout ça? Elle n’est pas là. Ou plutôt, on s’en approche en élargissant les visions et en mettant à contribution les forces de chacunes. C’est ce à quoi je m’emploie. Parfois maladroitement. Mais toujours avec la conviction que tous les enfants peuvent apprendre la vie.
    Jean Archambault »

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