«Un collégien, un ordinateur portable»: une enquête des Landes qui démontre que les profs constituent un facteur de résistance!

Voici qu’on rend publics aujourd’hui les résultats d’une enquête (TNS-SOFRES) qui va mobiliser beaucoup de pixels: «Étude d’évaluation de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable »».
Je me risque ce matin à tourner les coins ronds. J’ai lu beaucoup de matériel lié à cette vaste enquête (10 300 questionnaires recueillis, dont 3 962 provenant des parents et 677 d’enseignants en plus de 80 entretiens d’une heure en face à face avec des enseignants et des personnels d’encadrement et de vie scolaire). Je n’ai pas tout lu, qu’on se rassure… et je compte sur les prochaines semaines et mon séjour à Ludovia 2009 pour approfondir ma compréhension des tendances qu’offre toute cette documentation. Je compte aussi sur le partage des opinions (je sais que d’autres collègues vont commenter les mêmes résultats) pour y voir plus clair, mais d’entrée de jeu, il m’apparaît assez clairement que le cheminement vers un collège plus «numérique» dans les Landes se pilote à l’aide d’enseignants qui ont le pied sur les freins plutôt que sur l’accélérateur!
Je ne dis pas qu’ils font exprès, qu’ils montrent de la mauvaise volonté… au contraire!
Cette déclaration me paraît bien représenter ce point de vue:

«Question: J’en arrive à l’opération un collégien un portable, tout de suite qu’est-ce que vous avez envie de m’en dire de cette opération?
Réponse: Moi je trouve que c’est beaucoup d’argent investi dans une opération qui au bout du compte ne débouche pas sur grand chose de concret au niveau de l’utilisation; pour ma part, cette année, depuis septembre, je l’ai utilisé une fois en français parce qu’en français, personnellement je n’en vois pas l’utilité, en français je m’en suis servie pour regarder deux tableaux de Manet, voilà!»

On comprendra que j’ai choisi un extrait d’entrevue «qui fait mon affaire»! J’écris ça dans le sens que ça corrobore mon propos, pas que je sois particulièrement ravi de devoir faire ce constat. J’ai lu plusieurs des témoignages (j’ai pu «mettre la main» (sous embargo) sur plusieurs documents), dont quelques-uns du genre «je ne reviendrais plus en arrière», «l’ordinateur est devenu indispensable», etc., mais ce qui ressort de mon analyse et du regard croisé avec mon expérience terrain en France (moins importante que d’autres collègues qui commenteront) est à l’effet que les choix des enseignants en matière d’usages teintes fortement la perception d’utilité de l’outil (ordinateur portable) au niveau des apprentissages.
extrait_landes_mini.jpg
Cliquez sur l’image pour grand format (source)

Autrement dit, entre quatre tendances possible, les enseignants français (comme plusieurs ici sur le continent américain) semblent privilégier celles qui semblent plus rassurantes (TBI, ENT, etc.). Le programme landais «Un collégien, un ordinateur portable» est en quelque sorte un électrochoc qui provoque de belles avancées, mais qui n’a pas encore induit un changement substantiel au niveau des stratégies d’enseignement. Dans le format .pdf du document publié par Landes interactives.net, on pourra trouver de belles illustrations de ce que j’affirme.

On plaidera (avec raison) que l’arrivée massive d’ordinateurs portables répond de façon satisfaisante aux besoins des élèves; en particulier, à la curiosité naturelle qui les assaille, mais, à l’école, on pourrait probablement dire que cette curiosité a tendance à s’éteindre, avec le temps. L’ordinateur n’est pas encore un outil de profs!

L’enquête sera critiquée parce qu’elle est basée sur des déclarations plutôt que sur l’observation «objective», mais je suis de ceux qui acceptent d’emblée cette méthodologie. Je reviendrai plus tard sur d’autres aspects qui me frappent en attendant que d’autres observateurs puissent nous livrer leurs premières conclusions.

Je m’en voudrais de ne pas féliciter le Conseil général des Landes, à la fois pour l’initiative «Un collégien, un ordinateur portable» et pour la conduite de cette enquête qui nous aide à mieux cerner les tenants et aboutissants de l’enjeu et du rôle des nouvelles technologies en éducation. Les enseignants sont en plein choc culturel en France et ailleurs; les résultats de cette étude nous seront d’une grande utilité…

Mise à jour du lendemain: Sous la rubrique «Fait du jour», l’excellent Café pédagogique traite du sujet sous le titre «L’Ecole française hésite devant le numérique révèle une enquête des Landes». J’aime assez les sous-titres:

  • 90% des enseignants attachés à leur ordinateur
  • Mais pour quels usages ?
  • Les usages varient selon les disciplines
  • Et selon les pédagogies
  • Pourquoi ces usages limités ?
  • Les enseignants des Landes sont-ils rétrogrades ?
  • Quelles perspectives ?

Mise à jour du 16 juillet 2009: L’Éducation nationale, à propos de l’étude, publie sur son site le contexte, quelques chiffres, des points de vue enseignants et élèves, des recommandations et quelques liens, dont celui vers le Café et Mario tout de go.

Mise à jour du 18 juillet 2009: Bruno Devauchelle débute une série d’articles, en réaction à l’enquête. Le premier, «États d’âmes dans les Landes», porte sur les enseignants et, surtout, «leurs états d’âmes». Pour lui, le faible nombre de répondants «profs» (677 sur 1212) pourrait poser un premier problème, celui «la portée des résultats». À l’inverse, il aime bien le niveau de réponses des parents, ce qui lui aide à déduire que «l’ordinateur portable les intéresse». Je retiens aussi le constat à propos de la perception [des enseignants] pour qui le «passage de l’instruction à l’éducation pose problème, sentiment d’une dérive du métier». Enfin, s’il a noté au passage qu’il est «difficile pour les enseignants de critiquer cette initiative d’un conseil général volontariste à leur égard», il fait remarquer lui aussi que «ce n’est pas pour autant que tout va bien». Le deuxième, «Changements en éducation : le cas des Landes», s’attarde sur les «mérites d’avoir poursuivi dans la même direction» dans le contexte du programme «Un collégien, un ordinateur portable»…

Mise à jour du 27 juillet 2009: Lyonel Kaufmann propose une analyse croisée avec une enquête, de Larry Cuban dans le billet «Landes: les ordinateurs en classe? Toujours surestimés et sous-utilisés». À lire…

Mise à jour du 27 août 2009: Autre billet de Bruno Devauchelle, «Des élèves, des profs… et les autres» et abondante couverture média, dans le contexte de l’événement Ludovia 09, (1, 2, 3, 4, 5).

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9 Commentaires
  1. Photo du profil de JacquesCool
    JacquesCool 13 années Il y a

    Merci pour ce billet.
    Ça me rappelle ce que j’ai écrit en avril, http://zecool.blogspot.com/2009/04/ce-que-nous-disent-les-jeunes-faudrait.html, où des jeunes exprimaient ce qu’apporteront les technologies éducatives, selon eux.
    Notamment :
    « Nouveaux obstacles pour l’usage des TIC à l’école – Usage des technologies à l’école demeure une source majeure de frustrations chez les jeunes. Facteur 1 est (toujours) le blocage/filtrage et les pare-feux. Un nouveau facteur décrit : les enseignants. Les jeunes disent que c’était mieux AVANT que les enseignants ne reçoivent de la formation sur l’usage d’outils. (Ceci me fait dire qu’il y a encore/toujours un référentiel pédagogique à actualiser ici…) »

  2. Photo du profil de YannLeroux
    YannLeroux 13 années Il y a

    Il y a tout de même des raisons d’espérer. Des professeurs ont pris la mesure de l’importance des mondes numériques dans l’enseignement. On n’est plus dans le discours à la Prensky : les mondes numériques vont permettent d’intéresser ces incultes que sont nos enfants. On est dans : « les meilleurs élèves sont ceux qui bloguent et réseautent sur Facebook. Que se passe-t-il ? » Cela me semble être une bascule importante.
    Il va y avoir – ou il devrait y avoir – une bataille autour de cette question du caratable numérique Son utilité est évidente, ne serait ce parce que les enfants n’auront plus à supporter les charges que des adultes leur impose. Mais le cartable numérique est aussi un cheval de Troie pour les éditeurs de programmes scolaire. Qui va remplir ce cartable ? Avec quels contenus ? Avec quels outils numériques ? N’est ce pas le moment d’imposer des outils Open Source plutot que de partir dans des logiques propriétaires qui sont non seulement hors de prix mais qui ont le défaut d’être des dispositifs fermés ?
    De ce que j’ai percu dans mes échanges avec des enseignants, le principal obstacle est l’institution scolaire elle même qui met en avant la nécessité de protéger les plus jeunes des contenus pornographiques et des pédophiles. L’Education Nationale met dont en place des filtres et autres listes noires qui ne sont pas suivies par tous les colléges et lycées ce qui fait qu’il y a là une situation d’inégalité
    Je crois qu’un des blocages vient de ce que notre programme d’instruction est basé sur la mémoire. Et qu’est ce que le numérique sinon une mémoire ? Nous allons donc devoir faire notre révolution dans le domaine des apprentissages. Pourquoi apprendre la superficie de la France ou la carte des ressources minières des USA lorsque cette information est accessible en deux clics ? L’important n’est plus d’avoir a disposition de sa mémoire des informations. L’information est maintenant partout, et la tache des élèves est bien plutôt de la hiérarchiser et de l’interpréter !
    À quand un Bac français avec une accès total au net ?

  3. Photo du profil de MilaSaintAnne
    MilaSaintAnne 13 années Il y a

    Effectivement, l’institution scolaire française ne simplifie pas la tâche des enseignants qui voudraient utiliser l’informatique. En particulier en lycée ou l’on demande aux enseignants une formation « utilitaire » pour « avoir le bac ».
    Et les suppressions drastiques de formations continues ne vont pas arranger les choses.

  4. Photo du profil de cassandre
    cassandre 13 années Il y a

    Une petite réaction sur les 4 tendances énoncées plus haut et la place des enseignants landais dans ce processus.
    Il me semble en effet que l’utilisation de l’ordinateur portable des élèves en classe est en baisse par rapport à la précédente enquête de 2004 (http://issuu.com/1collegien1ordinateurportable/docs/gfk2004).
    Pourquoi ? Tout d’abord parce que d’autres moyens (notamment de visualisation collective TBI, visualiseurs numériques, etc.) ont été donnés aux enseignants lesquels les ont saisis. Outre leur simplicité d’emploi, ils donnent de l’assurance aux maîtres qui parfois ne sont pas capables de gérér 26 écrans d’ordinateurs. Ces outils valorisent la position magistrale de l’enseignant en renforcant l’utilisation de son propre ordinateur au détriment de ceux des élèves.
    Mais en definitive, cela doit en arranger certains car cela favorise la réplication des savoirs de l’enseignant vers l’apprenant. « Tous regardent dans la même direction, c’est génial. Plus besoin de passer derriere les écrans ou de faire cours en fond de classe. »
    Pourquoi faire de l’autonomisation alors que le système éducatif français en lui-même n’est pas formaté pour cela ? Il n’y a qu’a regarder depuis 2000, dans les differentes enquetes PISA pourquoi le systeme éducatif français ne sort-il pas bien noté ? Sans doute parce qu’il mesure non pas « l’acquisition de connaissances fixées par les programmes scolaires, mais des compétences et aptitudes jugées nécessaires pour mener une vie d’adulte autonome ».
    Appliqué à notre cas landais cela donne naturellement un usage de l’ordinateur de l’enseignant et des moyens de visualisation collective, alors que pour rester dans la philosophie de PISA il faudrait faire utiliser les ordinateurs des élèves !
    En 2004, Seymour Papert comparait les opérations françaises (Landes) et américaines (Maine) : http://www.dailymotion.com/video/x5zdl4_seymour-papert2004_webcam Positionnez le curseur à 2,40 minutes de cette video et vous comprendrez ce qu’on est bien toujours là (cinq années après) dans un problème de système, qu’incarnent les differences approches de l’outil informatique.

  5. Photo du profil de cassandre
    cassandre 13 années Il y a

    Le premier lien n’a pas passé… je le remets.
    Il me semble en effet que l’utilisation de l’ordinateur portable des élèves en classe est en baisse par rapport à la précédente enquête de 2004 (http://issuu.com/1collegien1ordinateurportable/docs/gfk2004).
    Note de Mario: j’ai corrigé le lien précédent…

  6. Luc Papineau 13 années Il y a

    M. Asselin: ce sont des réflexions toutes personnelles et plus québécoises, peut-être…
    En général, que les enseignants soient un facteur de résistance est normal dans la mesure ou ils ont été «éduqués» dans un monde différent de celui dans lequel on leur demande d’enseigner. De plus, il faut voir le degré de formation et d’accompagnement dont ils ont bénéficié pour accomplir ce changement.
    Quand les ordis ne servent qu’à faire des exercices en ligne ou qu’à permettre, au prof, d’utiliser un tableau interactif, est-on vraiment plus avancé?
    On semble toujours croire que l’utilisation de l’ordinateur doit obligatoirement favoriser l’autonomie du jeune. Pourquoi?
    Je sais que certains enseigneants croient, à tort ou à raison, que cette recherche de l’autonomie, dans un cadre scolaire, pourrait mener à des dérapages. C’est pourquoi ils encadrent les élèves de façon stricte.
    Par ailleurs, l’évaluation conditionne aussi la forme d’enseignement que reçoivent les élèves. Par exemple, en français, les élèves rédigent des textes manuscrits. Je ne peux les faire travailler uniquement à l’ordinateur.
    Enfin, il y a aussi la crainte qu’on prépare les élèves d’une façon et que le niveau supérieur ne suive pas.

  7. Photo du profil de JacquesCool
    JacquesCool 13 années Il y a

    Question de sourire un peu ce matin, et pour reprendre le propose de Luc Papineau (« Quand les ordis ne servent qu’à faire des exercices en ligne ou qu’à permettre, au prof, d’utiliser un tableau interactif, est-on vraiment plus avancé? »), voici un clip portugais (via @lisibo sur Twitter) qui illustre bien ceci :
    http://zecool.blogspot.com/2009/06/du-magistral-fancy.html
    🙂

  8. Photo du profil de Pierre-LouisGHAVAM
    Pierre-LouisGHAVAM 13 années Il y a

    Cher Mario,
    Juste pour te signaler également la publication du rapport du volet qualitatif qui fait suite aux 80 entretiens qu’ont mené les enquêteurs de TNS Sofres.
    Avec la réserve suivante : suite au volet quantitatif, deux disciplines Francais et Mathematiques etaient en queue de peloton des matières utilisatrices. Nous avons voulu savoir pourquoi (= ce qui les bloquait). Aurions nous interroger d’autres enseignants d’autres disciplines, y aurait-il eu une autre approche de l’opération, je l’ignore mais je mets en garde les lecteurs sur une surdetermination des propos tenus par des enseignants dont nous savions (c’etait le but recherché) qu’ils n’étaient pas très friands d’informatique.
    Le rapport du volet qualitatif est ici :
    http://issuu.com/1collegien1ordinateurportable/docs/tnssofres02

  9. Photo du profil de Coralie
    Coralie 13 années Il y a

    Je vous trouve tous bien pessimistes.
    L’enquête sur le programme en cours dans les Landes montre que le numérique entre progressivement dans les pratiques des enseignants, lentement certes, mais inéluctablement. Le cadre de l’enseignement n’a pas changé: les salles de classe sont les mêmes, les programmes et les examens aussi, ainsi que les emplois du temps… La pratique du numérique se développe dans ce cadre et ces contraintes. Les élèves sont plus concentrés: tant mieux. Quant à la relation maître / élèves, dieu merci, elle évolue à un rythme compatible avec ce que les enseignants peuvent inventer et supporter individuellement, toujours dans ce cadre, en mobilisant leur expérience et leur formation. Les bouleversements que certains paraissent appeler de leurs voeux me paraissent, en l’état des recherches actuelles, bien hasardeux.Ou bien il faudrait être capables de les former collectivement, à de nouvelles méthodes, un tant soit peu éprouvées. Or celles-ci ne font pas partie de notre culture pédagogique, voire n’existent pas encore. En tant que parent d’élève, je ne voudrais pas que mes enfants soient des cobayes dans une révolution mal maîtrisée, voire basée sur des fantasmes; en revanche, je suis contente qu’ils soient partie prenante à des expérimentations comme celle des Landes.

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