«Un cinquième des enseignants ne comprennent tout simplement pas l’utilité de ces gadgets. Ils y voient une compétition et un dispositif qui nuit à l’attention des jeunes, avance-t-il. Un autre cinquième ne sont pas dans la bonne profession et ne contrôlent pas leur métier. Ces 40 % finissent par constituer une masse critique et par prendre beaucoup de place.»
J’assume. J’ai bien dit cela au journaliste Taïeb Moalla, du Journal de Québec, cet été, au moment de notre rencontre dans un bistro du quartier Saint-Roch, dans le contexte de la préparation de son dossier «La génération Internet». L’ensemble du dossier est en hyperlien dans ce billet et l’article auquel je fais référence est ici. Pendant notre conversation de plus d’une heure, j’ai parlé des 20% «d’enseignants champions» qui font des prodiges avec ce qu’ils ont dans leurs classes. J’ai aussi parlé longuement des autres 40% qui font des expériences qui s’avèrent plutôt positives, mais qui, parfois, n’ont pas le support ou la formation requise et qui surtout, sont ouverts à en faire davantage, préoccupés à ne pas «intégrer les technologies», mais faire apprendre, avant tout! Ce 60% qui est majoritaire…
Je ne jette pas la pierre au journaliste de ne pas en avoir fait mention dans son article. Manque d’espace ou citation pas assez punchée pour attirer l’attention des lecteurs… Si je ne savais pas de quoi le métier de journaliste est fait, je n’accorderais des entrevues qu’en direct, à la télé ou à la radio.
Parlons donc du «cinquième des enseignants qui ne sont pas dans la bonne profession et qui ne contrôlent pas leur métier». Dire que sur la photo qui accompagne l’article (crédits: Stevens LeBlanc du JdeQc), je souris en plus… Quel culot!
Je parle évidemment des enseignants pour qui les problèmes de gestion de classe prennent toute la place, tellement, qu’ils ont démissionné face à toute innovation pouvant être envisagée. J’évoque l’existence des enseignants qui ont appris à se méfier des C.P. et des directions d’école en qui ils ne font plus confiance parce qu’ils sont centrés sur une seule chose: sauver leur peau. Et quand on sauve sa peau, on ne mérite pas qu’un consultant vienne jeter du discrédit sur leurs efforts de survie; les élèves sont en sécurité, c’est déjà ça de pris. Sauf que du point de vue des élèves et des parents… il faut évoquer cette réalité et voir un peu plus loin je pense. Persévérance scolaire oblige.
Quand j’ai parlé de ce chiffre, j’avais en tête des enseignants que je rencontre, parfois, et qui pleurent (au sens premier, de «en larmes») à la seule vue d’un clavier informatique ou qui ragent à la seule pensée de devoir composer avec le point de vue de celui qui apprend; «mon métier, c’est d’enseigner… le leur c’est de m’écouter et d’apprendre». Ils en ont souvent ras-le-bol de ce système d’éducation qui ne considèrent plus leur souffrance, à eux.
Je voudrais avoir eu le temps de raconter que j’ai déjà eu de ces enseignants dans les écoles que j’ai dirigées et que je ne leur jette pas la pierre. La profession dans laquelle ils sont entrés au début de leur «carrière» n’est plus celle d’aujourd’hui et s’ils ne sont plus «en contrôle», cela ne veut pas dire qu’ils sont les seuls responsables de ce qui arrive. Et ça ne veut pas dire non plus qu’il est trop tard pour eux. Mais force est d’admettre qu’ils existent et que c’est un tabou que d’évoquer leur présence dans les écoles du Québec. À ce vingt pour cent, s’ajoute les autres (pour arriver aux quarante pour cent), en contrôle ceux-là, qui ne voient pas ce que viendrait faire les outils technologiques dans leurs environnements d’apprentissage et qui ne s’en portent pas plus mal au quotidien, d’un point de vue d’enseignant.
Les enseignants «pas en contrôle de leur métier», est-ce qu’ils sont de mauvais profs?
Je suis de ceux qui croient que les profs «ont le devoir d’intéresser les élèves» comme l’a écrit Stéphane Laporte dans cet article. Si j’ai un reproche à faire à ces profs dont je parle, c’est qu’ils ne croient plus en leur capacité «d’intéresser les élèves», même si ça les tue, d’ailleurs. Ils ne sont pas à l’aise avec ça et ils ne demandent qu’à pouvoir s’en tirer sans coup férir, car à la base, leur vocation du début est encore là, souvent, enfouie dans les frustrations, le non-support de la direction, des parents ou de la société en général. Si une fraction infime de ces vingt pour cent a appris à vivre avec le fait de ne plus être signifiant en classe et «fait du temps», les autres sont encore «récupérables», mais il faudra travailler fort pour les convaincre que la vague d’élèves qui s’en viennent risque de ne pas faciliter les choses.
Tout ça pour dire que Taïeb Moalla a choisi d’insister sur ce qui frappe le plus fort, en terme de prise de conscience. C’est probablement la meilleure chose à faire dans ce dossier qui paraît dans un journal du type de celui qu’est le Journal de Québec.
Et ce n’est pas terminé… Le dossier se continue lundi et selon ce que j’en sais, on y traitera encore un peu d’éducation!
Tags: "Generation_C" "La vie la vie en société" "Pédagogie et nouvelles technologies" LesExplorateursduWeb Partageons le savoir
Pour avoir été sur des comités de parents, lorsque mon fils était étudiant, je suis d’accord lorsque vous dites des professeurs:
– mais qui, parfois, n’ont pas le support ou la formation requise.
Cependant, j’ai lu l’article de M. Moalla, et je trouve que son contenu décrit assez bien le sommaire de la réalité que vous énoncez, même si vous auriez préféré qu’il reflète un peu plus en détail votre pensée.
Étant en début de carrière, j’ai grandement amélioré ma gestion de classe et je ne crois plus être au stade «sauver ma peau».
J’ai enseigné l’informatique et je suis maintenant passé du côté de l’éthique et de la culture religieuse (même si ma formation initiale est en univers social)! Mon école se dote tranquillement des outils nécessaires pour intégrer les TIC en classe (portable pour les enseignants, projecteurs DANS les classes…). Mais les élèves n’ont pas beaucoup la chance de mettre les mains sur le clavier.
Je me demande alors «qu’est-ce que je peux faire avec mes élèves»? Beaucoup d’options s’offrent à moi, mais avec peu de support et de temps! Votre site est une source d’inspiration et l’idée de mettre sur pied forums et blogue me démange. Il faudra que je me décide à monopoliser les ressources un temps et à investir plus de temps que prévu par «la convention», mais cela en vaudra la peine. J’ai été formé «Réforme», mais je suis peut-être encore dans «l’enseignement» plutôt que dans «l’apprentissage». Les vielles habitudes ont la vie dure.
Bravo pour l’honnêteté et le courage, ça fait du bien!
Commentaire à part : ton chandail WordPress est so geek et so cool… où l’as-tu eu? 😛
J’ai rédigé, sur mon blogue, une note en réponse à celle-ci : http://is.gd/3tLvu ou http://ufy.me/52ee
«Membre du club des pas pire bien cités…», tu as bien fait de te servir de ton blogue pour nuancer toi aussi. Heureusement qu’on peut disposer de cet outil. J’ai bien aimé l’article dans lequel tu prends «le plancher» Félix. Le passage «Le professeur a été surpris que mon travail scolaire soit une simple adresse Internet» est à la fois très porteur et lourd de sens. Il faudra que je développe sur cette idée qu’en devenant générateur de contenus sur le Web, vous participez de façon assez inusité à construire vos apprentissages tout en contribuant à l’avancement des connaissances de notre société. Dans le dossier «Daniel Leblanc», entre autres, tu es un exemple de cette jeunesse qui élargit nos horizons. Bravo pour ton témoignage…
Mon chandail WP? Tu te souviens du WordCampMontréal auquel j’ai participé cet été? Les organisateurs en remettaient un à chaque participant…
Au tour de Sylvain de donner dans la nuance…
Monsieur Mario,
Plus on a de l’expérience avec les médias, plus on est conscient des limites de celui-ci. La seule chose qui m’embête dans ce texte est qu’il pourrait peut-être se retrouver dans les pages du Journal de Montréal. Vous saurez me le dire. Sinon, il serait intéressant, pour le lecteur non Québécois que je suis, de mettre en lien l’ensemble des textes auxquels vous vous rapportez.
Par rapport à votre billet, j’ajouterais un commentaire qui va vous ravir: une certaine bureaucratie de la part des commissions scolaires. Je comprends que celles-ci doivent jouer un rôle de régulateur et s’assurer d’éventuels dérapages, mais elles imposent souvent, par le biais des services informatiques, une lourdeur lorsqu’on veut aller de l’avant avec une démarche novatrice.
Elles édictent des normes générales qui ne s’adaptent pas toujours aux cas particuliers. Un exemple particulier: le réseau du personnel de ma CS est en PC, celui des élèves de plus en plus en Mac. Belles chicanes de techniciens et de philosophie… Quand je pense que j’ai débuté ma carrière avec un MacPlus que j’ai dû remplacer par un PC, je rage encore…
Également, notre CS a créé un bureau virtuel d’accès et des adresses personnelles pour les élèves. Or, ce sytème me semble parfois bien lourd et peu branché sur la réalité des gamins.
Je ne dis pas que c’est l’enfer. Mon école commence à prendre un virage NTIC très intéressant, mais il y a peut-être des dos d’âne inutiles sur le chemin.
Je suis ravi M. Luc 😉
« Je suis de ceux qui croient que les profs «ont le devoir d’intéresser les élèves» »
Il est là le drame principal, selon moi. Plusieurs jeunes enseignants croient à tort que les étudiants s’intéressent d’eux-mêmes à la matière enseignée et qu’ils désirent tellement réussir qu’ils devraient fournir tous les efforts possibles pour s’intéresser à la matière. Les enseignants, eux, n’ont qu’à enseigner une matière qu’ils aiment et les étudiants vont suivre.
Lorsque les jeunes enseignants se rendent compte que les étudiants ne suivent pas d’emblée, qu’ils ne s’intéressent pas au cours, ils démissionnent et se cantonnent dans une position de repli. « Les étudiants sont des imbéciles, ils ne comprennent rien, ils ne fournissent aucun effort, ils devraient murir ailleurs qu’à l’école, etc. » Ce sont des propos souvent entendus, malheureusement, de la part de jeunes enseignants. Le pire, c’est que ces jeunes enseignants deviennent de vieux enseignants qui font leur temps pendant 30 ans, souvent…
C’est cela qui fait mal au système d’éducation, selon moi. Les enseignants qui n’ont pas la vocation, ni d’amour pour les jeunes, ni d’emballement pour le métier. Ils débitent leur matière sans entrain pendant des décennies…
Excusez-moi pour mon emballement à dénoncer ce que je constate trop souvent dans mon métier.
C’est un très long texte, mais j’ai réussi à tout lire.
nicholas