En fin d’après-midi aujourd’hui, plusieurs gazouillis en provenance de France ont capté mon attention dont ceux de la «session de formation des personnels de l’enseignement supérieur concernés par la pédagogie via les TICE» de Grenoble, partie intégrante de l’université de printemps Vivaldi 09. Je passe sous silence une série d’autres qui concernent une personne se vantant d’avoir alerté un collectif d’enseignants (toujours en France) afin d’écrire au ministre pour qu’il se prononce sur le bien-fondée d’une stratégie pédagogique dont j’ai déjà parlé ici et déjà approuvée par un inspecteur. Le gazouilleur se faisant appeler «desormiere» m’a bloqué quand j’ai voulu suivre son compte, mais pour le moment, je peux encore voir «sa logique», son canal étant encore «public».
J’écris ce billet parce qu’à la suite de l’écoute de cette vidéo enregistrée lors d’un de mes passages à Lyon, un autre gazouilleur m’a adressé quelques bonnes questions:
- Ne crois-tu pas que cette attention de surface des utilisateurs de Twitter en conférence nuit?
- Toujours prêts à rebondir, ils ne sont jamais vraiment dans l’écoute du vivant, mais dans un « méta » avant ou arrière… ce back channel ne suppose-t-il pas que le conférencier ait un propos redondant au sens sans profondeur?
- N’est-ce pas là l’inverse même de la prise de note?
- Le conférencier abordant un sujet complexe ne devra-t-il pas demander « éteignez vos portables et vos tweet »?
Je suis loin d’être certain que pour tous les apprenants, Twitter favorise de façon optimale la construction des apprentissages. Par contre, je ne vois pas bien en quoi les gazouillis seraient «l’inverse d’une prise de notes». Pour moi, en posture d’écoute, cela agit exactement de la même façon. D’ailleurs, le principe même de l’écoute active postule qu’elle doit être «plus fine que la reformulation en ce qu’elle ne se limite pas à dire autrement ce qu’une personne vient d’exprimer, mais de décoder la dimension affective généralement non verbalisée». Le «back channel» auquel on réfère me paraît être bien davantage que ce qu’on n’entend pas normalement. N’importe quel intervenant d’expérience sait que «l’écoute du vivant» n’empêche pas l’auditeur de se parler dans sa tête même quand il paraît être à 100% présent au message du conférencier (ou de tout autre «enseignant»). L’acte d’écrire ce qui est pensé ne me paraît pas être moins profond que celui de réfléchir sans laisser de trace. Pour celui qui agit en émetteur, je peux comprendre qu’un doute puisse s’installer; l’auditeur est-il vraiment «branché» sur le sujet? Pourtant, quand on a accès aux gazouillis (du moins après la présentation), on a accès à la pensée de celui qui écoute, il me semble que ce soit une sorte «de progrès», par rapport «au mirage» du regard béat de celui qui écoute «en silence»…
Bien sûr, la lecture des gazouillis des autres qui assistent à la même présentation dilue quelque peu l’attention disponible. Plusieurs personnes en situation de réception ne vont pas nécessairement prêter attention aux autres qui gazouillent en même temps qu’eux, à part peut-être si ces derniers s’adressent explicitement à eux. Il convient souvent de faire confiance à celui qui apprend dans la façon dont il distribue son attention. Ce qui devient le «plus rentable» en terme d’apprentissage est souvent choisi par l’apprenant qui est sincèrement «engagé» intellectuellement dans ce qu’il est en train d’apprendre. Parfois, les gazouillis des autres, quand on choisit d’y prêter attention deviennent aussi des occasions de faire des liens avec du contenu en périphérie de ce qui constitue l’essence du sujet. Parfois, c’est simplement une petite pause qui permet, telle le repos entre des contractions musculaires, qui permet de revenir encore plus fort. Le pari de faire confiance à l’apprenant me paraît être meilleur que celui d’exiger de se priver d’un moyen d’objectiver, dans le contexte où c’est perçu de cette façon par celui qui utilise Twitter. Mais bon… ce n’est pas une science exacte et à ce stade-ci, mon «expérience» de cette forme d’apprentissage vaut probablement celle des autres. Une chose est évidente pour moi: chacune de mes expériences d’apprenant m’a convaincu, pour moi, du bénéfice de «suivre» en gazouillant. Ce sont ces expériences qui teintent mon regard de conférencier maintenant. Je ne fais pas d’acte de foi… Je l’ai expérimenté personnellement. Si cela n’avait pas été le cas, je ne peux garantir que j’écrirais ce que je viens d’écrire. Ça explique probablement mon préjugé favorable, même quand je suis dans la position de celui qui fait apprendre…
Pour terminer, j’ai le goût de garder en mémoire ce qu’on me suggérait cette après-midi par gazouillis interposé: «C’est tout le charme de Twitter : l’essence d’une pensée dans une bouteille à la mer numérique».
Mise à jour du 28 octobre: Je ne suis plus bloqué chez «desormiere», mais tout a été soigneusement effacé de son canal Twitter des contributions de cette journée du 26 octobre. Plus aucune trace d’un différent qui ne devait pas en valoir la peine, j’imagine. Ne plus assumer ce qu’on a déjà écrit… ça peut signifier tellement de choses différentes. Comment interpréter cette rétropublication? Il me reste ceci, tout de même…
Excellent billet, Mario, ça me rejoint. Tu écris ici ce que je ressens exactement lorsque je fais appel à Twitter (ou autre outil de communication en ligne) dans le cadre d’une conférence ou événement du genre. En écrivant et échangeant, je me sens davantage en réflexion que lorsque je reste assis les bras croisés et qu’à n’écouter. La phrase :
« L’acte d’écrire ce qui est pensé ne me paraît pas être moins profond que celui de réfléchir sans laisser de trace. » est probablement celle que je pourrai invoquer pour justifier l’utilisation de portables ou autres lors d’une réunion ou conférence.
De la métacognition visible et partagée? Je crois que oui.
Merci pour cette réponse qui prend son temps … et le donne.
Bien évidemment (sourire)² je ne peux être convaincu entièrement en une seule couche (fourire)² il faudra certainement une deuxième application (surtout pas bien sur, un vernis de finition)
Je vais donc laisser décanter avant de réagir (tout nous incite à ré-agir im-médiatement et j’en suis venu à me contraindre de temps en temps au différé)
Un détail tout de même.
Ce que tu évoques et que reprends Jacques avec justesse, parce qu’il s’agit d’un des noeuds de l’affaire, mérite d’être déplier.
De quel acte d’écrire parle-t-on ?
Une des dimensions capitales des actes – et R. Feurstein dans sa descriptions des fonctions cognitives déficientes met bien le doigts dessus* – est l’intentionnalité.
Pour qui fait on (une action ou une réaction)
« La bouteille jetée à la mer » n’a pas à sa source la même intentionnalité que le twitt envoyé à ceux de ses abonnés (directement ou non*) qui pourraient être intéressés.
Plus le cible de l’intention est précise et plus elle influe sur l’action (ou la réaction)
[ Le mauvais élève qui dans la classe s’empare de la parole du prof pour faire rire les copains a me semble-t-il beaucoup à voir avec certains gazouilleurs ]
Ainsi, si j’ai dit que le Twitt était l’inverse de la prise de note, c’est précisément au niveau de l’intention.
L’une est pour soi
l’autre est pour d’autres (la nature de ces autres et leur rapport avec la source originelle commentée est alors capital.
Il y aurait prise de note si, et c’est une fonctionnalité qui me manque dans Twitter, il était possible de s’écrire à soi même.
Il y a prise de note lorsque l’esprit réfléchit vers l’intérieur la lumière qu’il reçoit.
(J’incite mes élèves à regarder ainsi leur pensée en écrivant l’a peu près qui passe dans leur boite en calcium)
Celui qui gazouille dans un débat, un cours une conférence réfléchit vers d’autres … l’intention étant alors teintée de tout ce qui sous-tend les rapports entre les personnes.
Ceci n’est bien évidemment que transitoire, comme pour les enfants qui passent à la télé (et qui en 30 ans ont évolué au point de voir la caméra comme une chose tout à fait banale et non intimidante) l’utilisateur va développer peu à peu des pratiques qui, je pense, rendront notre débat inutile.
Je penche vers une utilisation de plus en plus grande des modes confidentiels (Twitter va probablement travailler cette dimension pour affiner les possibilités de voile) ce qui sera alors perceptible de tous deviendra minoritaire, et nous retrouverons les bavardages que nous connaissons déjà dans les rangs ou les travées d’amphi.
A suivre donc.
Et merci encore pour cette réponse.
Je vais finir par croire un peu à cette Intelligence Collective (dans sa version modeste) que comme dans la plaisanterie de Colluche certains prônent alors qu’ils n’en ont pas un échantillon sur eux.***
*évitant le piège de la « Motivation » qui n’est en grande partie qu’un de ses mots à servant à nommer un bidule en attendant de le comprendre voire même avant d’en connaître le contour.
** lorsqu’il s’agit d’un groupe par exemple.
*** Pierre Levy n’a jamais répondu à une de mes interrogations (comme par exemple l’analogie de forme que l’on pourrait faire avec l’Intelligence Collective : sphère, pyramide …) se contentant de m’envoyer en privé (sourire² lui est déjà dans la tendance que je décris) un message du style « DOIGT SAGE LUNE »
J’ai pu expérimenter ce gazouillement lors du colloque Génération C la semaine dernière: le fait d’écrire à mesure ainsi m’a permis de rester attentif, sinon, j’ai une facilité à décrocher, je l’avoue humblement ici… Cela m’a aussi permis de retenir des informations que j’aurais moins bien retenu juste en les entendant.
Par la suite, j’ai pu rédiger une synthèse.
J’avoue aussi avoir gazouillé pour des amis qui ne pouvaient être présents…
E. Enry-Newton s’est penchée sur la pratique de Twitter au colloque de la semaine dernière ici : http://www.education-medias.ca/blogue/index.cfm?commentID=23
Inversion de caractères dans le commentaires précédent: je parlais de Emmanuelle Enry-Newton…
Patrick Giroux y va aussi d’un billet à ce propos :
http://pedagotic.uqac.ca/?post/2009/10/27/Génération-C-retour-sur-mon-usage-de-Twitter
Merci à chacun pour sa contribution. J’aime bien réfléchir tout haut avec des commentateurs si généreux.
Je viens de lire http://www.garde-a-vue.com... «Les japonais ont un bon principe de travail : dans un premier temps on n’évoque que les éléments positifs de la proposition.»
J’aime bien.
N.B. Sur le blogue «Ma dixième année», l’auteur revient sur les critiques dont elle a fait l’objet hier. À lire.
quelques questions au fil de la lecture de votre billet que j’ai publié ici http://www.blogitexpress.com/twitt/18015/ et que je reproduis en commentaire. Ces notes ne sont pas argumentées mais sont plus des réflexions posées.
1- Twitter peut-il être un outil de prise de notes ?
Personnellement je l’utilise ainsi lors de formations que je suis à l’URFIST qui sont dans mon domaine de compétences. Estc-e que je pourrais le faire dans une conférence ou une formation où je n’ai aucune connaissance ? En d’autres termes, quel est le degré d’attention au delà duquel je ne peux plus twitter ? En d’autres termes : si l’automatisation est un processus qui me permet d’avoir une apparence de multitasking, à partir de quand, est-ce qu’il faut que je débranche ?
2- « Éteignez vos portables et vos twitts »
À mettre en relation avec la prise de notes tel que vues dans des lectures récentes où l’apport des connaissances importantes doit être annoncé par la personne qui apporte, c’est à dire l’enseignant (pris ds ce sens de ce lui qui apporte). Alors, est-ce que justement il ne faut pas organiser formation et conférence sur le mode « apports de connaissances importantes au début et ensuite applications » ?
3- « L’acte d’écrire ce qui est pensé ne me paraît pas être moins profond que celui de réfléchir sans laisser de trace. »
Mais on laisse des traces puisqu’on apprend – c’est même la dimension essentielle de l’apprentissage que de laisser des traces.
Ce que l’on rajoute c’est une décentration (ça existe ça ?) de soi sur ce que l’on apprend : la metacognition.
Ce travail peut aussi être fait sans témoins!
Qu’apporte le fait d’externaliser ce travail sur twitter?
4- « Il convient souvent de faire confiance à celui qui apprend dans la façon dont il distribue son attention. »
Justement qu’est-ce que la confiance ? Pour moi la confiance ne se noue qu’au niveau de la relation. C’est une connaissance en action de l’autre. Faire confiance c’est connaître l’autre ! Ne s’agit-il pas plutôt de bienveillance ici ? (vieux débat personnel)
Ensuite faire confiance à l’apprenant, quelque part, est-ce que ce n’est pas à l’opposé de l’enseignement ? Position absurde que je tiens là ! Il y a nécessairement confiance, sinon il ne peut pas y avoir progrès de l’autre !
Ou alors il n’y a pas acte d’enseignement dans une conférence ! un peu confus ce que j’écris ! pourtant, il y a quelque chose autour de quoi je tourne sans forcément arriver à l’exprimer…
Peut-on faire confiance à un apprenant dans une conférence qui a déjà une connaissance du sujet et un élève dans une salle de classe (ou ailleurs) à qui justement il manque des connaissance de base ?
Faire confiance à l’élève pour savoir ce qu’il doit faire, oui pourquoi pas à condition que je connaisse ce qu’il est capable de faire. Donc je dois pouvoir laisser un élève twitter (si je transpose ce que dit mario à un apprentissage) et l’interdire à un autre. Ce qui rejoint donc le travail sur l’attention.
Si twitter permet de prendre des notes et ensuite de passer au niveau meta, à partir de quand un apprenant va-t-il pouvoir passer au niveau meta ?
Des réponses qui répondent … c’est rare (dourire)²
Il me manque juste un petit développement à propos de « l’intentionnalité » et twitter.
(Cette dimension que je ne vois apparaître nulle part dans l’Intelligence Collective … mais ça devrait venir)
Je travaille en éducation à construire du matériel éducatif et j’ai 60 ans. Moi qui ne connais à peu près rien de Twitter, qui viens d’entrer frileusement dans Facebook, je prends beaucoup d’intérêt à lire ce que disent des enseignants sur l’intégration du Web 2 à la classe. Qu’est-ce qui captive mon intérêt ici ? Deux choses.
D’abord, j’admire la confiance que ces profs font à leurs élèves, au point de leur permettre d’être sur Twitter en même temps qu’eux causent. Dans toute confiance il y a un risque. Les jeunes manifestent un engagement bien inégal face à leur apprentissage. Pour un qui jouera le jeu correctement, on en trouvera peut-être cinq ou dix qui en profiteront pour blaguer en bloguant, sans rapport au contenu enseigné – ce qui en même temps leur permet de se déculpabiliser. Je jurerais que pareille confiance exige beaucoup de dialogue. Pour que chacun prenne conscience qu’i se tire dans le pied, et trahit le groupe, si Twitter devient pour lui une fuite déguisée. Quand j’avais leur âge, peu de jeunes se sentaient une responsabilité face au groupe.
Sur le court terme, je vois de la perte : danger de dispersion, de superficialité. J’en vois effectivement une bonne dose, surtout au début. Par contre sur le long terme, si un grand nombre jouent le jeu, toute la classe en sortira gagnante. Ça voudra dire qu’au-delà de la matière, existe un enjeu plus vital encore, celui de se connaître soi-même sans tricher, pour devenir le plus beau Philippe, la plus belle Nathalie qu’il devine au fond de lui-même.
Avez-vous encore des oreilles pour écouter ma deuxième raison ? C’est du fait que je me passionne à détecter ce qui peut préfigurer un virage planétaire, contribuer à stopper le «compte à rebours» dont parle Albert Jacquard. Les jeunes de la Génération C, par leur soif de se réseauter, annoncent quelque chose de capital, il me semble. Au-delà du danger de dispersion avec Twitter, ils font des gains du côté de la coopération. Les gens de ma génération se font leur idée à partir de statistiques d’opinions anonymes. Les jeunes se la font en partageant leurs opinions directement. Leur ‘gazouillis’ me fait penser à la palabre amérindienne : elle prend plus de temps, mais si on arrive au consensus, il y a des chances pour qu’il dure plus longtemps que quatre ans entre deux élections. Laquelle des deux approches a le plus de chance de renouveler notre démocratie ?…
En développant la pratique de tout faire à la fois et avec tout le monde, comme avec Twitter, nos jeunes nous énervent. Mais ils font probablement des gains du côté de l’intégration des enjeux. N’est-ce pas ce qu’on cherche à leur apprendre à propos du développement durable, qu’il consiste à mettre en synergie l’économique avec le social et l’environnemental, le présent avec le futur, pour aboutir à une décision qui les intègre vraiment ?
Tout ça pour dire que si j’étais prof en classe, j’aimerais bien essayer de donner à mes jeunes la chance d’intégrer Twitter en classe. Je claquerais des dents un petit moment, c’est sûr… Et j’aurais besoin qu’on évalue ce que ça donne après un bout de temps. Ma plus grande récompense serait si on parvient à le faire ensemble : l’outil nous a-t-il fait avancer personnellement ? et comme groupe ? Et même si la réponse était non, le constat d’avoir manqué ensemble cette chance serait aussi quelque chose de formateur.