L’identité québécoise

Dans un entretien récent, Michel Désautels demandait à Luc Bégin (professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, et directeur de l’Institut d’éthique appliquée) si on n’avait pas accordé trop d’attention à l’étude partisane de Joëlle Quérin qui fait passer le cours Éthique et culture religieuse pour un exercice d’endoctrinement et de promotion du multiculturalisme:

«Il impose une nouvelle définition de l’identité québécoise fondée sur le chartisme qui interdit, dans le cadre du sacro-saint « dialogue », l’expression des opinions nationalistes.» (Source: conclusion de l’étude)

Voilà ce qui serait en cause… L’identité québécoise serait mise en péril par le fameux cours venant d’être implanté. Il n’y a qu’à lire l’étude pour se rendre compte à quel point il y aurait péril en la demeure. Cet exemple de la page 16 du document convaincra tout de suite du sérieux de l’étude:

«L’exemple le plus préoccupant d’activité pédagogique tenue dans le cadre du cours d’ÉCR est toutefois celui révélé par Richard Martineau dans le Journal de Montréal. Le chroniqueur nous apprend que l’enseignante de sa fille avait invité ses élèves à redessiner le drapeau québécois, afin de remplacer la croix qu’il contient par un symbole plus « inclusif ».»

On n’a pas le droit de citer Wikipédia dans les thèses universitaires, mais le Journal de Montréal et son réputé chroniqueur… pas de soucis!

Je lisais l’étude ce matin avec en tête l’exercice du Grand débat sur l’identité nationale en France qui est en train de constituer un des pièges les plus dangereux en terme de débat ayant peu de chances de devenir rassembleur chez nos cousins:

«La nation réside dans la seule conscience d’être une nation et nullement dans l’origine ethnique des individus qui y vivent. Inversement, des populations de même origine ethnique peuvent donner lieu à des nations différentes et mutuellement hostiles, c’est ce qui arrive dans les Balkans. On comprend donc pourquoi l’identité nationale peut être conçue, vécue, éprouvée mais ne peut être définie. Elle ne peut l’être parce que chaque Français a un lien différent d’attachement ou d’appartenance à la nation française. Cette spécificité des liens et des appartenances tient à l’histoire personnelle de chacun. Nous avons des milliers, des millions de manières d’être attaché à la France, d’appartenir à la nation française, sans qu’aucune ne prévale sur les autres. Si l’on demandait aux Français de dire l’identité française, nous aurions 60 millions de réponses différentes, dont aucune ne saurait prévaloir. Ces réponses seraient des récits de soi, des récits d’appartenance et de lien avec la France.» (Yves-Charles Zarka, philosophe)

Je crois moi aussi que nous «avons des milliers, des millions de manières d’être attaché» au Québec et on ne me fera pas avaler que de vouloir mieux comprendre et respecter l’autre avec qui je vis veut obligatoirement dire «se perdre» dans l’autre. Je me souviens des épouvantails qui avaient précédé la sortie du rapport Bouchard-Taylor et finalement, les coprésidents n’avaient pas fait porter sur le seul dos de la majorité le fardeau de l’intégration des immigrants tels que certains l’avaient anticipé.

Notre quête d’identité est forte au Québec et je me surprends toujours de notre adolescence, en tant «que nation», à vouloir faire rapidement la somme de ce qui nous compose quitte à devoir oublier qu’on ne fait plus assez d’enfants et donc, qu’on n’est probablement pas aussi motivé que cela à se prolonger dans «un autre» qui viendrait de soi. Et quand on le fait (donner naissance), je suis loin d’être certain que le modèle identitaire qu’on offre donne à ce point le goût d’y adhérer. J’aimerais bien qu’on commence par le début sur cette question de l’identité québécoise. Si je veux que les autres me ressemblent (au moins sur l’essentiel, le fondamental), qu’ils soient du même dénominateur commun, je dois peut-être réaliser qu’en tant «que nation», c’est sur l’immigration que j’ai décidé de compter pour me donner les moyens de mes ambitions en société. Ce faisant, un minimum d’ouverture à l’autre, à ses croyances et à sa pratique religieuse quand elle existe est un des premiers pas pour favoriser une intégration réussie à notre communauté.

On peut probablement améliorer ce cours (Éthique et culture religieuse) et j’ai hâte de lire les Leroux et Proulx, entre autres, sur l’épisode qu’on vient de vivre. Invoquer la question de l’identité nationale pour le remettre en question pourrait-il constituer un piège aussi fort que celui que le gouvernement français voit venir? Je ne suis pas loin de le penser…

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8 Commentaires
  1. Photo du profil de JeanTrudeau
    JeanTrudeau 13 années Il y a

    C’est là un débat tout à fait théorique et plutôt futile, à mon avis. La première vraie question, c’est : que font les professeurs avec ce programme? La deuxième — plus objective : sur quoi porte l’évaluation?
    À ce que je sache, le programme de catéchèse qui prévalait avant Éthique et culture religieuse n’a pas réussi à ‘endoctriner’ nos jeunes malgré son contenu ‘catholique’… Au contraire, ce programme les a rendus très critiques face à la religion. Pourquoi? PARCE QUE LES PROFESSEURS ONT SU LEUR TRANSMETTRE CE SENS CRITIQUE. Pourquoi ne continueraient-ils pas à le faire encore maintenant?
    Je suis toujours surpris de constater dans les grands débats socio-pédagogiques médiatisés l’espèce de mépris sous-jacent des ‘débatteurs’ pour les professeurs… Comme si les profs étaient des livreurs de programmes ou des programmeurs d’enfants (endoctrineurs)!

  2. Photo du profil de THYSMichel
    THYSMichel 13 années Il y a

    Les « accommodements raisonnables » ne doivent consister, selon moi, qu’en un délai, déjà suffisant, pour que chacun s’adapte à la modernité.
    Dans cette optique, il me paraît évident que l’enseignement ne relève pas des citoyens mais de l’Etat, qui doit veiller à l’émancipation et à l’épanouissement de tous.
    La religion étant une affaire privée, elle devrait être confinée au sein de la famille et dans les lieux de culte, malgré les reproches que je fais à ’éducation religieuse : bien que sincère, de « bonne foi », légitime et constitutionnelle, elle n’en reste pas moins , à mes yeux :
    – dogmatique, puisqu’elle impose dès l’enfance la soumission à un dieu et à un texte « sacré », tous différents dans chaque religion, ainsi qu’une « vérité » absolue, à l’origine de l’intolérance, de guerres, …, alors qu’elle n’est que personnelle, partielle et provisoire,
    – exclusive, puisqu’elle occulte l’alternative de la laïcité philosophique, de l’humanisme laïque, de la morale laïque, de la spiritualité laïque, …, et qu’elle ne favorise donc pas l’autonomie, l’esprit critique, le libre examen , la liberté de pensée, les options laïques, …
    – communautariste, puisqu’elle n’incite pas à s’ouvrir à la différence enrichissante de l’autre et à une citoyenneté responsable.
    Si ce n’est intellectuellement, la religion n’a dès lors rien à faire à l’école, qui n’a pas vocation à évangéliser, mais à informer, à apprendre à apprendre, à développer l’esprit critique à tous points de vue, et à préparer à vivre ensemble.
    Le cours d’ECR actuel, au contraire, fait découvrir d’autres religions, avec tant de détails, que cela jette la confusion dans l’esprit des enfants et, par comparaison, et cela ne peut que renforcer la religion traditionnelle et majoritaire….
    Pourtant, selon moi, un minimum de culture religieuse, mais aussi laïque, fait partie de la « culture générale ». Ce cours d’ECR est donc finalement une aubaine pour les évêques !
    Il favorise en effet hypocritement le catholicisme, dont ils espèrent ainsi compenser le déclin, et dès lors la déconfessionnalisation et la laïcisation croissantes de la société …
    C’est une lapalissade, mais il faut parfois rappeler qu’aucune liberté n’existe en l’absence d’alternatives, donc de choix réalisé en connaissance de cause.
    En particulier, la « liberté religieuse », bien que constitutionnelle, me paraît plus symbolique qu’effective …
    Je regrette que les parents, croyants ou non, comme s’ils étaient infaillibles, s’arrogent moralement le droit, fût-il légitime et constitutionnel, d’imposer unilatéralement leurs propres convictions à leurs enfants (sans d’ailleurs les avoir jamais remises en question).
    A notre époque de pluralisme des cultures et des convictions, je crains que cela ne favorise pas l’intégration de leurs enfants à la modernité et au multiculturalisme, mais bien au communautarisme et à l’intolérance
    La croyance religieuse est évidemment un droit légitime, constitutionnel et respectable, mais plus encore si elle a été choisie en connaissance de cause, plutôt qu’imposée, comme suite logique et traditionnelle du baptême …
    De nos jours, il me semble que l’approche traditionnelle du phénomène religieux (philosophique, métaphysique, théologique, anthropologique, …) doit être complétée par une approche psycho-neuro-physio-génético-éducative.
    Des psychologues religieux ont en effet confirmé, sans doute à leur grand dam, que sans une éducation religieuse, forcément affective, basée sur la confiance et l’exemple des parents, la foi n’apparaît pas spontanément … ! Il apparaît alors que l’éducation religieuse, renforcée par un milieu croyant unilatéral, laisse des traces indélébiles dans le cerveau émotionnel, ce qui anesthésie, à des degrés divers, le cerveau rationnel et l’esprit critique, du moins dès qu’il est question de religion, et perturbe donc le libre choix ultérieur des convictions philosophiques ou religieuses. L’éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas à 99,99 % …
    Au-delà de l’origine psychologique de la foi (le besoin d’un « Père » protecteur, substitutif et anthropomorphique), l’IRM fonctionnelle tend à expliquer la persistance neurophysiologique de la sensibilité religieuse, par plasticité neuronale et synaptique et donc la fréquente imperméabilité de tant de croyants, notamment créationnistes, aux arguments rationnels et scientifiques. On comprend que des athées, comme Richard DAWKINS, ou des agnostiques, comme Henri LABORIT, en aient conclu que l’éducation religieuse est une malhonnêteté intellectuelle et morale … L’honnêteté intellectuelle exigerait au contraire que l’influence des parents, légitime mais unilatérale, soit compensée par l’école, au cours d’histoire ou de philosophie, par une information minimale, progressive, objective et non prosélyte, à la fois sur les options religieuses ET sur les options laïques, même si cela doit amener certains à conclure à l’existence imaginaire et illusoire de toute divinité …
    Dans cette optique, l’enseignement confessionnel, survivance du Moyen Âge, apparaît comme élitiste, inégalitaire et obsolète. Il devrait donc fusionner, idéalement partout, avec l’enseignement officiel et devenir pluraliste, même si les religions, déjà en perte de vitesse, y perdent de leur influence.
    Déjà, en réaction à la laïcisation croissante de nos sociétés, elles s’emploient partout à reconfessionnaliser les consciences et à recléricaliser l’espace public (cf Jean-Paul II, Benoît XVI, le chanoine-président SARKOZY qui détricote la loi de 1905, … En Belgique, par électoralisme, certains politiciens inféodés aux religions refusent d’inscrire le principe de la laïcité (politique) dans la Constitution, et de repenser les notions laxistes de neutralité, de (pseudo) liberté de conscience et de religion, ainsi que le « pacte scolaire « de 1958, inadapté à l’actuelle pluralité des cultures et des convictions.
    Michel THYS à Waterloo michelthys@base.be http://michel.thys.over-blog.org

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    M. Asselin,
    Les journalistes et chroniqueurs peuvent-ils exister? Vous avez la dent dure.
    À ce que je sache, ici, l’information relayée par Richard Martineau est de première main. Il a vérifié ses sources. Pourquoi ne pas alors lui accorder la crédibilité qui lui revient?
    Et en quoi une information provenant du JdeM serait-elle moins bonne qu’une autre si elle est vérifiée?
    Vous nagez dans un certain préjugé.

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    @Luc Papineau
    On parle ici d’une étude universitaire… Le mot «doctorat» est accolé à «ce papier»… Ne devrait-il pas comporter, donc, un fort dosage «scientifique»?
    M. Martineau est une source de première main, certes, mais «on ne peut plus» subjective, il me semble.
    Avez-vous lu cette «étude» M. Papineau?
    J’ai rarement lu papier aussi faible du point de vue «rigueur scientifique», pour le peu que je connaisse de ce domaine.
    Remarquez qu’ici sur mon blogue, vous pourriez me dire que je me tiens plutôt loin de la rigueur scientifique… vous avez le droit de trouver que j’ai «la dent dure»!
    Attendons de voir ce qu’il adviendra de ce document à travers le temps.

  5. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    M. Asselin,
    L’étude de madame Quérin, je m’en moque un peu. Elle peut avoir toutes les faiblesses du monde, je vous en laisse juge, si vous voulez. Dans le temps, elle aura eu son quinze minutes de gloire, pour reprendre les mots de Wharol.
    Là n’était pas le but de mon intervention. Je m’intéresse davantage au préjugé que vous semblez manifester contre Martineau et le Journal de Montréal.
    Si Martineau est exact dans le fait qu’il rapporte ici, pourquoi le dénigrer? En quoi est-il «subjectif» quand il rapporte le fait qu’on ait demandé à sa fille de redessiner le drapeau du Québec de façon à y enlever la croix? C’est un fait vérifiable. On est loin du subjectif que vous lui prêtez.
    Pourquoi ce préjugé aussi «simpliste» à l’égard du Journal de Montréal? Il s’y fait du bon et du moins bon journalisme comme partout ailleurs. La Presse, Le Soleil ou Le Devoir ne sont pas exempts de toute bêtise. Le JdeM n’est pas non plus un modèle de rigueur.
    Si JP Proulx affirmait que la Terre est plate, vous auriez la pertinence de le contredire. Là, Martineau rapporte un fait de première main et vous le dénigrez. Un peu d’élégance, que diable!

  6. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    @Luc Papineau
    Je comprends un peu mieux où vous voulez en venir…
    Je dis que son point de vue est subjectif par rapport aux conclusions de l’étude, dans le sens qu’il pourrait y avoir d’autres points de vue sur la nature des activités éducatives dans ce cours qui pourraient infirmer la thèse défendue par Mme Quérin. Elle conclue des choses sur la base d’un vrai témoignage, je n’en doute pas (qu’il soit vrai); je doute que ce témoignage puisse être suffisant d’un point de vue scientifique pour tirer les conclusions de Mme Quérin. Il serait venu de La Presse (de Patrick Lagacé disons) ce témoignage qu’il ne serait pas plus recevable d’un point de vue scientifique, me semble-t-il. C’est plus clair?
    Mais puisque vous vous moquez de l’étude… Parlons de M. Martineau et du Journal de Montréal.
    Je ne doute pas de la véracité de ce qu’il rapporte M. Martineau sur ce sujet. Ça s’invente mal une anecdote de ce genre, même s’il a raconté ce qui faisait son bonheur. Peut-être y a-t-il d’autres activités vécues par son enfant qui ne cadraient pas avec «son point» qu’il ne nous a pas rapporté… Je conserve un doute raisonnable sur le Journal de Montréal en tant que source qui peut «rapporter» de vrais faits, autant que sur les autres journaux que vous avez nommés même si j’ai des préférés parmi les journalistes (M. Martineau n’en fait pas partie, mais Joseph Facal du même journal, oui). Comme tous les journaux, il y a des biais. Les chroniqueurs comme M. Martineau en ont aussi. J’en ai… Je ne dis pas qu’ils inventent des faits. Je dis qu’ils apportent des faits qui soutiennent leurs arguments. Je ne leur reproche pas… Je dis juste que ce n’est pas suffisant pour en faire une thèse universitaire. On se comprend?
    Je ne suis pas un avide lecteur du Journal de Montréal ou de son cousin, celui de Québec, mais comprenez-moi bien… ils font des bons coups d’un point de vue journalistique, eux aussi. Pas de doute là-dessus.
    Pour ce qui est de M. Proulx, nous avons des différends sur certains sujets… ne vous en faites pas.

  7. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Dans la foulée des précédents commentaires…
    Voici un texte qui vient de paraître au Devoir d’un professeur de l’Université de Sherbrooke qui me semble bien marquer la différence entre les visées politiques/idéologiques d’une étude et son caractère plus scientifique, «Éthique et culture religieuse – Le Lyssenko de la souveraineté».

  8. Daniel Trottier 13 années Il y a

    Mario,
    Cent p. cent d’accord avec toi sur Quérin, dont j’ai lu le document, lequel relève beaucoup plus de l’éditorial politique – dont dépasse le jupon idéologique – que de l’étude scientifique. Comme toi – enfin, je suppose que c’est le cas – j’aime beaucoup le papier de Kristoff Talin, dans Le Devoir de ce matin (Éthique et culture religieuse – Le Lyssenko de la souveraineté).
    Je me permets par ailleurs de ploguer l’extrait suivant, qui donne à réfléchir sur notre « identité », puisque c’est le thème. On y traite de la majorité silencieuse de ceux qui choisissent le Québec et qui viennent de pays francophones :
    « Or ces gens-là ne roulent pour personne : ni multiculturalisme bien-pensant, ni nationalisme bien pensé, ni intégrisme religieux rampant, ni interculturalisme mal campé. Ils sont laïques, parfois athées, égalitaristes et francophones. Leur identité se conjugue au pluriel, leur solidarité est sans frontières, leurs appartenances multiples s’articulent sans complexe, leur loyauté envers le Québec et leur respect pour les aspirations légitimes du peuple québécois sont assez solides pour ne jamais permettre à qui que ce soit de les réduire à une affaire de droit du sang. »
    L’auteure est Rachida Azdouz. L’extrait est tiré de son texte d’opinion publié dans Le Devoir du 10 décembre 2009 : L’État de droit et le manichéisme (http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/278936/libre-opinion-l-etat-de-droit-et-le-manicheisme

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