J’avais vu passer ce billet d’Antoine Robitaille du Devoir en me disant que «le traitement» fait au contenu d’un extrait du cahier d’activités «Voyage vers les valeurs» de la collection «« Partenaires du Bonheur », Éthique et culture religieuse» était rigolo. À la page dix du document, l’auteur semble vouloir faire l’hypothèse que certains jeunes du secondaire ne soient pas certains de savoir à quel genre ils s’identifient:
«Indiques [sic] tes caractéristiques, tes goûts et tes intérêts : 1) Je suis un garçon:_________, Une fille: __________ Je ne sais pas encore ________»
S’ensuit une conversation comme il s’en trouve souvent sur les blogues où les internautes commentent le fait qu’il y ait une coquille (faute de français) dans la formulation de la question et surtout, divaguent sur l’interprétation à donner aux choix de réponses à cette question. Le commentaire #23 à la suite au billet de M. Robitaille me semble bien résumer la situation:
«Quant à la question, bizarre, elle ne concerne pas l’orientation sexuelle, mais le genre. La poser ainsi, à des jeunes de 12-13 ans, sous-tend des postulats sur la «diversité» et la «déconstruction de l’identité» pour le moins surprenants.»
Si Patrick Lagacé ne s’en était pas mêlé cet après-midi, je ne serais pas en train d’écrire ce billet; rien de bien grave ne s’était passé chez le carnetier du Devoir qui se spécialise avec goût à repérer les «propos étonnants zé cocasses» qui circulent dans la sphère publique. D’ailleurs, «l’honneur» de l’auteur du cahier (Daniel Gougeon, un prof. au Collège Beaubois) est sauf, si j’en crois le commentaire #12 du billet d’Antoine Robitaille:
«Un peu hors contexte, mais si ce Daniel Gougeon est le même qui m’a enseigné il y a une vingtaine d’années (au Collège Beaubois), je tiens à souligner l’excellence de son enseignement et l’ouverture qu’il a su m’insuffler eu égard aux autres traditions religieuses et spirituelles. Cela dit, la transsexualité est-elle un sujet si tabou qu’il faudrait le mettre à l’index. Come on, nous nous sommes plus en 1950!»
Mais Patrick Lagacé en a remis donc, aujourd’hui:
«Antoine Robitaille, du Devoir, attache le grelot à une autre « formidable » expérience du ministère de l’Éducation, dans le cours Éthique et culture religieuse. (…) Je comprends la sensibilité, tout à fait moderne au regard des avancées de la science en matière d’identité sexuelle. Sauf que ça vient d’un ministère qui tente périodiquement des expériences débiles qui font, à la fin, que nos enfants ne maîtrisent ni l’Histoire ni la langue française (d’ailleurs, le génie qui signe ce formulaire accorde mal le verbe indiquer !)»
Une charge (une autre) contre le MELS et 49 commentaires plus tard, j’apprends ce soir que ni M. Robitaille, ni M. Lagacé n’ont pris le temps d’avertir M. Gougeon dont l’adresse est pourtant facile à trouver sur le site de l’éditeur du cahier et encore moins lui offrir de donner sa version des faits. Si je comprends un peu du côté de M. Robitaille (son carnet «joue» ce genre d’anecdote régulièrement et on ne grimpe pas dans les rideaux pour autant), je comprends moins du côté de M. Lagacé qui dérape totalement à partir de fausses prémisses. Me semble que ça fait pas très «pro»… mais bon, qui suis-je pour juger de la conduite de ces deux journalistes? Ils bloguent… on sait que c’est pas sérieux les blogues…
J’ai cru bon prévenir Patrick Lagacé par Twitter vers 14 heures sur le fait que le MELS ou quelques fonctionnaires que ce soient n’ont rien à voir avec ce contenu. M. Lagacé est en «faillite de messages» ces temps-ci… Je n’ai donc pu lui expliquer ce que plusieurs observateurs en éducation savent; le MELS ne se mêle pas du contenu des cahiers d’activités (ni ne les approuve).
J’étais quand même curieux de savoir ce que pensait le professeur Gougeon du traitement dont il est l’objet dans ces deux billets. Facile à rejoindre, ce professeur m’a expédié une réponse dont je reproduis certains passages:
«Le directeur [du collège] m’a informé tout récemment d’un blogue sur mon matériel qui visait une question ou je demande le sexe de l’élève et où j’ajoute une troisième option « Je ne sais pas encore ». J’ai tout de suite su ce que c’était, mais je ne croyais pas le trouver dans mon matériel. J’ai d’abord cru qu’on parlait de mon matériel de 4e secondaire et là je comprends que l’on parle de mon matériel de… 2e secondaire. Je suis très surpris et je pense que si l’on veut faire l’évaluation d’un matériel pour un cours donné dans le cadre du programme d’éthique et de
culture religieuse, il y aurait lieu de dépasser le réflexe si détestable de beaucoup de journalistes de prendre un petit passage, de le sortir de son contexte et de le monter en épingle. Je vois que même Patrick Lagacé, dont je lis presque tous les articles, n’échappe pas à ce réflexe. C’est
bien dommage. Voici l’histoire de ce petit bout de phrase: voilà 19 ans, lorsque j’ai
commencé à enseigner au collège, on m’a confié un groupe en tant que tuteur. Je ne me souviens plus si c’était en 4e ou en 5e secondaire. J’ai donc conçu pour ces jeunes de 15-16 ans une fiche recto-verso sur une feuille de format 8 1/2 X 11 po. qu’ils devaient remplir et qui me servirait de base pour un dialogue lors d’une première entrevue. La question sur leur identité sexuelle figure sur la 2e ou la 3e ligne. Elle n’occupe qu’un espace d’une ligne, mais le questionnaire touche l’ensemble des goûts, des activités et du profil de l’élève, y compris ses ambitions académiques et les personnes qui lui servent de modèle dans la vie et cette fiche-questionnaire occupe deux pages entières. Je me sers encore de ce questionnaire aujourd’hui dans le cadre de mes fonctions ; il n’a pas changé depuis 19 ans et personne n’en a jamais fait de scandale. Lorsque les élèves le remplissent en classe lorsque je les rencontre collectivement pour la première fois, j’entends quelques rires, personne ne vise personne et ça détend l’atmosphère. Étrangement, je ne me souviens pas d’avoir intégré cette petite phrase dans mon matériel de 2e, mais la chose est possible. J’ai écrit cette collection presque à moi seul ; ça fait plus d’un an déjà et mes souvenirs se perdent. Mais je continue de croire que cette phrase est anodine, complètement isolée dans un ouvrage qui aborde bien d’autres choses plus importantes pour le programme. Ceci dit, je conçois que, si ce petit bout de phrase est écrit comme ça, sans mise en contexte pour un enseignant qui utiliserait mon matériel, ça peut effectivement paraître un peu étrange. Le minimum serait alors de communiquer avec moi. Votre article là-dessus, s’il reproduisait mon présent témoignage, permettrait probablement de faire le travail.»
Le cours Éthique et culture religieuse et l’auteur du cahier valent bien une p’tite moquerie, mais faudrait pas exagérer quand même! Le MELS… il a suffisamment à faire avec d’autres « formidables expériences » pour que dans ce cas-ci, on lui foute la paix.
Mise à jour: Note à moi-même… faire attention avant de douter du professionnalisme des journalistes. Quelques minutes après que je l’ai averti [par courriel] de la publication de ce billet, Patrick Lagacé s’est repris, dans les règles de l’art, je crois.
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Je saisis bien dans ce billet que le MELS n’est aucunement mêlé à ce matériel didactique, créé par le prof Daniel Gougeon. Et c’est bien d’en faire état et de voir Patrick Lagacé se reprendre dans les règles de l’art.
Mais malgré le fait que je suis une personne sans préjugé et très ouverte d’esprit, je ne suis pas d’accord avec le commentaire suivant:
– «Cela dit, la transsexualité est-elle un sujet si tabou qu’il faudrait le mettre à l’index. Come on, nous nous sommes plus en 1950! »
Je n’ai absolument rien contre la transsexualité, l’homosexualité ou la bisexualité…, mais je ne vois pas ce que cette question vient faire dans un cours d’éthique et de culture religieuse, et ce, même après avoir lu les explications de M. Gougeon.
Finalement les explications de M. Gougeon n’en sont pas; il nous dit qu’il fait cela depuis des années et que mis en contexte c’est complètement différent, mais aucunement ne nous explique-t-il si oui ou non l’option de ‘je ne sais pas encore’ est intentionnellement laissée là ou si elle constitue simplement une erreur à cause du format des pages. Si les élèves rient de son formulaire à chaque année depuis 19 ans, il doit donc avoir décider consciemment de la laisser là.
M. Gougeon élaborera lui-même par un commentaire ici, s’il souhaite ajouter du contexte, mais j’ai compris de ses explications qu’il ne fallait pas chercher dans «cette troisième option» une profonde intention pédagogique pouvant être liée à une déconstruction de l’identité de genre ou autre. Ça s’est retrouvé dans le formulaire voilà dix-neuf ans, c’est resté, ça n’a pas causé de vague depuis, c’est une sorte de «quantité négligeable», ça pourrait détendre l’atmosphère dans un contexte où il faut «se présenter», mais je ne suis pas certain que le prof devrait «se battre» bec et ongle pour que ça soit utilisé, «tel quel», coûte que coûte. Ce n’est pas vraiment lié au nouveau programme en tous les cas.
J’ai compris qu’il ne fallait pas juger du matériel proposé à partir de cette anodine «troisième option», c’est tout.
Ce passage un peu saugrenu ne fait effectivement pas partie du programme d’ÉCR. Il n’a pas non plus pour objet d’amorcer une situation d’apprentissage. Il est là pour rendre moins banale la fameuse question posée partout dans tous les questionnaires et formulaires administratifs sur l’identité de quelqu’un. C’est là pour surprendre, peut-être pour faire sourire, mais en faire la psychanalyse constitue un dérapage.
Anodin ou pas, blague ou pas, la question est étrange et les explications de M. Gougeon ne sont pas vraiment convaincantes. Y a-t-il un seul élève qui ait répondu « Je ne le sais pas » même si effectivement il avait un doute sur son identité?
M. Asselin,
on a fait beaucoup de millage avec cette simple phrase, on peut en convenir. Mais comme il est impossible de bénéficier du contexte de celle-ci, il est facile de se livrer à diverses psychanalyses.
Cela étant dit, si M. Lagacé a manqué de professionnalisme en ne remontant pas à la source des faits, je crois que M. Gougeon a aussi sa part de responsabilité dans cette affaire». «On écrit pour être lu», dixit on est responsable de ses écrits et de leur bonne compréhension.
Espérons que cette tempête dans une verre d’eau se calmera.
J’ai essayé de dire sur le blogue de Robitaille tout le mal que je pensais de sottise. Impossible de publier. Censure ?
Je verifie si le systeme fonctionne avant de perdre encore mon temps
Je lis et relis cet excellent billet (excellent parce que tu y donnes une belle leçon de journalisme), Mario, mais je m’explique pas pourquoi tous (y compris M. Gougeon) patinent autour de ce qui me semble une évidence: les Micheline Montreuil de ce monde ont bien dû être des élèves de 2e secondaire un jour, non?
Deux clins d’oeil ECR pour finir :
1) le Coran (24/31) parle de « serviteurs impuissants » (une référence directe aux eunuques) dans un des deux versets où le « hijab » est mentionné. Je viens de Googler une version francophone:
« Invite également les croyantes à baisser pudiquement une partie de leurs regards, à préserver leur vertu, à ne faire paraître de leurs charmes que ceux qui ne peuvent être cachés, à rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, à ne montrer leurs atours qu’à leurs époux, leurs pères, leurs beaux-pères, leurs fils, leurs beaux-fils, leurs frères, leurs neveux, aux femmes musulmanes, leurs servantes, leurs esclaves, leurs serviteurs impuissants, ou aux garçons impubères. Dis-leur aussi de ne pas agiter les pieds pour faire deviner les autres atours de leur féminité. »
Je rappelle qu’il s’agit là d’un extrait 14 fois centenaire!
2) Et six siècles plus tôt, dans la Bible, Mathieu 19-12 précise que les eunuques ne sont pas tous des hommes castrés : « Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère; il y en a qui le sont devenus par les hommes; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. »
Faut-il passer son cours d’ECR pour cesser de croire en une sexualité humaine binaire? Je suis près de le croire.