La plus grosse critique que je pourrais faire au livre de Normand Baillargeon «Contre la réforme» (La dérive idéologique du système d’éducation québécois) est que la réforme décrite par le philosophe et militant libertaire n’existe pas, ni au MELS, ni dans aucune école du Québec. Le livre, s’il mérite d’être lu d’un couvert à l’autre, s’attaque à une créature de l’esprit, morte née au début des années deux mille.
J’ai vécu plusieurs des épisodes qui composent le sujet du livre de M. Baillargeon. Mon regard est donc celui d’un observateur intéressé, ayant participé activement aux événements entourant la mise en oeuvre du nouveau Programme de formation de l’école québécoise. Dès sa mise à l’essai dans un réseau de seize établissements scolaires dites «écoles ciblées» pour ses premières années d’implantation au primaire (l’Institut St-Joseph que je dirigeais a joint le groupe lors de la rentrée scolaire 1999-2000), j’ai eu à composer avec ce qui est convenu d’appeler la réforme de l’éducation. Par la suite, depuis ce temps, je suis demeuré un acteur important dans les débats entourant cette réforme; les billets de mon blogue où le mot «réforme» est présent témoignent de l’ampleur de mon engagement. Pour terminer sur l’angle de ma critique du livre, j’ajouterai que pendant les années où j’étais directeur d’une école ciblée, j’étais perçu par les autorités du ministère de l’Éducation comme «un adversaire» de la réforme. Avec le temps et surtout, depuis le départ de M. Robert Bisaillon du MELS, je crois être devenu «un allié». Je déclare donc un préjugé de départ défavorable, en commençant, aux visées du livre de M. Baillargeon qui consistent à «dénoncer les carences très graves dans la vaste entreprise éducative qu’on implantait et dont nos enfants feraient les frais». Il faut aussi dire que j’ai coécrit en novembre 2005 un billet très équivoque contre les positions défendues par Normand Baillargeon suite à entrevue diffusée à la radio de Radio-Canada. Enfin, en décembre dernier, j’ai aussi écrit sur l’importance de lire des auteurs qui apportent des points de vue différents traitant explicitement de celui de M. Baillargeon…
Revenons au livre puisque c’est de ce dernier dont je veux traiter. Je ne résumerai pas le livre puisque Joëlle Quérin le fait bien mieux que je ne pourrais le faire («Joëlle Quérin», tiens… ce nom me dit quelque chose). Une phrase-clé de cet article tout de même qui reflète bien le point de vue du livre…
«Imaginons toutefois que vous croyez que la connaissance n’est qu’une construction du sujet pensant, qui ne se rapporte aucunement au « réel ». Qu’en fait, le « réel » n’existe pas vraiment, ou du moins, on ne peut pas prouver qu’il existe. Que la vérité n’existe pas non plus, et qu’en conséquence, nos connaissances peuvent être jugées viables ou non, mais jamais vraies. Que chaque individu produit à sa manière un savoir qui lui est propre, incomparable à celui des autres, et donc non transmissible d’une personne à l’autre. Imaginez que vos pensez tout ça. Quelle conception aurez-vous de l’école ?»
C’est cette vision de ce que prônerait les changements des dernières années en éducation qui est le centre du propos du collage de nombreux textes «anti réforme de l’éducation» parus dans diverses publications, dans un passé récent. D’ailleurs, comme Mme Quérin l’écrit, je crois que «les redites sont nombreuses et le fil conducteur finit par se perdre» dans ce livre, à cause du collage, précisément. Mais bon… cela dit, les deux mots-clés du livre sont «constructivisme radical» avec comme personnage central Ernst von Glasersfeld celui-là même qui serait à l’origine du concept de «la non-communicabilité du savoir». Dans le premier des textes du livre («Une faillite philosophique»), M. Baillargeon s’applique à démontrer que «les idées qui alimentent la réforme» (cette expression revient souvent dans le livre) statuent «qu’il n’est pas possible de transférer d’une tête à l’autre des significations, i.e. des concepts et des structures conceptuelles» (p. 35). Avec une telle prémisse, je comprends les oppositions de l’auteur. D’ailleurs, c’est la première fois que je lis sur M. von Glasersfeld ou sur le constructivisme radical. Le MELS m’aurait caché tout ce temps (1999-2010) que la réforme s’inspire de cette théorie; c’est ce qu’il me faut déduire du fait qu’en aucun moment, je n’ai vu cité cet auteur ou cette forme de constructivisme dans les nombreuses séances d’information/formation du MELS auxquelles j’ai participé.
Il est exclusivement question de «la beauté de la philosophie constructiviste» (l’auteur fait régulièrement dans l’ironie pour décrire ce qu’il rejette), de «relativisme cognitif», de «pédagogie de la découverte» et des compétences qui, «à mesure de leur généralisation et de leur indépendance du savoir, deviendront transversales» pour décrire «l’importante réforme de l’éducation en cours au Québec, pédagogiquement et philosophiquement révolutionnaire» explique avec encore une pointe d’ironie Normand Baillargeon. Je n’irais pas jusqu’à écrire que l’auteur fait preuve de mauvaise foi dans sa description de la «substantifique moelle» du renouveau pédagogique, mais il en est probablement resté au décodage d’une démarche qui n’a jamais été mise sur les rails, à mon avis. J’ai bien assisté à quelques «messes pédagogiques» de départ en 1999 qui avaient les allures de «hors-de-la-pédagogie-du-projet-point-de-salut», mais je dois ici préciser que dès les premiers rapports de validation des écoles ciblées, les «concepteurs et promoteurs de la réforme» ont dû faire marche arrière avec «l’imbuvable cocktail» (cette expression est de M. Baillargeon) «de relativisme, de solipsisme et de contradictions», si les velléités des réformateurs dont traite l’auteur ont trotté dans leur tête à l’origine de l’opération. Enfin, pas complètement au départ, mais rapidement, les enseignants (et plusieurs autres intervenants scolaires) ont affirmé haut et fort «que des apprentissages véritables se font dans l’utilisation du style magistral» et qu’expliquer et enseigner faisait encore partie de l’utile et de l’essentiel. En tous les cas, dans l’école que je dirigeais. La source de l’extrait cité à propos du magistral vient d’un document dont je reparlerai plus loin…
Bref, les «erreurs philosophiques majeures» dont parle Normand Baillargeon me paraissent être bien théoriques, découlant d’une interprétation [plausible, mais décalée] des débuts de l’implantation de la réforme. Cette réforme décrite par M. Baillargeon, celle de «l’endoctrinement pédagogique», je ne l’ai rencontrée nulle part, dans aucune école du Québec, si elle a un jour été formulée. La critique de M. Baillargeon est sans appel à la page 46 de son livre et je comprends le désarroi de ceux qui croient que le constructivisme radical en tant que seule théorie de l’apprentissage acceptable aurait pu envahir les écoles du Québec au fil de l’implantation de la réforme jusqu’à maintenant:
«Un enseignement endoctrine s’il transmet des doctrines, c’est-à-dire des propositions dont on ne peut pas publiquement et rationnellement montrer la vérité ou la fausseté; s’il le fait à l’aide de moyens au nombre desquels figurent des procédés qui ne font pas appel à la raison; et s’il est mené avec l’intention que l’adhésion de la personne à qui on transmet ces contenus soit entière, inconditionnelle et persiste malgré l’évidence. Chacun de ces points appellerait d’assez longs développements; mais l’essentiel y est, je pense, et permet de comprendre que l’endoctrinement est un crime majeur contre l’esprit parce qu’il nie la rationalité et l’humanité des personnes à qui on le fait subir, qu’il les traite comme des moyens plutôt que comme des fins et qu’il les prive de leur autonomie et de la possibilité de (se) choisir.»
Je sais qu’après avoir lu le livre, certains croiront vraiment que «la doctrine du constructivisme radical» telle que décrite par M. Baillargeon, a pris véritablement racine dans le réseau de l’éducation et que c’est dû «à cette espèce de nomenklatura de la pédagogie où l’on retrouve les technocrates du Ministère de l’Éducation, le gratin des facultés des sciences de l’éducation et les éminences grises du Conseil Supérieur de l’Éducation». À preuve cette dernière citation prise à même le blogue de Jacques Brassard, ex-ministre péquiste qui promet d’ailleurs d’examiner dans un prochain billet, «plus tard le rôle joué par le Parti Québécois dans la mise en place de cette réforme et la responsabilité qui lui incombe d’enclencher …une contre-réforme.» (Ajout: son billet vient de paraître)
Ça m’amène au deuxième texte du livre, celui qui porte sur la recherche en éducation. Ce dernier me semble manifester beaucoup de bon sens. Comment le MELS a-t-il pu croire en la fécondité d’une réforme implantée sans prévoir d’études évaluatives crédibles? Moi aussi je me le suis demandé. À la page 68 du livre, M. Baillargeon fait preuve de réalisme en affirmant «que la recherche n’est pas toujours nécessaire en éducation». «Aucune recherche au monde ne peut dire ce qu’est l’éducation, ce qu’est le savoir ou ce que sont tant d’autres concepts nécessaires pour cerner ce que signifie éduquer». Je suis assez d’accord avec lui sur le fait qu’au sein des sciences de l’éducation, il existe «un surprenant mépris pour les choses de l’esprit, pour le savoir, pour la culture, pour la rigueur, pour la science et pour la pensée». Le livre exprime cette opinion sans nécessairement la démontrer, mais elle cadre avec le ton du livre. La recherche est difficile à réaliser et qu’on soit partisan ou non de la nature des changements à opérer et de comment il faut les mener, les «conditions à satisfaire pour de vraies recherches empiriques» (dont celle d’isoler une seule variable à la fois) ne sont pas faciles à réunir et on tombe trop souvent dans «une sorte d’artificialisme théorique parfois désolant». M. Baillargeon dénonce une certaine alliance «Université-État» qui n’a pas tracé les limites de ce qui pourrait être acceptable dans le constructivisme (ça, c’est moi qui l’écris); cet état de fait n’aide en rien le réseau de l’éducation, car le constructivisme ne produit pas que du relatif (ça aussi, c’est moi qui l’écris). Je consultais récemment un texte de Philippe Jonnaert qui porte sur le constructivisme et j’étais ravi d’y lire, référence à Piaget à l’appui, que «selon l’épistémologie traditionnelle, celle fondée sur l’hypothèse ontologique, la connaissance ne peut être que celle de la « Réalité »». La suite pourrait plaire à M. Baillargeon (je dis bien «pourrait»):
«Les constructivistes réfutent cette thèse ontologique sans nier cependant l’existence d’une réalité extérieure. Mais l’hypothèse constructiviste semble peu compatible avec le bon sens commun qui recherche une correspondance stricte entre ce qu’il connaît et ce qu’il voit, entre connaissance et réalité, entre savoirs codifiés dans les programmes d’études et connaissances des élèves. L’hypothèse constructiviste se positionne en porte-à-faux avec l’épistémologie institutionnelle et les conceptions traditionnelles de la connaissance et de la réalité. Affirmer qu’une personne connaît à travers ses propres expériences, signifie aussi que chacun est responsable de ses constructions: «il n’est pas nécessaire d’explorer très profondément la pensée constructiviste pour se rendre compte qu’elle mène inévitablement à l’affirmation que l’être humain, et l’être humain seulement, est responsable de sa pensée, de sa connaissance, et donc de ce qu’il fait», (von Glasersfeld, 2004b: 13). Les constructivistes dérangent parce qu’ils bouleversent bon nombre de certitudes dont l’ordre institutionnel de l’organisation du monde et des connaissances. Alors certains se permettent de caricaturer le constructivisme, par exemple en le réduisant à un solipsisme pédagogique.»
Une affirmation du livre de M. Baillargeon m’a paru fidèle à ce que j’ai vécu dans ces années du début de la réforme (je reviens en arrière, dans le premier texte, page 53-54):
«En effet, si chacun construit sa réalité et y reste enfermé sans pouvoir communiquer, si toute description du réel est arbitraire et, dans sa volonté de s’imposer aux autres, n’est rien d’autre que la manifestation d’un pouvoir arbitraire, alors l’idée même d’évaluation des programmes et des politiques publiques, au sens où ces mots sont d’ordinaire entendus n’a plus, à proprement parler, aucun sens. Et c’est l’idée même qu’avant de mettre en place une réforme quelconque on doive procéder soigneusement à son évaluation et chercher à déterminer si oui ou non les changements préconisés produisent les effets escomptés qui devient naïve, suspecte et intenable.»
À titre de directeur de l’Institut St-Joseph, j’ai soumis au ministère un rapport complet au terme de l’expérimentation de notre communauté éducative de la réforme (il me semble que c’était à l’automne 2002). Je ne crois pas que ce rapport ait cheminé bien loin au MELS. Je suis d’ailleurs assez certain qu’il ne contenait pas assez d’éléments convergents avec «la doctrine Bisaillon» et qu’il a été contourné, voire ignoré. Le voici. Sur trente mesures cotées par les enseignants étant jugées «importantes relative à la réussite de l’implantation du nouveau Programme de formation» la dixième était «Conserver un certain contenu explicite au-delà de l’apprentissage des compétences» et s’était méritée une note de 8.3/10. Plus haut dans ce billet je parlais «d’apprentissages véritables faits par l’utilisation du style magistral»; le fait qu’une ouverture très progressive aux pédagogies ouvertes avait été dosée avait plu aux enseignants. Au 13e rang (sur 30): «Conserver une certaine évaluation des connaissances». En tant que groupe, nous étions centrés sur le changement de paradigme (de l’enseignement à l’apprentissage) à faire, mais «nos conclusions» n’allaient pas dans le sens désiré et je me souviens, tout comme M. Baillargeon l’a écrit à la page 9 d’avoir eu à «payer un prix personnel et professionnel élevé» pour l’avoir écrit et acheminé tel que ma conscience et ma pratique professionnelle m’indiquait de le faire. Ne serait-ce que pour ce paragraphe, le livre vaut le coup d’être lu:
«À mon sens, on touche ici quelque chose d’important – et qui doit être nommé – relativement au monde de l’éducation en général et à cette réforme en particulier, à savoir le caractère foncièrement idéologique de certaines des convictions qui s’y expriment. C’est pourquoi les prises de position sont très largement imperméables à la discussion critique et très difficilement remises en question par ceux et celles qui y adhèrent.»
Je n’en dirai pas plus sur cette période des débuts de l’implantation de la réforme, mais je crois que ça explique probablement pourquoi, plusieurs opposants (dont M. Baillargeon) continuent de croire que le relativisme cognitif et le constructivisme radical est encore l’unique chemin à succès envisagé par «les autorités compétentes du MELS». Je puis témoigner que si la culture de l’échange des points de vue divergents n’a pas encore gagné TOUS les étages du MELS et tous les conseillers pédagogiques des commissions scolaires, on est loin de l’atmosphère de ce début de ces années 2000. Aussi, sur ce blogue et ailleurs, dans l’espace public, je me suis toujours employé à débattre de ces questions en ne censurant aucune opinion différente de la mienne sur l’à-propos des changements à envisager en éducation au Québec.
Le troisième texte du livre porte aussi sur le constructivisme radical et M. von Glasersfeld est abondamment cité. Comme M. Baillargeon, je suis d’avis que «la doctrine de Glasersfeld est discutable». De là à parler de «péchés capitaux»… Disons que la lecture de ce troisième texte met en lumière les dangers de l’idéalisme, du relativisme cognitif et de l’empirisme subjectif. J’aimerais que la position de M. Baillargeon ait circulé davantage, on aurait pu avoir de bien meilleurs débats sur ce qu’est devenue la réforme de l’éducation depuis le milieu des années 2000. Quiconque lit le programme de formation au secondaire sait que «la non-communicabilité du savoir» n’en fait pas partie. Faire appel aux connaissances antérieures, à ce que l’élève sait déjà du contenu d’apprentissage au menu d’une séquence d’apprentissage, ça ne veut pas dire que le programme suppose que l’élève sait tout en commençant, «construit» intuitivement n’importe quoi et que c’est acceptable. Cette idée que la réforme voudrait relativiser toutes les connaissances au profit des compétences est farfelue. Faire croire qu’elle est à l’origine par le constructivisme (radical ou non) de ce qui est vécu au primaire et au secondaire au Québec en 2010 par le «mouvement réformiste» entrepris au début des années 2000 est inexact et imprudent, surtout comme prémisse au débat en éducation.
À partir de la page 112 (le livre en contient 168), différentes chroniques découlent de ce que je viens de décrire. Les positions de Normand Baillargeon sur «des cours portant directement sur l’éthique» (plutôt que sur l’ÉCR) ou sur «la grave erreur d’avoir tranché en arts en faveur de l’expressivité et de la justification instrumentale m’ont paru «cohérentes» avec le discours général précédent, mais je ne suis pas spécialiste de ces domaines. Le préjugé contre l’entrepreneuriat se comprend quand on accepte «la charge» contre l’utilitarisme et les compétences, mais celle contre Internet en tant que mirage pédagogique me paraît plutôt faible. Internet n’est qu’un outil, pas une fin en-soi. Transformer les données plus accessibles que jamais, l’information abondante et l’opinion proliférante en savoir n’a rien à voir avec le véhicule qui en permet la circulation, toutes invasives et omniprésentes qu’elles soient. Le problème n’est pas Internet en tant mirage qui serait créé, mais dans le laisser-aller au niveau de l’encadrement des enfants qui utilisent abondamment Internet sans les clés de lecture pour différencier le savoir de l’information malveillante ou de l’opinion subjective. Je crois que M. Baillargeon a mal interprété Michel Serres sur la question de «la condamnation à devoir devenir intelligent» sans avoir «à bien enseigner [ou interpréter] des faits» obtenus par Internet ou autrement. Je précise que je suis d’accord sur la nécessité de ne pas opposer «tête bien faite et tête bien pleine». Enfin, sur l’hypothèse qu’il pourrait être possible de ne pas accorder «toute sa place à l’éducation physique» et que «ce serait une très grave erreur», on comprendra que je serai de cet avis (ma formation initiale est en sciences de l’activité physique), même si le texte sur ce sujet tourne un peu les coins ronds.
Si le livre de Normand Baillargeon alimente la discussion «sur les enjeux actuels de l’éducation», il aura réussi beaucoup. Je crois lire également (voir le 4e couvert) qu’il veuille aussi ajouter à la polémique actuelle; sur ce point, je ne trouve pas que cette contribution soit utile ou nécessaire! Le livre «Contre la réforme» n’est pas dangereux et il peut constituer une très bonne lecture pour tous les enseignants et administrateurs scolaires du Québec.
N.B. D’autres échos critiques du même ouvrage, au Devoir, chez M. Baillargeon lui-même, chez Missmath et à l’enseigne d’un blogueur au pseudonyme original, «Jonathan Livingston».
Mise à jour du 13 janvier 2010: Un ex-collègue a voulu commenter et j’ai choisi de faire un nouveau billet avec ce qu’il avait à ajouter…
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Pour qui suit ce débat depuis ses débuts, le livre de Baillargeon a des allures de réchauffé. Désolé de l’écrire.
Pour ce que est de l’implantation de la réforme, une seule anecdote: il y a trois ans, à mon école, la direction a retiré l’utilisation des lecteurs optiques pour corriger un examen. Pourtant, ce dernier était une évaluation parmi tant d’autres et s’inscrivait dans une démarche logique qui menait à demander à l’élève de mettre en pratique les connaissances vues durant l’année.
Prétexte pour justifier le retrait du lecteur: la réforme exige des évaluations sous forme de projet.
D’ailleurs, on nous disait que les connaissances ne devaient être évaluées quand sous forme d’une épreuve contextualisée. En français, cela se traduisait sous la forme suivante: pas de test de connaissances de grammaire, pas de dictée, mais que des productions écrites.
Ce sont des anecdotes parmi plusieurs autres, M. Asselin. Tant mieux si vous n’avez pas côtoyer la bêtise de certains décideurs. Ce n’est pas le cas de tous.
Les pires ennemis de cette réforme n’ont pas toujours été ceux qui la contestaient, mais bien ceux qui l’appliquaient…
Mario
Merci de cette lecture critique qui nous renvoie en France à la lecture d’autres auteurs.
Je pense que comme tu l’indiques dans ta rapide présentation de l’auteur, les a priori idéologiques doivent être éclairés. En France la pensée d’une certaine gauche « trotskiste » rejoint celle des républicains dans l’éducation et s’oppose en particulier au constructivisme et au renversement qu’il induit dans la pensée de l’éducation (autrement dit le passage de celui qui enseigne à celui qui apprend).
Pour avoir travaillé avec Britt Mary Barth (le savoir en construction, l’apprentissage de l’abstraction) pendant une dizaine d’année, je notais qu’il fallait aller plus loin que les premières apparences de ses écrits pour comprendre qu’elle ne défendait pas ces modèles comme ceux que critique l’auteur dont tu parles. La place du magistral par exemple est située par rapport à l’ensemble d’une pédagogie mais n’est plus le modèle dominant unique de la pédagogie.
Pour ce qui est des méthodes de recherches en sciences de l’éducation, ce qui a fait leur faiblesse, on peut relire plusieurs ouvrages sur le sujet pour s’apercevoir qu’on ne peut tout jeter ainsi : l’éducation n’est pas une science, ce sont les objets que l’éducation propose à l’étude qui peuvent faire l’objet d’investigations scientifiques issues de disciplines différentes avec des méthodes de recherche différentes… Encore faut-il aller au fond de ce débat. Malheureusement le style de l’auteur que tu évoques n’est que trop connu : l’art du discours vise d’abord à mettre le lecteur de son coté pour pouvoir ensuite lui injecter ses vérités, d’ailleurs le même auteur n’a -t-il pas écrit un livre sur le sujet ?
Tu mets le doigt sur le noeud de bien des problèmes, en éducation et ailleurs aussi…
Le problème des Bisaillon et Baillargeon est sans doute le défaut d’une qualité: des gens entiers (probablement – je le déduis à te lire)… mais qui sont entièrement consacrés à une seule voie, alors que la réalité n’est jamais monolithique, unique, etc.
La polarisation autour des pour et des contre introduit toujours des biais par rapport à la réalité et donc, des « inapplicabilités » évidentes…
La réalité est souvent un amalgame des deux parties opposées. Le blanc et le noir n’existent que sur papier (Ça se lit bien… et c’est très utile pour comprendre un phénomène complexe !): la réalité est faite de millions de tons de gris, qui eux-mêmes, se superposent sur des millions de couleurs, engendrant des teintes du plus clair au plus foncé, et ce pour chaque couleur !!! (Voir la « rosace » des couleurs dans TextEdit (ou autres logiciels Mac) pour une image parfaite de ce que je dis ici ;-))
Ne serait-ce que de nous faire comprendre clairement comment ce socio-constructivisme à ses origines concevait l’école, le livre mérite le détour.
Tout en affirmant que la réforme selon Baillargeon n’existe pas, vous concédez pas mal de choses et pas des moindres: dans les débuts de la réforme notamment et la difficulté de discuter dans les milieux réformistes. Tout se serait replacé avec l’arrivée du programme secondaire au milieu des années 2000. a-t-on corrigé le tir au primaire? Pour avoir fréquenté plusieurs écoles secondaires: en 2004, on commençait au secondaire à nous enfoncer des formations pour développer de la pédagogie de projet. En 2005, on imposait à l’école la fixation de groupe stable pour les projets, avec la formation aberrante des classes multiniveaux pour les élèves qui n’avaient pas un parcours sans tache. En 2008, j’ai vu des beaux projets et des manuels en secondaire toujours aussi irréaliste et inefficace, qui donnant l’apparence de se caler dans des activités signifiantes, sollicite superficiellement les jeunes sur des notions trop complexes. On cherche en vain une manière de construire ces connaissances. Les manuels ont oublié de planifier des progressions intelligentes. Également depuis ces dernières années, on nous enfonce l’évaluation des compétences qu’on se demande toujours comment réaliser. Je ne parle pas de la fusion risible et cosmétique des notes dans des traductions parfois débiles (j’ai vu des échelles surréalistes… qui justement ne respectaient pas le principe d’échelle en math) des notes descriptives en une échelle en pourcentage.
On en est à l’apprentissage de concept fort édifiant de « traces » pour porter notre jugement sur l’élève et on ne tient toujours pas compte d’évaluations régulières dans le quotidien des jeunes dans les notes, ce qui fait que l’enseignement explicite a du mal à pouvoir exister dans un tel carcan socio-constructiviste. Enfin, je vois toujours dans nos écoles ces dernières années, de jeunes profs aller faire des formations du MELS et pour venir répandre la bonne nouvelle avec l’esprit de panacée. On les mets en poste de responsables de matières qui dictent notre manière de travailler, notamment dans la manière d’évaluer.
L’enseignement des connaissances a beau être inséré dans la marmelade socio-constructiviste du programme de formation, tant qu’on s’emploie pas à évaluer systématiquement leurs acquisitions et qu’on en tient pas compte dans le portrait final, on continue d’avoir des surprises en fin d’année qu’on balaie sous le tapis des échelles descritptives qui opacifient l’évaluation et qu’on peut contester facilement si le prof n’a pas 20 ans de métier et encore…
Le livre de Baillargeon pose toujours la question: pourquoi l’establishement continue d’imposer à tous et mur à mur un plan de match malgré les imposantes évidences d’une littérature anglo-saxonne très riche qui démontrent clairement que ces approches sont d’une énorme inefficacité. Pourquoi continue-t-on de refuser d’évaluer froidement ce qu’on a mis en place? Pourquoi ne met-on pas de l’avant une pédagogie qui démontre un grand potentiel: l’enseignement explicite. En 1994, on me parlait déjà de l’efficacité de l’enseignement explicite dans ma formation, pourquoi ce genre de modèle a finalement été occulté complètement de ma vie d’enseignant où j’ai constamment dû me battre contre des obstacles structurelles qui m’ont empêché d’enseigner de la manière que je crois par expérience la plus efficace pour faire apprendre aux jeunes.
Et pourquoi nos librairies sont inondés de livres gnagnans de pédagogie de projet, alors qu’à la base il est clair qu’il faut arriver d’abord et avant tout viser la maîtrise des connaissances avant de les utiliser dans le contexte de résolution de problèmes ou de tâches plus complexes dans les matières de base notamment?
Les jeunes nous arrivent toujours du primaire avec des carences insurmontables.
Pourquoi continue-t-on d’imposer ces modèles mur à murs à toutes les matières confondues quand il est certain que chaque discipline a ses exigences et que c’est dans l’expertise de ces matières qu’il convient de rechercher les meilleures méthodes pour arrive à notre but d’éducation.
Si l’école Québécoise avait plus de succès, évidemment la tentative de Baillargeon serait un peu bizarre, mais malheureusement, c’est loin d’être la cas…
L’auteur du Blogue n’a pas vu cité le nom de Glaserfeld dans les ateliers de formation, comme on ignore aussi les noms de MacCulloch, Günter ou encore de Watzlawick, Russell, Bateson et j’en passe.
Certains modèles issus de la recherche ou des expériences de pensée sont de simples MÉTAPHORES, mais la recherche en éducation se les approprie, pensons par exemple au modèle de communication de Shannon-Weaver, qui n’est correspondant à son référent QUE dans le contexte de l’ingénierie. La recherche en éducation s’approprie alors le modèle et le transforme, le recadre dans un environnement éducatif. Un nouveau chercheur propage alors le très innovateur et très fondé nouveau modèle… et nous voilà repartis pour 20 ans. Sans même connaitre l’origine des idées que nous professons et l’inadéquation entre la pensée originale et l’usage que nous en faisons.
J’exagère à peine, ce n’est pas grave que la recherche en éducation pille les autres disciplines, mais elle doit s’équiper des techniques et des connaissances qui se rattachent à ces disciplines, et ce, afin de comprendre les limites de l’usage de ses «importations».
La recherche en éducation semble se faire en vase clos et il est possible de faire de faire un premier puis un deuxième cycle en éducation en ignorant les figures philosophiques et scientifiques importantes de la pensée occidentale. Dans ce contexte, l’analyse conceptuelle à laquelle nous force Baillargeon est primordiale pour véritablement comprendre que ce n’est pas la surface, mais le squelette philosophique même de la réforme qui la rend dangereuse.
Et pour répondre au propos central du Blogueur, j’ai suivi un programme court de pédagogie en 2008 et les contenus, les plans de cours, les activités et les évaluations visaient précisément à nous inculquer les principes de la réforme tels que Baillargeon les présente dans son livre.
Les textes à lire étaient toujours proréforme et il nous était impossible d’obtenir des sources différentes et les enseignants étaient sourds ou incapables de défendre des visions critiques articulées qui révélaient les contradictions du «paradigme de l’apprentissage».
Donc même avec une vision de l’agent du milieu,la critique n’est pas tout à fait juste. De surcroit, vous évitez de résumer, en laissant le soin à une autre de le faire, mais le résumé en question donne les grandes lignes de l’argumentation de Baillargeon, vous refusez donc de répondre à l’essentiel et de vous engager dans le débat : les fondements de la réforme sont cohérents, scientifiquement solides ou non?
Baillargeon explique pourquoi ils sont à son avis toxiques, quelqu’un peut-il le contredire SUR CE TERRAIN ou non.
Le présent billet écarte la problématique en stipulant que la réforme «n’est pas aussi intense ou extrême que Baillargeon le prétend. La question n’est pas de connaitre le «degré» d’orthodoxie à l’idéologie constructiviste de la réforme, la question est de savoir si les idées qui sous-tendent notre projet éducatif sont bonnes ou non.
Baillargeon nous donne les outils pour que nous démêlions ce qui tient de la valeur de ce qui tient de la connaissance et il explique ensuite en quoi les idées à la base de la réforme, même si elles sont nobles, produiront des excroissances néfastes.
La critique du blogueur semble être passé à côté cet aspect essentiel…
«Vous refusez donc de répondre à l’essentiel et de vous engager dans le débat»
C’est bien la première fois qu’on me reproche de ne pas m’engager activement dans le débat. Je rappelle à M. Gill que l’objectif du billet était de faire une critique d’un livre, celui de M. Baillargeon.
Pour ce qui est du débat, je suggère de mettre le mot «réforme» ou «renouveau» dans la boîte «recherche» dans le haut de la page.
Bonne lecture!
Le débat pour sur la réforme, oui vous vous y engagez, la démonstration est claire et je vais faire mes lectures.
Toutefois, le débat dont je parle est précisément celui des postulats épistémologiques d’une pratique ou d’une discipline et des conséquences qu’ils peuvent avoir sur l’élaboration de programmes, de politiques, de matériel ou d’un curriculum. Faire la critique d’un livre qui traite d’épistémologie, de philosophie des sciences suppose que l’on se mouille sur la question.
C’est l’objet du livre de Baillargeon et en évitant de diffuser votre lecture, vous négligez d’en exposer votre compréhension, il est donc difficile de voir comment
vous parvenez aux conclusions que vous nous communiquez.
Quand je dis que vous refusez de vous engager, je le dis précisément à propos de de votre refus ou de discuter le FOND de l’argumentation de Baillargeon (et non de l’application de la réforme telle qu’elle se vit sur le terrain, ce qui n’est pas le propos de Baillargeon). Je repose donc la question autrement : quelles idées ont inspiré la réforme? Baillargeon les a-t-il effectivement trouvées ou non? Et s’il les a trouvés, son argumentaire est-il limpide? Ses postulats sont-ils acceptables? Ses prémisses découlent-elles naturellement des ces derniers? Ces sources sont-elles fiables ou est-ce un mystificateur?
Vous reprenez Joëlle Quérin, mais le commentaire que vous lui empruntez suggère que sa critique du livre est que «les redites sont nombreuses et le fil conducteur finit par se perdre» alors que son but est plutôt de critiquer la forme, le manque d’unité dudit livre, qui nuit son avis
à « l’immense mérite de démasquer l’idéologie derrière la prétendue scientificité du constructivisme et des théories pédagogiques qui s’en inspirent. »
C’est sur le plan de la présentation que Mme Quérin faisait des reproches. Ces propos n’avaient pas le sens que votre insertion suggère.
Nous pouvons donc revenir à la question centrale, est-il légitime de proposer un modèle d’instruction qui soit fondé sur un paradigme avec lequel une communauté de philosophes et de scientifiques aurait beaucoup de difficulté?
Ce modèle, ce socle sur lequel l’ éducation viendra s’appuyer, il doit être clair, cohérent et capable de supporter les critiques et surtout, susceptible de favoriser l’accroissement du savoir et de ses dispositifs.
Le constructivisme, très utile dans certains domaines, surtout pour des expériences de pensée, n’a pas les qualités requises pour être notre paradigme éducatif. Les théories qui en découlent tendent à créer plus de problèmes qu’elles n’en résolvent si on leur demande de gérer précisément ce à quoi elles sont opposées : des connaissances concrètes issues d’une pensée plus positiviste et qui caractérise un monde objectivable.
Vos réserves tendent toutes au même point : le portrait ne serait pas aussi noir que Baillargeon le suppose, le MELS ne jure pas que par le constructivisme radical…
Il n’a plus besoin d’en faire la promotion : il a rénové l’architecture de l’instruction de telle façon que conseillers pédagogiques, enseignants, manuels, évaluation et surtout programmes sont tous fortement teintés dudit paradigme.
Le temps qu’elles se rédigent, et les PIEA «réforme» seront justement désormais prêtes pour la «première génération réforme» dans les Cégeps.
Vous me proposez de la lecture? Je vous propose de lire Comeau, Lavallée, Rioux & Favre dans leurs textes sur l’enseignement de l’histoire dans « Contre la réforme pédagogique ». Ils font la critique d’un programme pour le moins récent, et qui concorde en tout point avec les effets toxiques que Baillargeon envisage. C’est la démonstration concrète des effets d’un paradigme inadapté à la praxis qu’il doit pourtant guider.
Les effets pernicieux qu’explique Baillargeon sont bel et bien présents. Le mérite de son livre est finalement d’expliquer la nature ontologique de la confusion et des incertitudes de la réforme, en expliquant qu’un projet dont fondements sont viciés ne peut avoir à son tour que des effets pervers.
Enfin le passage que vous citez, me semble emprunter directement la pensée Watzalawick dans la «L’Invention de la réalité » (1980) et qui clôt les contributions au constructivisme (auxquelles participe Glaserfeld) en expliquant combien constructivisme rime avec responsabilité, si le constructivisme signifiait liberté, il imposait également une diligence certaine à l’égard des conséquences de nos constructions. C’est précisément cette prudence qui fait défaut chez les experts de la pédagogie que j’ai rencontrés (les utilisateurs dudit solipsisme pédagogique).
Je salue par contre votre incitation à lire l’ouvrage et une ouverture au dialogue qui est très rafraichissante.
[…] savoirs explicites, mais le tout débutait. Je me suis réconcilié avec le temps jusqu’à devenir assez critique envers les anti-réforme. Il faut savoir que le programme d’aujourd’hui et celui promu […]
[…] : Ce n’est pas la première fois que j’écris ici concernant Normand Baillargeon (1, 2, 3, 4). Il pourrait s’avérer utile de consulter certains de ces billets pour […]
[…] sujet de l’implantation du nouveau programme de formation de l’école québécoise, je critiquais le livre de Normand Baillargeon «Contre la réforme». Mis à part quelques envolées découlant de certaines déclarations de Joseph Facal (1), ou en […]
[…] conclusions basées sur mes expériences personnelles puisque j’ai tout de même été un témoin privilégié de ces années de tentatives de réformer l’éducation au Québec ayant été directeur d’une des […]
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[…] me souviens d’avoir été très surpris en lisant le livre Contre la réforme de Normand Baillargeon (pour qui j’éprouve beaucoup de respect) de découvrir le […]