Sur mon blogue, je n’ai jamais raté l’occasion de contredire Joseph Facal sur sa critique d’une réforme de l’éducation qui n’existe que sur le papier du mouvement qui s’y oppose (1, 2). On ne parle pas ici de positions aussi «extrémistes» qu’un Jean-Paul Brighelli en France, mais parfois, M. Facal s’emporte avec la même obstination. À l’occasion de la sortie de son dernier livre Quelque chose comme un grand peuple (lire cette entrevue au Devoir), je ne prévoyais pas bloguer. Comme je le publiais plus tôt cette semaine dans un gazouillis, M. Facal n’aurait pu choisir un plus «mauvais timing pour le lancement de son ouvrage cette semaine» puisque les médias (et la population, à raison) n’en n’ont eu que pour la crise en Haïti. J’ai fait la même chose et je n’ai pas beaucoup accordé d’attention à celui qui interrompt son année sabbatique en Espagne pour cette petite tournée. Reste qu’il est passé chez Mme Bazzo et chez Christiane Charette, mais sans vraiment avoir abordé les chapitres de son livre qui traitent de la famille ou de l’éducation. Je n’avais donc que très peu à redire…
Tout comme que je le racontais à propos de Jacques Brassard dans ma critique du livre de Normand Baillargeon, Joseph Facal était député (et ministre) au parti québécois dans les premières années de la réforme de Mme Marois, alors aux commandes de l’éducation. En les lisant, on peut facilement penser que les deux se sont laissé convaincre que ce qui a été implanté en terme de renouveau pédagogique est très loin de ce qui leur avait été expliqué et de ce qu’ils ont appuyé à la fin des années 90 et au début des années 2000. Pour être certain qu’on ne les accuse pas d’avoir changé d’avis, ils tendent à adopter l’option d’une réforme où on ne croirait plus à la transmission possible des connaissances puisque chacun «construirait» son savoir et SA réalité, ce qu’est le «relativisme cognitif» dont plusieurs, dont moi, cherchent la trace dans les changements que nous vivons actuellement en éducation au Québec.
Je le dis sans détour: je travaillerais avec M. Facal n’importe quand! J’aime sa vision du Québec, en général.
J’ai des réserves sur sa prise de position face au maintien de sa chronique au Journal de Montréal en ces temps de lock-out (lire aussi ce texte de Bertrand Raymond où il annonce sa retraite) et je me désole qu’au moment de son passage cette semaine, il n’ait pas eu le courage de Jacques Ménard. Il a affirmé (chez Mme Charette) ne pas avoir lu la lettre de Pierre Karl Péladeau à l’effet que «les entrepreneurs québécois doivent dédier « trop de temps, d’énergie et d’argent à gérer leurs relations de travail »». Je ne suis pas le plus «pro syndicat» des blogueurs, mais dans sa position du chroniqueur-qui-prête-flanc-au-statut-de-scab, j’en aurais profité pour prendre une distance du patron de Québécor pour éviter de passer pour un homme prenant position contre les syndiqués en lock-out, déjà qu’en continuant de soumettre ses chroniques, il n’aide guère la résolution du conflit.
Sur le sujet spécifique de l’éducation, je me désole aussi que ses idées ne puissent que s’exprimer à partir d’une grande méprise sur ce que contient le nouveau Programme de formation de l’école québécoise.
Dans un billet consécutif à ma critique du livre de Normand Baillargeon, j’avais publié la perspective d’un collègue (Michel P. Trudeau) qui avait réagit par courriel; il est revenu par la suite à même les commentaires du billet. Hier midi, il m’a expédié un texte qui découle de sa lecture du livre de M. Facal. Sous l’hyperlien plus bas, je reproduis (avec sa permission) ce point de vue qui pourrait bien rejoindre le mien, au moment de lire l’essai de M. Facal, ce que je ne manquerai pas de faire, un de ces jours…
N.B. Autres commentaires sur le livre de M. Facal chez Jean-François Lisée.
Commentaires sur les pages que l’auteur consacre à l’éducation au Québec dans le livre «Quelque chose comme un grand peuple»
Auteur: Michel P. Trudeau
Plus ça va, plus je désespère de voir émerger, sur la place publique, un échange éclairé et constructif sur l’éducation au Québec. Je viens de terminer la lecture de Quelque chose comme un grand peuple de Joseph Facal. Dans l’ensemble l’ouvrage est intense, mais inégal. Je me suis surtout intéressé au chapitre sur la famille et l’éducation. À mon avis, les propos de Facal sur la famille québécoise font preuve d’une lucidité certaine. Les observations de l’auteur sont justes et ses propos mesurés. Malheureusement, dans les pages consacrées à l’éducation, l’auteur adopte une posture nettement polémique. L’analyse est évacuée au profit d’une argumentation sommaire; les affirmations gratuites se succèdent; les raccourcis abondent et les phrases-chocs font la guerre aux nuances. Comme bien d’autres avant lui, M. Facal invente une réforme pour mieux la démolir.
Le procédé qu’emploie l’auteur pour déverser son fiel sur la réforme est devenu la marque de commerce des adeptes de la contre-réforme. Pour indisposer ses lecteurs à l’égard du renouveau pédagogique, il fait d’abord un usage immodéré de sobriquets désobligeants quand il se réfère à ceux et celles qui ne voient pas le renouveau pédagogique du même œil que lui. Ainsi, selon Facal, les «apprentis sorciers», les «pédagogistes», le complexe pédagogo-ministériel» et la «nomenklatura de l’éducation» ont utilisé un «sabir pseudo-pédagogo-progressistes» et sont à l’origine des «idées funestes» qui fondent la réforme et des «fantasmes idéologiques» que celles-ci dissimulent. On dirait une chronique de Jacques Brassard.
Ensuite, l’auteur s’emploie à décrire la réforme en multipliant les faussetés et les approximations. Ainsi, selon Joseph Facal, la réforme prescrit une nouvelle pratique pédagogique fondée sur le principe suivant: «Chaque individu doit construire activement son propre savoir, plutôt que de le recevoir passivement d’autrui.»(p.208) Il en conclut logiquement, mais faussement, que le socioconstructivisme est une «méthode d’enseignement» qui aboutit au relativisme. Il affirme aussi que le programme d’Éthique et de culture religieuse est un «pilier de la réforme» même si celui-ci n’a été implanté qu’en 2008-2009 et qu’il ne joue aucun rôle structurant dans le renouveau pédagogique.
De plus, M. Facal pourrait faire preuve d’un peu plus de rigueur dans la présentation des résultats des élèves lors d’enquêtes comparatives. Par exemple, il affirme que le «test PISA, 2006, de l’OCDE a montré, lui, des résultats québécois inférieurs à la moyenne canadienne en lecture et égaux à cette moyenne en science.» (p.77) Cependant, il omet de signaler que la cohorte des élèves évalués n’a pas été exposée à la réforme et que l’étude PPCE de 2007 montre les élèves québécois se sont classés premiers en lecture et en mathématique et deuxièmes en sciences, au Canada. Ces derniers faisaient partie de la première cohorte d’élèves exposés au renouveau pédagogique, une génération sacrifiée selon les critiques de la réforme.
Enfin, pour faire la démonstration de ce qu’il avance, Facal s’en remet généralement à la bonne foi de ses amis contre-réformistes. Par exemple, l’auteur avoue candidement à la note 27, chapitre 6 : «Je m’appuie ici sur les présentations critiques, mais dont je n’ai aucune raison de douter de l’honnêteté, d’autant plus qu’elles citent les textes mêmes des théoriciens sociauxconstructivistes, faites par Normand Baillargeon et Gérald Boutin.» (p.312). La question n’est pas de savoir si Baillargeon et Boutin sont honnêtes, car ils le sont sûrement. Ce qu’il faut savoir, c’est s’ils ont bien représenté les assises de la réforme. Ça, c’est une autre histoire.
Dans Quelque chose comme un grand peuple, les critiques formulées par Facal à l’égard de la réforme sont identiques à celles que l’on entend depuis plusieurs années. Toutefois, une nouveauté a retenu mon attention. M. Facal propose de recentrer la transmission des connaissances sur «les vérités transcendantes qui sont indéniablement supérieures aux autres» (p.209). L’auteur souhaiterait même que Descartes soit enseigné aux élèves du secondaire. Si je me rappelle bien, Descartes m’a été enseigné dans la septième année de mon cours classique. J’avais 19 ans. Quant aux vérités transcendantes, elles m’ont été transmises par les bons pères de Ste-Croix, dans mes cours de religion.
Tout compte fait, je préfère l’approche de Normand Baillargeon. N’écrit-il pas dans Contre la réforme : «Toute saine pédagogie devrait prendre en compte les savoirs, les opinions, les préjugés des élèves, elle devrait en outre chercher à minimiser les effets déformateurs dans l’interprétation de ce qui leur est dit. Pour cela, l’enseignement devra être le plus précis, exact et sans ambiguïté possible, de manière à ne pas laisser l’élève construire n’importe quoi …» (p.92)? Se peut-il que les élèves construisent leurs propres représentations de la réalité et qu’il faille intervenir pour les conduire vers une adhésion à des représentations plus conformes aux savoirs disciplinaires reconnus? Cette question est au cœur du renouveau pédagogique.
Je ne suis pas contre la transmission des savoirs. Au contraire, j’y suis farouchement favorable. Toutefois, il faut convenir de la meilleure façon d’atteindre l’objectif. Sur ce point, je ne m’entends pas du tout avec messieurs Facal et Baillargeon. Le fait de bien gérer sa classe et d’exposer clairement et rigoureusement le savoir à transmettre n’est pas, en soi, un gage de succès. C’est le constat que j’ai fait après 25 ans d’enseignement au secondaire. L’image du maître transmettant de grandes vérités à ses élèves assoiffés de connaissances est séduisante, mais irréaliste. Pour bien appuyer son propos, Joseph Facal cite Sénèque : «Partager avec les meilleurs esprits ces vérités magnifiques et éternelles.» Toutefois, il omet de dire que Sénèque a été le précepteur de Néron. S’il avait été un «pédagogiste», le grand philosophe romain aurait peut-être eu plus de succès.
Michel P. Trudeau, retraité, ex-cadre dans le réseau scolaire, mais encore très actif
De mémoire, Bernard Landry aussi avait soulevé le fait qu’entre ce qu’on avait présenté au ministre et ce qui est maintenant, il y aurait un monde.
De mémoire encore, Jean Garon a déjà piqué une crise parce qu’on ne l’informait pas assez de ce qui se passait dans son ministère.
Tout cela semble corroborer l’idée que certains en mènent bien large.
Ce que le Québec regorge de talents !
À quand une confrontation amicale contre la Suède et en quelle langue ?
[…] réforme». Mis à part quelques envolées découlant de certaines déclarations de Joseph Facal (1), ou en lien avec le livre de M. Baillargeon (1), je ne suis pas revenu sur le «renouveau […]