Le directeur de l’école D’Iberville… de connivence avec le journaliste Sébastien Ménard

N.B. Le Journal de Montréal est en lock-out depuis plus d’un an. Sur Twitter et sur ce blogue, j’évite de relayer les articles du quotidien ne voulant pas m’immiscer (ou y prêter flanc) dans le conflit entre les employés qui maintiennent un journal en ligne et leur employeur qui a décidé d’interrompre le fonctionnement «normal» des activités du Journal. On me pardonnera de ne pas hyperlier dans ce billet vers des articles du Journal de Montréal.
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Sébastien Ménard a passé deux semaines incognito dans deux écoles du Québec. Un communiqué de son employeur raconte qu’il «s’est glissé dans la peau d’un directeur d’école primaire de la Rive-Sud, en plus de travailler comme professeur suppléant dans une polyvalente située en région». Depuis peu, des informateurs m’avaient laissé entendre qu’il avait agit en tant que suppléant dans une école de la Commission scolaire de Rouyn-Noranda. Par le biais de cet autre communiqué, on apprend qu’il s’agissait de l’école D’Iberville et que M. Ménard était «de connivence» avec le directeur de l’établissement, M. Christian Perron. Un article paru au Journal La Frontière confirme le nom du directeur…
Plusieurs questions s’imposent dans ce contexte où le Journal de Montréal (et d’autres quotidiens du groupe Canoë) a passé la semaine dernière «à jouer en première page» les reportages écrits par M. Ménard. Hier, j’ai écrit un courriel à M. Perron, me présentant, et lui demandant s’il était disposé à répondre à certaines de mes questions. Voici en quels termes je lui écrivais: «Je m’intéresse à vos intentions éducatives liées à la décision (s’il s’avère) d’accepter la présence du « journaliste-suppléant » dans votre école et le principe de ces articles». Pas de retour de sa part…
C’est que le Journal de Montréal a dressé un portrait très négatif du milieu scolaire (certains croiront qu’il est « réaliste »). Les élèves y sont dépeints comme étant en très grand nombre des jeunes irrespectueux envers les profs, des «enfants-rois» (« élevés » par des parents mous et démissionaires) qui terminent leur secondaire sans savoir écrire en français, manquant grossièrement de culture générale et d’autonomie, en plus d’avoir beaucoup de peine à structurer leur pensée. Les profs et les directeurs d’école seraient nombreux à être désemparés ou à crouler sous la paperasse devenant incapables de lutter efficacement contre le décrochage scolaire. Un éditorial de Donald Charette (Journal de Québec) s’appuie sur ces articles pour parler de «Génération sacrifiée» ajoutant au passage que «la formation d’étudiants est sacrifiée sur l’autel des grands penseurs du ministère de l’Éducation qui prennent plaisir à chambouler la matière au gré des nouvelles pédagogies à la mode» (lire la réforme de l’éducation). Il y a bien quelques petits passages où le journaliste donne dans du positif, mais le portrait est sombre et l’intention de communication me paraît clair (ne serait-ce que par les titres des divers articles): l’école secondaire de la «moyenne des ours» est un milieu hostile qu’il vaut mieux éviter quand cela vous est possible.
Dans le communiqué de la C.S. de Rouyn-Noranda on parle de propos et de faits rapportés dans ces articles qui «ne reflètent qu’une partie de la réalité vécue par le personnel enseignant dans les écoles secondaires de la province». On écrit aussi que «les textes publiés par Le Journal de Montréal minent malheureusement les nombreux efforts de valorisation de l’éducation déployés par la Commission scolaire de Rouyn-Noranda ainsi que par les autres commissions scolaires du Québec depuis plusieurs années».
À quoi peuvent bien servir ces articles? À qui peuvent-ils rapporter? Qu’est-ce que la direction d’école avait en tête en se prêtant à ce jeu de simulation? Peut-on tirer quelques conclusions que ce soient sur l’état de la situation dans les écoles publiques du Québec à partir de ces faits rapportés? Être critique de ces articles signifie-t-il qu’on veuille se mettre la tête dans le sable en niant que cette facette de la réalité existe?
Même la ministre de l’Éducation (Michelle Courchesne) aurait «lu et suivi « avec intérêt » la série des reportages publiée par le Journal, au cours des derniers jours», selon le journaliste Ménard. «La réforme scolaire a subi d’importantes modifications, récemment… il y a déjà plusieurs correctifs d’apportés à certaines des situations décrites dans les articles». De la langue de bois de politicien… j’en conviens.
Le dossier, Incognito dans l’école de cette semaine du 15 au 19 février 2010 ne rapportera à personne d’autre qu’au Journal de Montréal. Je suis surpris que le directeur Perron ne l’ait pas vu venir et c’est ça mon problème avec ces articles. Je ne connais pas les arguments utilisés par ceux qui ont «négocié» la connivence pour que le journaliste infiltre ainsi le milieu scolaire, mais j’ai peine à comprendre «l’intérêt» d’une direction. En tant qu’analyse systémique, ces reportages ne peuvent en rien contribuer à assainir un climat scolaire déjà tendu. En insistant sur les boutons d’acnés, le journaliste (et son complice) contribue à faire passer notre milieu d’adolescents pour plus malade qu’il ne l’est. Comme si on en avait besoin. Comme si on ne le savait pas que ce n’est pas toujours rose dans les institutions scolaires. Pourquoi montrer que «la réalité» est aussi épouvantable qu’il faut faire pression sur les familles des enfants-rois pour qu’ils cessent de se conduire de façon aussi irresponsables? Pourquoi secouer encore davantage cette société devenue plus laxiste que jamais qui n’appuie plus l’autorité des profs et des directions? Pourquoi blâmer une fois de plus la réforme scolaire? Pour revenir au plus vite à une école où domine l’acquisition de savoirs encyclopédiques que les élèves se dépêchent d’oublier dès les examens passés? (À ce sujet, cette lecture du blogue d’André Roux pourrait s’avérer utile…)
Le dossier, Incognito dans l’école a fait vendre de la copie.
De fait, j’ai peine à croire aux intentions d’un journaliste (ou de l’éditeur d’un quotidien) qui invoquerait «le droit du public à l’information» pour justifier une telle procédure (le subterfuge) visant à dresser le portrait de ce qui se passe dans les écoles publique du Québec. S’il ne faut pas se cacher que les comportements décrits existent dans la réalité, il me semble que le traitement journalistique normalement empreint d’une certaine recherche d’équilibre manque cruellement dans ces reportages. De là à traiter le directeur complice de connivence de naïf, voire d’irresponsable, il n’y a qu’un pas que je m’empêcherai de franchir n’ayant pas encore pu obtenir sa version des faits. Mais je me pose la question (et cherche désespérément des réponses): qu’est-ce que ce directeur a bien pu croire pour prendre le risque d’un tel gâchis? Qu’est-ce qu’on lui a plaidé?
C’est bien d’un énorme gâchis dont on parle ici… Augmentation du cynisme envers les jeunes et leurs parents, fuite des programmes réguliers des écoles publiques vers les programmes particuliers et les écoles privées, fragilisation d’un ministère qui n’a déjà pas une très grosse cote et des pédagogues cloués encore une fois au pilori. Climat de tension et de méfiance encore plus fort entre cadres et enseignants, entre écoles et commissions scolaires sans parler de cette impression qu’il n’y a plus aucun pilote dans le «Boeing de l’éducation» qui menace de s’écraser à tout moment. Le dossier, Incognito dans l’école n’apporte aucun éclairage nouveau… il perpétue des stéréotypes connus qui penchent toujours du même côté. L’école est malade et ceux qui la vivent aussi. Avions-nous réellement besoin de cet autre épisode d’autoflagellation? Je ne peux pas croire que c’est en gardant silence sur les motifs du directeur ayant accepté de collaborer que nous verrons plus clair…
Il me semble que dans l’intérêt de tous, nous devrions avoir le privilège de connaître les dessous de cette histoire de connivence.
Me semble.

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6 Commentaires
  1. Photo du profil de ChantalLongpre
    ChantalLongpre 12 années Il y a

    Pour cette réponse et pour le bénéfice de tes lecteurs, je me permets de te tutoyer étant donné que nous nous connaissons personnellement.
    Quel ne fut pas mon étonnement de lire ton billet sur le directeur de l’école D’Iberville, il y a de cela quelques instants. De l’étonnement et aussi de la stupéfaction d’y retrouver que « certains croiront qu’il est réaliste », ce portrait que tu juges négatif à l’endroit de notre école publique.
    Ce portrait est peut-être amplifié et ne représente probablement pas la réalité de tous, mais il démontre une réalité vraie, que l’on ne peut taire. C’est en ce sens que j’appuie ce directeur et le courage dont il a fait preuve en laissant entrer un journaliste dans son école. Je suis fière de le compter parmi nos membres. Si le directeur souhaite garder le silence, alors je le comprends et je le respecte. N’est-ce pas dévier le débat que d’attendre des explications sur cette « connivence »? À qui sert l’identification d’une école en particulier? L’École a décidé d’ouvrir sa porte aux médias pour démontrer ce qui s’y vit. Je vois davantage ces articles comme un examen de l’École publique pour lui permettre d’évoluer et de s’améliorer.
    Mario, tu sais aussi bien que moi qu’il est faux de penser que c’est en fermant les portes des écoles aux médias, tant traditionnels que sociaux, que nous allons faciliter la compréhension de cette institution. Ce n’est pas juste en modifiant des lois, en lançant des programmes et en adoptant des politiques que nous réussirons à faire persévérer nos élèves. Il faut plus et ce plus, c’est collectivement que nous le possédons.
    L’École publique québécoise est actuellement en grand déséquilibre et il est impossible pour quiconque de prétendre que tout va bien. Il faut pouvoir reconnaître les problèmes, si on veut trouver des solutions. Il est impensable de croire que l’école réussira seule ce défi de persévérance scolaire. C’est toute la société qui doit s’y inscrire et pour y arriver, elle a besoin de voir ce qui se vit dans nos écoles. N’est-ce pas dans la collectivité que nous trouverons les solutions? Devons-nous masquer les réalités de peur de choquer?
    Est-ce parce que l’école est malade qu’il faut cacher ses stigmates? À ne pas vouloir les reconnaître continuerons-nous à tolérer l’intolérable?

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 12 années Il y a

    J’accueille ton commentaire avec beaucoup d’humilité Chantal puisque ce n’est jamais facile d’échanger des points de vue divergents avec quelqu’un avec qui on travaille, au quotidien.
    Tu connais mon préjugé favorable envers les directions d’école et je dois te paraître bien malcommode aujourd’hui. Mais je me devais d’écrire ce billet même si je me doutais bien qu’il ne plairait pas à tous, dont certains sont des collègues.
    Ta position Chantal t’honore et on se rejoindra sur quelques points. L’école doit être ouverte aux médias et même si la «réalité vraie» n’est pas toujours plaisante à lire, il faut y faire face. Ce n’est pas parce que l’école est malade qu’il faut cacher ses stigmates.
    Cela dit, je devine à te lire que c’était ici la motivation de ton collègue, montrer «ce qui se vit dans nos écoles»?
    Je veux bien.
    Je continue de penser qu’il a pris un très grand risque. Un double risque:
    – croire que son école resterait anonyme;
    – croire que le portrait fait par le journaliste pourrait mobiliser davantage d’intervenants (ou de ressources) pour la cause de la persévérance scolaire.
    Choquer?
    Je veux bien.
    Mais je pense aux enseignants suppléants qui se pointent dans cette école ces jours-ci. Je pense au climat qui peut résulter de se retrouver ainsi dépeint au su et au vu de tous avec la complicité de la direction. Ouf!
    Tu demandes: «N’est-ce pas dévier le débat que d’attendre des explications sur cette « connivence » ?» Possible. J’aurais aimé entendre les arguments utilisés par le journaliste pour convaincre de l’à-propos de cette démarche, car je crois que le seul gagnant reste le Journal de Montréal et ça me désole Chantal.
    Mais bon… Si je parais en vouloir au directeur, voire lui jeter la pierre… je comprends ton étonnement et ta stupéfaction. Je soupçonnais de fausses représentations et c’est pourquoi j’aurais aimé pouvoir discuter avec le directeur avant d’écrire ce billet. Mais mon courriel est resté sans réponse. J’étais mal à l’aise de t’appeler dans ces circonstances puisque nous avons un lien privilégié.
    Je suis de ceux qui souhaitent que nous érigions moins de murs à l’école et que nous les remplacions par des fenêtres. C’est la «devise» de mon blogue. Je demeure déçu qu’on doive utiliser des stratagèmes pour témoigner de notre vécu. Aussi, je persiste à croire que les articles manquent terriblement d’équilibre dans le traitement.
    J’apprécie que tu aies pris le temps de cette réponse Chantal. Je sais que les combats que tu mènes sont importants. Au plaisir d’en rediscuter.

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 12 années Il y a

    Je peux te dire qu’on a taquiné certains suppléants chez nous en leur demandant s’ils travaillaient pour le Journal de Montréal…

  4. Photo du profil de JulieLatortue
    JulieLatortue 12 années Il y a

    Le problème en une semaine est que le choc de la réalité n’a pas le temps de se passer… on passe de notre univers de rêve à la réalité qui n’est pas tout à fait celle qui a été imaginée. C’est exactement ce qui se produit avec plusieurs enseignants débutants.
    Il est toujours plus facile de voir les côtés négatifs que ceux positifs et ce, dans tous les milieux de travail. Cependant, en apprivoisant ce milieu, on peut voir les belles réalisations qui s’y font et les élèves que nous n’avions pas remarqué au premier coup d’oeil. Encore une fois, on a dressé un portrait des jeunes qui en fait une génération de décrocheurs et de petits délinquants, pourtant cela ne concerne qu’une minorité, celle qui nous saute aux yeux, mais qui reste une infime partie des jeunes. Il y a une majorité de jeunes qui réussissent dans nos établissements, mais ça on en parle jamais….

  5. Photo du profil de GillesJobin
    GillesJobin 12 années Il y a

    On peut effectivement critiquer la méthode utilisée.
    Mais quelles sont les autres possibilités ? Si ce directeur était blogueur, je suis à peu près convaincu que la CS lui aurait demandé de fermer son blogue. C’est souvent là la raison pour laquelle les profs ne veulent pas écrire publiquement.
    Comment est-il possible de «critiquer» le système sans se faire «rentrer dedans» ? Je pense ici à des critiques en vue d’améliorer le système qui, à l’évidence, a plusieurs lacunes.
    Nous sommes tenus par ce que les boss appellent le devoir de réserve ou la loyauté à l’employeur.
    Et un employeur qui n’aime pas qu’on lui soumette des problèmes a tôt fait de rabaisser le caquet de l’intervenant.
    Il y a un grand silence autour de ce qu’il se passe dans nos écoles publiques ; et au-delà de toutes les statistiques alarmantes qui sortent un peu partout, quel espace accorde-t-on aux enseignants qui vivent ces problèmes alors qu’on ne les consulte jamais sur les solutions qu’eux veulent apporter ?
    Un journaliste incognito n’est peut-être pas la bonne méthode. Mais alors, que faire ? Où diable peut-on débattre _ouvertement_ des problèmes de l’école sans qu’on nous accuse de vouloir «détruire» le système. Je généralise à peine en disant que nos dirigeants sont beaucoup plus dans une culture de confrontation (où la hiérarchie joue le rôle de vérité absolue) que dans des processus de résolution collective de problèmes. Je suis convaincu que le DG de cette CS va «punir» le directeur de cette école. Et vlan ! un autre (et il servira d’exemple) qui devra se serrer les fesses à chaque fois qu’il ouvre la bouche.

  6. Photo du profil de MarcSt-Pierre
    MarcSt-Pierre 12 années Il y a

    « Un fruit typique de l’incompétence et de l’irresponsabilité de notre système d’éducation, c’est le cours secondaire public. Tout a été improvisé : les programmes, les manuels, les professeurs. L’opinion réclamait un cours secondaire public. On lui a vendu l’étiquette, mais l’étiquette était collée sur une bouteille vide. (p.38) Les éducateurs du cours secondaire public vivent en plein cauchemar, ils sont sous la constante menace de changements de programmes. (p.40) La crise de tout enseignement, et particulièrement de l’enseignement québécois, c’est une crise d’enseignants. Les enseignants ne savent rien. Et ils le savent mal.(p.48) »
    (Les insolences du frères Untel, 1960)
    Comme tu vois Mario, ce n’est pas d’hier qu’on écrit des choses dures sur l’école. Des articles qu’on croirait gravés avec un clou sur un tableau noir tellement ils font grincer les dents !!! Pourtant, après le »Frère Untel, il y a eu la Révollution tranquille… Puis il y a eu l’autre réforme, celle de « 80. Elle aussi a été précédée de choses pas tendres écrites dans la Presse, cette fois-ci, par une jeune journaliste, Lysiane Gagnon. Tu te rappelles en 1975: « Le drame de l,enseignement du français » ? Peut-être pas…c’est pas ta faute, c’est moi qui suis trop vieux…
    Et après, on a eu la critique acerbe de l’école « fourre-tout » qui nous amené tout droit aux États généraux de 95 !!! On dirait qu’à chaque fois la durée de vie d’une réforme raccourcit. Les cycles de changement s’accélèrent.
    L’école a toujours été un lieu de résistance. Dans le contexte, ce n’est pas mauvais.

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