Je ne suis pas reconnu pour être «un religieux» du logiciel libre, mais j’apprécie depuis toujours la valeur ajoutée de son déploiement.
«L’idée motrice de la création de logiciels libres est la liberté. Ils sont accessibles à tous, tout le monde peut y contribuer, les utiliser en tout ou partie, créer une économie ou un marché. Cette liberté conduit à des éléments différenciateurs par rapport au modèle traditionnel :
– Le ticket d’entrée est faible, les licences sont souples, ce qui rend le marché plus accessible pour de nouveaux entrants, sans limite à la volonté ou l’imagination de chacun ;
– L’adaptabilité aux modèles de chacun confère aux logiciels libres une capacité à coller aux besoins des utilisateurs en toute indépendance technologique, aux besoins des développeurs sans les limites imposées par un calendrier unique d’éditeur ;
– Plus de transparence dans le choix de son partenaire et de sa plate-forme. Ce modèle oblige en outre les partenaires choisis à rester compétitifs et performants puisqu’ils sont jugés en fonction de la valeur ajoutée qu’ils produisent (adhérence stricte aux standards de l’industrie — protocoles, formats de documents);
– Une saine compétition entre les technologies, les projets ou les acteurs du Logiciel Libre tirent vers le haut le nombre et la qualité des solutions offertes. (source)»
Cela dit, des événements récents me portent à penser que l’industrie du logiciel libre traverse une période de turbulences liée à sa popularité grandissante (malgré le fait qu’ils ne sont pas encore tout à fait «user friendly») et au manque d’ouverture d’un marché qui tente de protéger certaines idées reçues au détriment du bon sens. Autrement dit, les règles du jeu ne semblent pas favoriser pas le logiciel libre et certaines tentatives visant à assurer un marché équitable et concurrentiel dérangent ceux qui en contrôlent les leviers.
Je prends à témoin ce communiqué de l’association à but non lucratif FACIL qui dénonce une procédure jugée «légaliste» qui vise à exiger des honoraires de 106,000.00 $ en frais de justice liés à une cause perdue qui remonte à quelques années. Selon ce que j’ai pu trouver grâce à des copains avec qui j’échangeais sur Twitter, le tarif des honoraires judiciaires des avocats prévoie «dans le cas d’une demande dont la somme ou la valeur en litige est supérieure à 100 000 $, un honoraire additionnel de 1 % sur l’excédent de 100 000 $». La question est de savoir si la firme qui exige ces honoraires pouvant mettre en faillite le FACIL agit en conformité avec les usages communs dans ce genre de situation ou si elle le fait sous la pression du gouvernement qui est justement au prise actuellement avec un litige opposant la RRQ et Savoir-faire Linux?
Toute la semaine, nous étions plusieurs (dont Nicolas Roberge) à suivre par ce canal sur Twitter les péripéties entourant le procès qui survient lui-même après «deux ans d’attente et de batailles contre une brochette d’avocats du gouvernement du Québec et de Microsoft Canada qui ont déposé 25 requêtes en annulation». Ce matin, je lisais le plus récent billet de Cyrille Béraud un des principaux acteurs de tout ce mouvement de turbulences et ma foi, il mérite bien qu’on soit davantage à s’intéresser à ce que se passe de ce côté.
Le 5 février dernier, Zone libre en éducation a cessé d’être mis à jour, dans une sorte d’indifférence qui ne nous honore pas. Est-ce que cette fois on va laisser fermer un autre organisme de défense de l’industrie du logiciel libre sans s’interroger sur les causes profondes de «son malheur»? Je crois que nous ferions une erreur…
J’ai fait quelques recherches, mais je ne suis pas juriste. Ce document semble démontrer que dans certains cas, une cause ou un recours collectif n’a pas à être autorisé pour ne pas que ces honoraires (appelés «honoraire additionnel») nuisent et aient «pour conséquence de créer au requérant et aux membres du groupe une dette sous forme de frais taxables». Dans ce bulletin du Barreau du Québec, un juriste affirme que des «sommes considérables peuvent être en jeu» et passe en revue la jurisprudence marquante, sur ce sujet de l’honoraire additionnel et du droit aux dépens. Ce que je lis me laisse craindre que le FACIL aura besoin d’aide dans son combat de David contre Goliath. Sur Twitter ce matin, je me demandais quel pourrait être l’intérêt du gouvernement ou des citoyens en général de s’acharner par cette croisade anti-FACIL? Je comprends bien que le FACIL ne représente pas «tout le mouvement du libre» et que le geste de la firme d’avocats (et du gouvernement?) peut n’être qu’une réponse automatique, mais il y a lieu de s’inquiéter il me semble. Le FACIL dans son communiqué rappelle les enjeux du logiciel libre pour la société québécoise et je crois utile de reproduire ici ces quelques lignes:
- «Le logiciel libre participe à un développement économique durable.»
- «Le logiciel libre participe au partage du savoir et à la préservation des libertés fondamentales à l’ère du numérique.»
- «Le logiciel libre garantit l’égalité d’accès de tous les québécois aux nouvelles richesses de l’ère numérique.»
- «Le logiciel libre constitue une opportunité pour les entreprises québécoises. Il renforce l’indépendance technologique et la compétitivité des entreprises québécoises.»
- «L’utilisation de logiciels libres garantit un marché équitable et concurrentiel.»
En Éducation, je crois que l’avenir passe par une meilleure considération des logiciels libres, surtout quand il y a de l’argent public en cause. Ce qui n’enlève rien à ce qui marche bien (ou mieux) du côté propriétaire… quand les règles du marché reste équitables et concurrentielles!
Mise à jour du lendemain: Dans un échange par Twitter avec une avocate, j’apprends que la facturation «de dépens» (c’est dans cette catégorie de frais que «l’honoraire additionnel» peut être compris) est souvent un automatisme quand l’avocat y a droit et que le client (le gouvernement, ici) a souvent très peu (sinon rien) à voir avec le fait ou non de facturer. Est-ce que ça veut dire que le gouvernement ne peut rien faire pour le FACIL? Non… mais il faut quand même rester prudent avec l’interprétation que la lecture du communiqué pourrait donner. Le gouvernement n’a probablement pas «lancé une offensive contre le logiciel libre au Québec» à tout le moins, on ne pourrait pas tirer cette conclusion sur la base de la réception de la facture des honoraires d’avocats, si je comprends bien. À suivre…
Mise à jour du mardi 16 mars: Un article au Devoir et un autre dans Le Soleil, puis un billet de Nelson Dumais à Cyberpresse me laissent croire que les honoraires d’avocat sont encore perçus comme du harcèlement, du point de vue FACIL. Par l’entremise de Twitter hier soir, j’apprenais que la première requête avait été jugée irrecevable justement «en raison du litige SFL/RRQ». Enfin, on me dit que Cyrille Béraud et Louis Martin seront en direct chez Christiane Charette mercredi matin entre 9 h et 10 h… Un des sujets abordés sera sûrement le procès de la semaine dernière dont il est question dans cette entrevue que Benoît Grégoire (d.g. de Savoir-Faire Linux) accorde à Christian Aubry au sortir de l’événement Confoo.
Mise à jour du 3 juin 2010: Savoir-faire Linux gagne sa cause contre la Régie des rentes du Québec (RRQ) tel que le rapporte le jugement de la Cour supérieure du Québec rendu par le juge Denis Jacques, du district de Québec. Un jugement dédié «à toute la jeunesse du Québec» selon Cyrille Béraud.
Mise à jour du 6 juin 2010: Réaction de Nicolas Roberge à la suite du jugement: Mêlez-vous de vos affaires, chers députés!
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Un beau résumé de la situation.
Cette pression légale sur FACIL et le marché du logiciel libre ne peut être un automatisme. Évidemment, je n’ai pas les dessous de l’histoire pour porter un jugement de la pertinence de l’action, mais une chose est sûre, liberté d’opinions et autonomie des gens (et institutions) sont incompatibles avec notre « divin » modèle québécois.
Aussi, la liberté totale entourant les logiciels libres ne va pas de pair avec le « souci » de nos gouvernements (présent et passés) de bien prendre soin de nos biens. Ce qu’on ne peut contrôler,…
Merci Mario pour cette belle synthèse.
Juste une précision, que j’avais également faite sur twitter. La requette de FACiL avait été jugée irrecevable considérant que FACiL n’avait pas d’intérêts sur les contrats contestés, car FACiL n’aurait pas pu compétionner sur ces contrats. C’est la raison juridique.
Pour répondre à la première mise à jour. Les firmes d’avocats du gouvernement (dans le cas présent, la firme d’avocats Tremblay Blois Mignault Lemay) sont en fait complètement intégrés à l’administration publique. Leurs avocats travaillent à plein temps pour l’administration et dans l’administration. Elles peuvent paraitre indépendantes de celle-ci mais dans les faits ça n’est pas le cas. Tous les actes qu’elles posent, le sont sur instruction de l’administration et n’ont rien d’automatique. Dans ce cas précis, le fait que la demande de remboursement ait été envoyée quelques jours avant le procès SFL/RRQ et plus d’un an et demi après l’action de FACIL en Cour, démontre amplement le calcul pathétique de l’action.
N’ayant pas connaissance de tous les faits moi-même, je pense cependant que Cyrille a raison et que cette requête de remboursement des frais juridiques exorbitants (au regard des moyens de FACIL) n’est pas le fait d’un bon père de famille, mais celui d’un groupe d’intérêt belliqueux protégeant son pré carré à la baïonnette — pour ne pas dire « au baillonnet ».
Si un groupe de citoyen ne peut plus avoir recours aux tribunaux pour faire entendre une cause impliquant l’État sans être acculé à la faillite, alors on est encore au temps de la Grande Noirceur, de l’intimidation, de la loi du plus fort plutôt qu’à celui de la concertation et de l’équité.
Il est par ailleurs paradoxal de constater (voir la dernière Conférence sur les logiciels libres dans l’administration publique) que le logiciel libre est reconnu et apprécié par de nombreux professionnels du Gouvernement du Québec. Ce coup de couteau dans le dos n’est donc pas le fait de tout le gouvernement, mais celui d’un puissant groupe d’intérêt.
En ce qui concerne Microsoft et ses partenaires commerciaux, on peut le comprendre même si on ne l’approuve pas. En ce qui concerne les fonctionnaires du gouvernement, en revanche, je crois qu’il faut condamner sans appel cet acte de vengeance disproportionné et contraire, à mon sens, à l’essence de la justice et de la démocratie.
[…] me suis souvent prononcé sur ce sujet des logiciels libres dans le passé (1, 2, 3). Je compte suivre l’évolution de ce dossier de très […]