«Un enseignant se fortifie de son savoir. Les élèves se coalisent en réseau. Qui est le plus fort?»
J’étais en train d’écrire un billet à propos d’un livre cité par Will Richardson, «The Power of Pull», au moment où François Guité a gazouillé cette perle qui coiffe mon billet. Un changement de titre plus tard, je reviens aux cinq questions qui ont incité Will à réfléchir plus avant à l’importance des réseaux. De son billet «Pulling Networks Together» j’extrais les questions et je tente moi aussi quelques éléments de réponse.
Can you identify the fifty smartest or most accomplished people who share your passions or interests, regardless of where they reside?
J’ai appris très jeune à nommer les gens qui m’inspiraient. Par incapacité à m’identifier à mon père ou pour d’autres raisons, je me suis employé très tôt à lire des biographies de gens à qui je voulais ressembler. À l’adolescence, je n’ai jamais hésité à aller causer avec des gens de passage dans ma vie, ne serait-ce que quelques minutes, si ces personnes me portaient par leur passion. Mon expérience de Conseil d’administration virtuel en témoigne… je peux affirmer que cet exercice m’est précieux. D’ailleurs, ça me fait penser qu’il me faudra me replonger dans cette simulation dans un proche avenir.
How many of these people are currently in your professional or personal networks?
Je ne peux pas prétendre avoir rencontré l’ensemble de ces personnes bien entendu, mais pour certains, non seulement c’est le cas, mais elles font effectivement partie des gens avec qui je suis resté en contact. La dernière rencontre en date est celle de Marc Prensky. Dans ma vingtaine, je me souviens de ma demi-journée avec Pat Metheny. Depuis ma trentaine, j’entretiens une (trop rare) correspondance avec Seymour Papert. Même si nous avons échangé quelques courriels, je ne peux pas dire que Philippe Meirieu fait partie de mon réseau professionnel, mais par personne interposée… Bref, j’ai encore beaucoup de travail à faire sur ce volet, mais je me surprends à avoir oeuvré, d’instinct, de façon à m’intégrer dans des réseaux où les gens de passion dans mon domaine (d’où qu’ils résident) y participent.
How many of these people have you been able to engage actively in an initiative related to your shared passions or interests?
J’ai consulté certaines de ces personnes pour des projets où je me suis fortement engagé. Encore récemment, je me souviens d’avoir mis à contribution les développeurs de WordPress dans mon mandat au Projet Intégrateur. Je dirais peut-être jusqu’à la hauteur de 15%, j’ai l’impression d’avoir «engagé activement» ces gens qui comptent pour moi et qui partagent ma passion du «faire apprendre». Me reste à travailler sur le 85%… Ouf!
To how many of these people would you feel comfortable reaching out and mobilizing in a new initiative related to your shared passions and interests?
Quand j’y pense, à l’âge où je suis rendu, j’ai de moins en moins de gêne à contacter et «mobiliser» ceux que j’estime et qui peuvent apporter une contribution au développement d’une bonne idée. Et puis, il me faut l’avouer, j’ai toujours obtenu le concours de ces personnes que je croyais au départ «inaccessibles». De là à dire que je me sentirais «totalement à l’aise» de rejoindre n’importe qui dans cette liste… enfin… disons, la grande majorité.
For these fifty people, how effectively are you using social media to increase your mutual awareness of each other’s activities?
On ne sera pas surpris d’apprendre que ces dispositifs du Web participatif me sont effectivement d’un grand secours pour mutualiser et partager des connaissances avec ces gens de «ma liste». Je dois à mon blogue et à l’utilisation des réseaux sociaux la grande majorité de mes voyages et de mes rencontres. Je pense tout de suite à Danah Boyd, à Sylvie Gendreau, à Will Richardson, à David Warlick, à Chris Lehmann (et j’en passe), puis à plusieurs cousins en France… la liste est longue des gens avec qui je me sens en réseau, en grande partie grâce aux outils du Web 2.0.
Il me faut absolument garder en tête ces réflexions dans l’élaboration des nombreux projets que j’ai en tête présentement…
La loi du plus fort n’est-elle pas celle de la jungle?
Effectivement, de jeunes coalisés peuvent être plus forts, auront-ils nécessairement raison? Jusqu’à récemment, l’adulte en autorité qui normalement est aussi en responsabilité de ces jeunes coalisés avait toute l’attention à titre d’adulte impartial et digne de confiance. Les temps ont bien changé… Un mensonge coalisé à qui l’on donne une crédibilité en raison du nombre peut aujourd’hui détruire sa réputation assez aisément. Et ensuite, tout le monde s’étonne de la montée de la violence à l’école avec cette adulte en qui ont ne fait plus confiance et à qui tout de même dans un esprit contradictoire sidérant on confie nos jeunes tout en le menottant.
Dans le monde scolaire et dans la science jusqu’à maintenant il y avait eu un certain souci de la vérité. J’ai déjà vu des coalisés mentir et se croire et faire beaucoup de tapage pour obtenir raison, ils n’en étaient pas moins dans l’erreur.
Enfin, cette affirmation à l’effet qu’un enseignant se fortifie de son savoir est discutable: l’enseignant s’il connait son domaine a une certaine raison d’arbitrer les perceptions qui lui semble erronées de son assistance. Il joue le rôle de gardien d’un certain savoir contre l’arbitraire des dérives individuelles et coalisés, contre les déformations et l’incompréhension. Évidemment, depuis qu’on lui soutire le droit d’arbitrer de son mieux et aussi d’enseigner le savoir vrai reconnu et structuré, sa vigueur à défendre la vérité a perdu un peu de vigueur.
Tout est discutable ici, encore davantage dans les billets sous cette colonne «Je réfléchis»…
Dans le registre du «tapis qui glisse sous les pieds de l’enseignant», il y a ce qui vient de l’extérieur et aussi, ce qui «appartient» à l’enseignant lui-même. Quand un enseignant veut absolument demeurer LA SEULE source de connaissances dans sa classe, quand il croit que tout doit obligatoirement transiter PAR LUI vers les élèves… je crois qu’il tire lui-même sur le tapis.
Pour avoir une certaine prise sur «les mensonges coalisés», il devient nécessaire qu’un individu cesse de s’isoler et de réinventer l’eau chaude à chaque jour.
La posture de l’enseignant seul «gardien d’un certain savoir» est-elle absolument nécessaire si cet enseignant travaille à partager – voire enseigner – ses clés de lecture de ce qui différencie une donnée, d’un potin, d’une opinion, d’un fait, d’une information ou d’une connaissance ? La classe «gardienne d’un certain savoir»? La communauté éducative «gardienne d’un certain savoir»? Le réseau – voire les réseaux coalisés – ne pourrait-il pas devenir «gardien d’un certain savoir» si l’enseignant travaille différemment?
En répartissant sur plusieurs épaules cette nécessaire tâche de chercher à faire émerger le «souci de la vérité», est-ce que le corps enseignant ne se porterait pas un peu mieux?
L’enseignant peut bien enseigner « sa » clé de lecture mais il aura tout intérêt à enseigner d’autres clés de lecture, incluant la clé de lecture disciplinaire – celle qu’il se doit de « garder »!
La réponse de Mario est d’une grande perspicacité. Ce qui me désempare dans le commentaire de « Jonathan », c’est ce postulat sous-entendu que les jeunes sont malveillants. Peut-on bâtir une défense sur une telle prémisse? L’argumentation me semble fallacieuse par l’extension à l’ensemble d’individus ou de comportements marginaux.
Quant à la première partie de l’énoncé, il faut le prendre avec un grain de sel, puisque l’énoncé se veut un aphorisme. Néanmoins, la thèse voulant que les enseignants soient des parangons de vertu et de défense de la vérité est une illusion. Bien peu méritent de s’élever sur ce piédestal. Personnellement, je n’ai pas cette prétention, faillible que je suis.
Il est assez clair ici que Jonathan parle de choses qui sont plus grandes que l’enseignant (et qu’il doit respecter et protéger) tandis que, pour d’autres, on semble comprendre que c’est le « moi » du prof qui est l’enjeu.
Enfin, l’Internet est probablement né d’un souhait de réseautage entre chercheurs, mais ce n’est pas parce que des individus se réseautent (peu importe leur nombre) que c’est nécessairement intéressant.
Quant au commentaire sur la vertu… on peut se demander si la question en est une de « prétention » ou de RESPONSABILITÉ.