«Jusqu’à présent, la population faisait confiance aux institutions que sont les médias pour ne pas être trop manipulées, affirme Philippe Le Roux. Maintenant que tout le monde peut diffuser des images, chacun devra se réapproprier ce pouvoir de discernement. Ce n’est sans doute pas plus mal, et on devrait même l’enseigner dans les écoles.»
Tiré de «Quand les citoyens captent la nouvelle».
On devrait. Bien sûr!
Le nouveau programme de formation de l’école québécoise le prévoit.
Tags: "La vie la vie en société" LesExplorateursduWeb Partageons le savoir Pédagogie et nouvelles technologies
À titre d’ancien journaliste (un brève carrière) et de blogueur, vous me permettrez de revenir sur trois passages du texte que vous mentionnez.
1- «Pour l’instant, «on reste dans le flou par rapport aux normes professionnelles», dit-elle, et l’Association canadienne des journalistes se demande s’il ne serait pas préférable de ne rien diffuser qui n’ait pu être vérifié. «Une fois qu’on sort une rumeur, le mal est fait: lorsqu’on obtient la vérification, le public est passé à autre chose. Et c’est encore plus vrai avec les images. On a l’impression qu’un reportage vidéo ne peut être faux, alors que les effets de cadrage, de montage ou la musique peuvent être tendancieux.»
«Ne rien diffuser qu’il n’ait pu été vérifié.» Il me semble que c’est tout à fait normal. Or, la pression des cotes d’écoute et de l’exclusivité pousse les médias à ne pas respecter ce principe sacro-saint de l’information: la validité du contenu et de son contexte.
Un exemple: à Montréal, TVA a présenté en boucle une vidéo d’une citoyenne montrant une jeune fille devenue éboueuse. Pas de recherche, pas d’enquête, rien. Pourquoi est-elle là? Que fait-elle exactement? Qui sont les adultes qui l’accompagnent? On ne saura qu’une partie seulement de l’histoire que deux jours plus tard. Pas fort.
Dans la même veine, aux États-Unis, Obama congédie une employée sans même vérifier ce qu’on lui reproche…
2- «Jusqu’à présent, la population faisait confiance aux institutions que sont les médias pour ne pas être trop manipulées, affirme Philippe Le Roux. Maintenant que tout le monde peut diffuser des images, chacun devra se réapproprier ce pouvoir de discernement. Ce n’est sans doute pas plus mal, et on devrait même l’enseigner dans les écoles.»
Enseigner le discernement, je veux bien. Mais le discernement selon quelle grille idéologique? Il existe des scientifiques qui croient au créationnisme, d’autres à la présence de Dieu. Et je ne parle pas de ces Américains qui sont convaincus d’un complot X ou Y en se basant sur des vidéos, des livres, etc.
Le discernement est une notion à géométrie très variable, quant à moi.
3- «Dans une démocratie, ne pas faire confiance au sens critique du citoyen, vouloir interdire l’accès à des informations qu’on trouve dangereuses pour lui, c’est un plus grand danger encore», renchérit l’éthicien Daniel Weinstock.
Théoriquement, cette position est juste. Le hic est de savoir qui a produit cette «information» et dans quel but. Les médias institutionnel reconnus bénéficient d’une certaine légitimité quant à ce qu’ils diffusent. Leur notoriété, leur réputation en dépend. Dans une économie de marché, c’est en fait ce qu’ils nous vendent: leur crédibilité.
Autrefois, il fallait influencer des journalistes pour «manipuler» l’opinion publique. Aujourd’hui, on dirait que l’équation se renverse et que certains essaieront de manipuler l’opinion publique pour influencer les journalistes. Je ne dis pas que le procédé soit mauvais. Tout dépend des intentions de celui qui «manipule».
Un exemple: cette mère qui s’est servi de Twitter pour obliger Air Canada à faire réparer le fauteuil roulant de son fils brisé lors d’un vol aérien. La pression sur la toile et le fait que des médias ont commencé à s’intéresser à l’histoire ont poussé le transporteur aérien à donner rapidement satisfaction à la maman….
Revenons à nos moutons. Un «journalisme citoyen» ne vit pas avec les mêmes contraintes et n’a pas pas à satisfaire des conditions qui garantissent peut-être davantage ce qui est diffusé. Car là est un des problèmes: doit-on diffuser ce qui n’a pas été vérifié au préalable par des institutions dotées de règles éthiques et de contraintes les poussant à satisfaire un minimum de crédibilité?
Par ailleurs, j’ajouterai aussi que cette nouvelle forme de journalisme, dont on peut questionner la crédibilité, souffre d’un autre tare: celle de créer des citoyens prêts à tout pour faire la nouvelle, sans tenir compte des lois et des droits des individus. On crée des gens qui veulent se mettre devant la nouvelle, en quelque sorte. Andy Wharol l’a dit: tout le monde aura son 15 minutes de gloire.
Si je reviens sur l’exemple de la fillette éboueuse, la dame qui l’a filmée a commis au moins trois infractions au code de la route pour effectuer son topo: filmer en conduisant une voiture, franchir une ligne pleine et rouler en sens interdit! Aucun journaliste ou commentateur ne l’a souligné. Jusqu’où ira-t-on dans la prise de certains risques pour faire la nouvelle? Les journalistes bénéficient habituellement d’un encadrement et d’une formation qui évitent certains dérapages.
Pour ma part, en tant que blogueur, il m’arrive parfois de diffuser de l’information. Mais si j’estime que le sujet me dépasse ou est potentiellement dangereux, je refile le ballon à des journalistes reconnus, dont certains lisent mon blogue. Ceux-ci vérifient les faits et publient, s’il y a lieu.
Dans certains cas, je me suis royalement planté dans les informations que je leur ai fournies et ils m’ont expliqué où et pourquoi. Dans d’autres, ils n’ont pas publié pour des raisons que je respecte (nouvelle plus ou moins intéressante ou faisant partie d’un reportage à venir). Enfin, parfois, ils sont allés de l’avant avec mes infos qu’ils ont validés. J’ai établi une relation de confiance avec eux. Et ça me va très bien comme ça.
Je rajouterai que Fox (je crois), qui a diffusé la nouvelle venant d’un blogue qui a amené le président Obama à congédier une employée, l’a fait en diffusant une information tronquée dont elle n’avait pas vérifié le contexte. Rien pour aider sa réputation déjà bien entachée…
L’utilisation que fait l’auteure de l’article de La Presse des experts et sa manière de rédiger permettent de voir là un exemple typique de très mauvais journalisme :
«Phéromone», le groupe pour lequel travaille Monsieur Leroux, un «spécialiste» des stratégies médias, est une entreprise de services qui cherche à tirer son épingle du jeu en offrant une expertise du web 2.0
Cela ne fait pas de Monsieur Leroux une voix crédible pour analyser le phénomène du journalisme citoyen ou du moins, sa contribution doit être contextualisée et insérée dans la construction d’un dialogue plus intelligent avec ses autres experts.
Dans le cas de réalité complexe, le journaliste doit traiter l’information, ici elles se contente d’un pot-pourri de citation qui se réponde l’une à l’autre. Il est d’ailleurs difficile dégager véritablement le propos de son texte, mais on demeure avec l’impression que le journalisme-citoyen peut contribuer à la confusion et à la désinformation.
Son texte est pourtant un exemple patent de la très mauvaise qualité de la presse institutionnelle, il n’est donc pas étonnant que l’on prenne la relève. Dans ce cas-ci, il est clair que son texte aurait mérité d’être plus étoffé pour véritablement circonscrire la problématique. Le fait que sa direction se contente dudit texte ou qu’elle l’ait travaillé ainsi nous montre indubitablement que les véritables clients de La Presse sont les annonceurs. Les journalistes sont juste là pour «créer du contenu» sans faire de véritables remous, difficile d’être les défenseurs de l’intérêt public dans ce cas. Hum, elle n’en parle pas.
Il ne sert à rien de disposer d’outils et de ressources pour être capables de vérifier la fiabilité des informations si on abandonne l’analyse et la critique.
Un autre exemple? Il existe une pléthore d’informations sur le web pour comprendre combien l’achat des 65 f-35 est une décision catastrophique. Cependant, c’est un dossier lourd, pour comprendre toutes les implications offrir un cahier de plusieurs pages, expliquant entre autres l’impact d’augmenter le pouvoir du complexe militaire et industriel au Canada, lequel ne peut que soutenir avec vigueur le gouvernement conservateur.
Cette analyse, vous la trouverez sur le Web, vous la retrouverez sans doute dans les mensuels de gauche, mais vous ne la retrouverez pas chez Gesca ou Canoë. Peut-on alors vraiment parler de la crédibilité et de la fiabilité des médias?