Du temps où j’étais directeur d’école, j’essayais toujours de détourner l’attention des parents et des élèves du bulletin, cet outil de communication des résultats scolaires qui attire à lui une charge affective démesurée. Je n’allais pas jusqu’à dire que ce n’était pas important le bulletin… Je disais (et dis encore) simplement que l’essentiel est ailleurs.
On imagine facilement que je ne m’amuse guère depuis trois jours de constater toute l’attention médiatique portée vers ce formidable outil de «tri social» qui, non seulement rate sa rentrée (la ministre annonce en même temps de quoi il aura l’air et son entrée en fonction dans un an), mais risque de faire déraper celle de plusieurs intervenants. Dès juin 2007, j’écrivais qu’il fallait passer à autre chose et je n’en passe pas moins en ce moment.
Le report d’un an m’agace au plus haut point, parce que ça veut dire qu’on va continuer de perdre du temps avec ça. Loin de moi l’idée d’être satisfait de la proposition de bulletin unique pour toutes les écoles; mais à partir du moment où l’État décide qu’il en sera ainsi, il faudrait cesser de tergiverser, le mieux sera l’ennemi du bien, c’est assuré!
François Guité vient d’exprimer sur Twitter un élément très important…
«Le bulletin unique est une solution qui priorise encore une fois le système au détriment des individus.»
D’autres que moi ont commenté sur le contenu ou le report dont le concert des «officiels» (1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7) entres autres, et je me suis même exécuté chez Joseph Facal puisque j’avais l’impression de lire «une avancée» dans sa compréhension de ce qu’est une compétence. À partir du moment où on a un programme axé «compétences» et des évaluations axées exclusivement (ou à peu près) «connaissances», la façon de fabriquer la communication aux parents concernant le produit de cette évaluation m’importe peu. J’en ai déjà trop écrit sur ce sujet… Passons à autre chose!
La rentrée scolaire sera encore un calvaire pour bon nombre de profs à statut précaire. L’école est encore très loin de pouvoir remplir sa mission avec une relative autonomie, elle doit composer avec les pratiques de blocage Internet des commissions scolaires, puis, qu’en est-il de l’école en tant que lieu où il faut faire des efforts et apprendre par un travail constant, et à visière levée? Et je ne parle pas du décrochage et du conformisme…
Bref, il y a d’autres sujets d’importance à aborder en cette rentrée scolaire et le bulletin unique me semble avoir pris toute la place.
Y en a marre!
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Tu as raison, Mario : « l’essentiel est ailleurs ». Je suis d’avis, toutefois que l’on sous-estime les conséquences d’un bulletin unique, justement, sur l’essentiel. Le risque est désormais accru qu’un bulletin unique, avec toutes les statistiques comparatives qui en découleront (notamment des palmarès au primaire), ne serve de principal instrument de mesure dans la gestion des écoles, à l’instar de ce qui se passe aux États-Unis avec la folie du teach to the test.
Je crains que l’adoption d’un bulletin unique ne vienne encore affermir la volonté de beaucoup de parents d’une école qui valorise la compétition comme gage de l’apprentissage.
Si je suis d’accord avec ton propos pour le court terme, je crains qu’on ne s’en morde les pouces plus tard. Malgré l’agacement que nous éprouvons tous pour ce gorille dans la boutique, la question de l’évaluation est trop lourde de conséquences pour en faire abstraction.
Nos efforts pour améliorer l’éducation nécessitent des interventions sur des fronts bien ciblés. L’évaluation, sous ses diverses formes, constitue justement une question « essentielle ».
Moi, premièrement, tout comme vous, ce qui me désole dans ce débat, c’est qu’avec ce report, on va encore jaser de bulletin pendant un an… surtout quand on va annoncer quelles parts on devrait faire aux connaissances et aux compétences. Parce qu’il reste aussi cette question à régler.
Ensuite, à mon avis, Mme Beauchamp a effectué un mauvais choix et semble ne comprendre pas des notions de base. Ainsi, en entrevue à Radio-Canada, elle a utilisé «savoir écrire» comme un exemple de connaissance. Or, on sait tous que c’est clairement une compétence.
Comme je l’ai souligné dans un billet, le projet de bulletin unique, qui vise à mieux informer les parents, va RÉDUIRE l’information qu’ils recevront parce qu’il n’y aura que trois bulletins alors que certaines écoles en ont quatre. N »est-ce pas complètement ironique!
Enfin, ce choix va me donner du boulot parce que je devrai revoir ma planification et mon matériel conçus pour un calendrier scolaire de quatre étapes.
J’ai lu quelque part que Mme Courchesne favorisait le scénario de quatre étape.
Taire le débat?! Si je veux faire ma mauvaise langue, je dirais, en paraphrasant, qu’on peut affirmer que «la rentrée scolaire serait alors un calvaire pour bon nombre de journalistes à statut précaire» s’ils ne pouvaient pas miser sur le bulletin pour partir une polémique médiatique…
On se rend compte à quel point que le paratonnerre du bulletin est trop en diapason avec le la structure profonde des médias (faire court, simplifier, chiffrer, comparer –ce qu’est un bulletin, tout comme la news qui «pogne») et que toute communication «lente, personnalisé, adaptée, nuancée» rencontre des lignes de résistance qui sont ontologiquement médiatiques.
Ce n’est pas le bulletin qu’il faut réformer, c’est tout l’établissement médiatique de notre société 😉
Ce qui est désolant, c’est le peu de profondeur de la couverture des médias quant aux enjeux en éducation. Dans le cas du bulletin unique, j’ai soulevé deux lacunes assez évidentes. Combien de fois des situations semblables surviennent-elles?
Je connais de bons journalistes en éducation, mais combien couvrent ce secteur sans trop savoir ce dont ils parlent? Et ce, c’est sans oublier les blogueurs comme Stéphane Laporte qui propose d’implanter le modèle français au Québec en affirmant sérieusement qu’il est meilleur que le nôtre…
Ces commentaires du Professeur masqué et de Martin Lessard concernant les effets des médias de masses sur l’éducation sont fort intéressants. Le sujet est si important qu’on devrait en faire un billet à plusieurs mains, un texte collaboratif à publier dans un grand quotidien (Le Devoir?) sous forme de lettre ouverte.
Comme vous M. Asselin, malgré qu’il y ait beaucoup d’autres sujets d’importance en Éducation, je suis bien d’accord avec la proposition de François Guité. Pourquoi pas un groupe Facebook tant qu’à y être?! Un manifeste, un refus Global de l’Éducation du 21e siècle! (Je pris un café de trop peut-être?)
Voici un brin de ma pensée…
Ce bulletin unique, simplifié et chiffré passe à côté de TOUTES ses intentions:
1. Un bulletin unique, visant cohérence et constance, ne peut être adapté à tous les milieux et en favorisera certains au détriment des autres.
2. Un bulletin simplifié? Comme le dit Mario Asselin, avec «un programme axé «compétences» et des évaluations axées exclusivement (ou à peu près) «connaissances»» il y a de quoi se compliquer la vie! Quel beau casse-tête d’explication en perspective! Surtout avec le modèle de bulletin proposé par le MELS… (http://bit.ly/aDJADf) Moins de «catégories» pour plus de clarté… Mmmm… Pas sûr…
3. Un bulletin chiffré, résultant de notre «obsession pour l’évaluation normative» (François Guité sur Twitter) va à l’encontre de tous les efforts possibles de lutte au décrochage! (http://bit.ly/9csuW6)
Alors, on l’écrit ce texte? 🙂 J’ai une rentrée à préparer! 😉
Je me surprends de cette volonté de changer le bulletin. Comme parent, je n’ai pas de prétention en ce qui à trait de la pertinence de ces changements. Je m’interroge sur la place prioritaire qui est accordé au bulletin.
Je suis impliqué dans le milieu scolaire depuis plus de 6 ans à titre de représentant de parents. Je représente près de 26 000 parents du primaire. Les derniers commentaires que j’ai reçus sur ce sujet remontent à 2007. La fédération des comités de parents qui représentent tous les parents du Québec, n’a pas reçu d’appels sur ce sujet depuis ce temps également.
Je suis déçu du report d’un an pour ce nouveau bulletin. Cela mobilisera pour une autre année le monde de l’éducation. Nous avons mieux à faire.
Je ne comprends pas la réaction de la ministre à l’effet que les profs ont besoin de formation. On reprend ce qui existait! À mon avis, ce sont les commissions scolaires qui ont poussé pour ce report parce qu’elles ne seraient pas prêtes.
@Luc: j’ai entendu la même chose, mais je ne me rappelle plus où (Les CS ont poussé fort pcq pas prêtes…)
@François G et François B (Ya aussi Jean D qui a signifié son intérêt sur Twitter): go. On ouvre un wiki, un EtherPad ou autre et on écrit. On se donne une date de tombée et : go ! François G et Mario, on pourrait même utiliser ce texte « ailleurs », si vous voyez ce que je veux dire…
En tant qu’enseignant, je dois dire que je ne suis pas contre le report d’un an.
Depuis le début de ce renouveau, le MELS nous donne de l’information au compte-goutte, fait des changements en plein milieu d’année et fait en sorte que nous puissions parfois perdre la face devant les élèves et les parents – qui ne comprennent pas la signification de tous les changements apportés depuis le dernier bulletin.
Personnellement, la matière que j’enseigne depuis 4 ans maintenant, l’Histoire, se porte très bien à l’évaluation par compétences et il est assez difficile de quantifier la compréhension de mes élèves. Quoique la majorité de la population en dise, le nouveau cours d’Histoire inclut une grande quantité de connaissance, mais d’abord et avant tout un savoir-faire historique. Les connaissances sont comprises et non seulement mémorisées pour être oubliées plus tard.
@Professeur masqué… Oui, la ministre avait parlé de 4 bulletins, mais la majorité des écoles de la provinces, qu’elles soient publiques ou privées, utilisent 3 étapes. Cette façon de fonctionner permet d’avoir une meilleure idée de l’évolution et de l’acquisition de compétence de la part des élèves.
Pourriez-vous me dire où vous avez pris cette information sur la majorité des écoles à trois étapes?
Bonjour,
«Le bulletin unique est une solution qui priorise encore une fois le système au détriment des individus.»
BRAVO, enfin un pas qui sert le fonctionnement collectif en système plutôt que de prétendre satisfaire les caprices individuels.
Un bon système d’éducation arrache la personne à sa perspective individuelle pour l’amener dans celle des collectivités.
Ben oui, l’évaluation scolaire sert aussi à faire du « tri social » – ça prépare à la vraie vie. Ça favorise peut-être même la compétence à vivre dans une société qui fait du tri social.
Enfin, j’ignore aussi pourquoi on s’en fait tant avec le « rapport » (lire: bulletin) quand c’est tout le processus qui y donne naissance qui est malade.
Paul C.
M. Noppen, sans vouloir être méchant, j’attends toujours une source pour ce qui est de la majorité des écoles à trois bulletins.
Dans ma CS, la tradition est la suivante :
Une première «communication» vers la mi-octobre, puis trois «bulletins» (déc, mars et juin).
Cette première communication est par certains appelée bulletin, mais n’en a aucunement l’étoffe. Il s’agit surtout d’un premier rapport aux parents au regard de l’adaptation du jeune dans sa classe.
Tout le monde regarde le bulletin à travers ses propres lunettes et selon sa propre expérience. On est dans le monde des perceptions. Et tout le monde voudrait bien qu’il serve sa propre vision, devienne la réponse à ses propres problèmes et tienne compte de sa propre définition des enjeux de l’heure. La tour de Babel, symbole universel du malentendu humain. Peut-être le bulletin n’est-il, comme la confusion des langues dans l’histoire de la tour, que le châtiment de Dieu pour punir les orgueilleuses prétention pédagogiques des hommes… en faisant en sorte que nul ne comprenne la langue parlée par l’autre, simplement. Contrairement aux animaux, les êtres humains ne se comprennent pas par des signes univoques, mais bien par l’équivocité du signifiant. Le bulletin en est un bel exemple. Comme disait le frère Untel « Pardonnez-leur, car ils ne savent que ce qu’ils font »
Bonne rentrée !