Débat dans les médias sur le droit des enfants à parler pendant qu’ils mangent

Cent cinquante enfants doivent prendre le repas du midi dans un même local et la direction de l’école Notre-Dame de la Commission scolaire du Val-des-Cerfs a pris des mesures pour que le niveau du bruit reste acceptable. Après avoir communiqué avec les parents, il a été convenu qu’une musique de fond serait présente dans le petit gymnase et que seul le chuchotement entre les élèves du primaire y serait permis.
Je connais bien des écoles où ce fonctionnement est la norme. Ce n’est pas de gaité de coeur que les surveillants interviennent dans ce contexte, au quotidien; il faut le savoir, ce n’est pas une mince tâche que de faire respecter ce genre de consigne. Quand la cafétéria ou le local prévu pour la boustifaille rassemble plusieurs petites bouches, on tente de protéger la santé des jeunes en préservant l’essentiel: se nourrir sans prendre un mal de tête.
La direction d’une école a souvent à faire avec des parents (parfois même des membres du personnel) qui ne sont pas d’accord avec une ou l’autre des règles de vie de l’école. J’ai eu à composer avec ça toute ma vie de directeur et ça fait partie de la tâche. Dans le cas de cette règle de fonctionnement à l’heure du dîner, un parent a décidé de porter plainte auprès de la commission scolaire et, pétition à la main, on peut soupçonner que des démarches ont été entreprises pour alerter les médias. Un parent qui agit de cette façon ne le fait pas de gaité de coeur non plus, mais expose son enfant à un stress, puisque dans une petite localité comme Waterloo, tout le monde se connaît. Ça donne un article qui paraît à La Presse hier matin, «Une mère en croisade contre le règlement». À partir de là, on aurait pu penser que «l’affaire» serait restée un fait divers, mais la frénésie s’empare de certains représentants des médias et certains titres enflammés apparaissent («Vos gueules, les enfants !»), puis s’ensuit une entrevue de radio avec la directrice qui commence par «Je ne veux pas parler trop fort, je ne veux pas vous choquer» et plusieurs autres articles sont publiés hier et aujourd’hui (1, 2, 3, 4, 5). Même une chroniqueuse éditorialiste de renom s’en mêle aujourd’hui et se commet dans un texte «Faim de conversation». Si cette dernière salve est plus constructive, Ariane Krol ne se range tout de même pas derrière l’école; elle pointe du doigt la «priorité donnée à l’ingestion au détriment de la socialisation durant le repas».
Je me suis demandé ce qui avait bien pu se passer pour qu’un tel traitement médiatique soit donné à ces événements. Le manque de nouvelle en cette rentrée scolaire ne constituant pas une hypothèse valable, il ne m’est resté que le phénomène de la surprotection des enfants comme explication. Au pilori, la directrice qui ose imposer un tel régime de peur. Un «monde de fous» (source)!
Je n’ai pu trouver qu’un billet de blogue du côté de ceux qui s’étonnaient d’une telle «dérape» journalistique (un blogue qui a un style particulier, j’en conviens):

«Après ça, t’écoute [sic] Dutrizac au 98.5 fm qui en fait tout un plat et qui s’entretient avec la directrice de l’école. Comme à son habitude, il essaie de lui faire dire des choses pour démontrer que c’est terrible et lui demande même : c’est une école ou un centre de détention? Wow, A+ pour l’effort sur celle-là, mon Dutrizac. Pis là, pis là, pis là…. t’as la directrice qui explique la situation puis finalement on se rend compte, comme on s’en doutait bien, que c’est pas si pire que ça! C’est d’entendre Dutrizac lui lancer chaque point négatif et d’entendre la directrice, très calme, lui répondre sur un ton, dans le genre : bien non, vous exagérez. Une belle job à la Jean-Luc Mongrain que Cyberpresse et 98.5fm ont fait!!!»

Si je veux bien croire que l’idéal est de laisser les enfants discuter quand ils mangent le midi, je ne comprends pas cette méfiance épidermique envers la discipline quand la situation le commande. Je comprends encore moins comment des médias sérieux ont pu accorder autant d’espace à quelque chose qui ne le méritait pas. Après un nombre effarant de reportages sur les enfants rois et le manque de contrôle dans les écoles, on se ligue contre une direction parce qu’elle brime le droit à la socialisation d’enfants devant se contenter de chuchoter quinze minutes par jour pendant qu’ils mangent.

Un débat dans les médias sur le droit des enfants à parler pendant qu’ils mangent… C’est moi, ou quelques médias ont un examen de conscience à faire?

Mise à jour du lendemain: Extrait du point de vue de François Cardinal, éditorialiste à La Presse (citant Égide Royer, bien connu ici): «On laisse les enfants jouer dans la cour entre le début de la pause du midi et le moment de manger comme tel, sorte de tampon permettant aux enfants de se dépenser avant de se rasseoir». La suite à «Ne bougez pas! Ne parlez pas!»…

Mise à jour du 9 octobre: Si je continue de croire qu’on a exagéré avec la couverture «du cas» de l’école Notre-Dame à Waterloo, je reconnais que l’angle avec lequel François Cardinal (éditorialiste à La Presse) aborde la question tout en élargissant le débat vaut le détour. «Écoles : plutôt que d’imposer le silence, imposons la récré» (blogue) et «La «matantisation» de l’école» (article) forment un ensemble qui soulèvent de bonnes questions.

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3 Commentaires
  1. Photo du profil de DesGeeksetdeslettres
    DesGeeksetdeslettres 12 années Il y a

    D’aucuns diront que ce genre de débat est ridicule – pour ma part je pense que tout débat et toute « bataille » pour l’éducation et l’avenir de nos enfants est un pas en avant pour plus de liberté et de démocratie.

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 12 années Il y a

    Je ne dirais pas que ce débat est ridicule, évidemment.
    Je crois plutôt que l’idée de passer par les médias pour mettre de la pression sur l’école de Waterloo spécifiquement n’est pas une bonne idée. Il est arrivé ce qui arrive souvent: la loupe grossissante des médias de masse a fait passer la direction de l’école pour plus sévère qu’elle ne l’était et on ne débat plus vraiment de ce qui est à l’origine du litige entre un petit nombre de parents et l’école. De l’extérieur au milieu où il survient ce genre de problème, c’est toujours facile de juger des politiques et règlements.
    On va facilement s’entendre sur le fait que manger est un acte social et que l’idéal est que tous les enfants dans les écoles puissent discuter doucement en mangeant. Dans plusieurs écoles, ce n’est pas vraiment possible de vivre à 150-200 dans un lieu trop exigu et de laisser faire. On doit agir pour que le niveau de bruit reste acceptable. Je suis certain que les directions et les surveillants font l’impossible pour que les règles de vie garantissent la santé et le bonheur des jeunes, dans cette école en particulier. Quand un parent (ou un membre du personnel) «alerte» les médias pour «dénoncer» quelque chose, il me semble que ça doit absolument être «très sérieux». Dans le cas contraire, on expose les enfants et la communauté éducative à un stress qui cause souvent un préjudice plus important que la situation qu’on souhaite dénoncer. Dans le cas qui nous occupe, c’est ce que je crois qui arrive.
    Débattre de tout cela, sans faire référence au cas précis de Waterloo, ça m’irait facilement.
    Mais dans l’épisode de la semaine dernière, ce n’est pas ce qui s’est passé. Même si la suggestion d’Égide Royer est intéressante, ça me paraît trop facile de jouer «au gérant d’estrade» face à la direction de l’École Notre-Dame…

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 12 années Il y a

    Au risque de vous contredire, il y a des batailles plus importantes que d’autres en éducation. Sinon, on banalise des enjeux autrement plus importants.

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