Depuis quelques jours, on parle davantage dans l’actualité de ce que François Legault ne fera pas que de ce qu’il a promis de faire, si la Coalition pour l’avenir du Québec se transforme en parti politique et qu’à sa tête, il devient premier ministre, à la suite d’une élection provinciale. Abolir les cégeps ou bien lier le salaire des enseignants à une bonne ou à une mauvaise évaluation n’est pas dans les plans, de ce que j’en sais. Mais je comprends qu’il soit plus facile de discourir dans les médias sur ces deux sujets plus polémiques que de développer les arguments des uns et des autres sur les quatre thèmes où il y a des propositions concrètes ayant le potentiel de faire partie d’un plan d’action à venir…
Je voudrais dans ce billet contribuer au débat sur la façon dont on devrait approcher l’évaluation des enseignants. J’ai déjà touché ce sujet dans des billets récents (1, 2, 3 et 4).
Un lecteur averti de ce que je publie régulièrement ici sait que je travaille avec René Larouche à documenter le rôle que pourrait jouer un Ordre professionnel pour les enseignantes et les enseignants. Les propositions qui suivent ont aussi été élaborées avec la contribution de ce professeur retraité de l’Université Laval ayant comme principal champ d’intérêt la sociologie des professions. Le tableau suivant résume l’ampleur de notre travail. La zone grise représente la contribution d’un Ordre professionnel sur ce sujet. À notre avis, une certaine évaluation des enseignants devrait se faire à différentes grandes catégories « d’épisodes de leur vie » :
- Lors de la fin des études de niveau collégial : implicitement par la cote R, et explicitement par deux tests, un portant sur le profil de carrière souhaité en enseignement et l’autre sur la réussite du test de connaissances de la langue française. Ces trois aspects conditionnent en quelque sorte leur acceptation aux études universitaires.
- À l’université, en formation initiale, par la réussite de leur formation théorique et pratique. En sortant de l’université, l’Ordre professionnel – et le public – veut avoir l’assurance de pouvoir compter sur des enseignants compétents, parce que « connaissants » tant au niveau du développement de l’humain, que dans leur domaine disciplinaire et celui de la pédagogie.
- Pendant le cheminement de la carrière : au terme de sa période d’insertion professionnelle ainsi qu’à différents moments cruciaux par l’entremise de l’Ordre professionnel des enseignantes et des enseignants.
- Items 2.1, 2.2, 2.3 : une évaluation de type normative (normes de pratique et de déontologie professionnelle) sera effectuée en privilégiant à la fois une approche préventive et formative.
- Items 3.1… à 3.6 s’il y a lieu : une évaluation « de type enquête » sera effectuée lorsqu’une plainte sera déposée formellement par un élève, un parent, la direction d’une direction d’école, etc.
- Item 4 : une évaluation de type comparative du rendement que fournit chaque enseignant en ce qui concerne le niveau de performance qu’il atteint avec ses élèves comparativement à celui obtenu par ses consoeurs/collègues qui enseignent dans la même discipline et au même échelon, dans la même école/ ou le même type d’école fréquentée :-4.1 : durant l’année scolaire en cours comparativement aux années précédentes;
-4.2 : durant l’année scolaire en cours comparativement aux autres enseignants qui font partie du même groupe de référence ( ex. français, mathématiques, etc.)
Ces deux types d’évaluation comparative permettront de déterminer si le niveau de performance de chaque enseignant se maintient, ou s’il change au fil des années soit en s’améliorant, soit en se détériorant. Lorsque la direction de l’établissement scolaire effectuera ces deux types d’évaluation comparative, elle devra nécessairement et préalablement, tenir compte entre autres du fait que l’enseignant concerné avait dans ses classes tel % d’élèves ayant un cheminement normal, et tel % ayant différentes difficultés d’apprentissage et/ou de comportement. - Item 5 : une évaluation du rapport employeur/employé, sera effectuée par la direction de l’établissement scolaire :
- en tenant compte de directives qui lui viennent de divers paliers hiérarchiques, ou organismes (ex. Ordre professionnel).
- lorsqu’il s’agira de procéder à différents types de mobilité : item 5.1- géographique ; item 5.2- horizontale ( segmentation) ; item 5.3- verticale (stratification) puisque entre l’enseignement et la direction, il existe une panoplie de rôles professionnels qui nécessitent l’acquisition de compétences de haut niveau.
- Le processus d’évaluation sera lié à un plan de formation continue. Les activités de formation continue ainsi que les organismes qui les offrent seront accréditées par l’Ordre des enseignantes et des enseignants.
- Tous les enseignants disposeraient d’un plan de formation continue lié aux résultats de leurs évaluations.
L’utilisation de ce modèle où il existe différentes formules d’évaluation des enseignants permet, d’une part, à la direction d’une école de disposer de divers types de leviers comme outil de gestion du personnel. D’autre part, il permet aux enseignants de mieux cheminer dans la planification de leur carrière notamment en ce qui concerne les processus de « segmentation » et de « stratification », sur le plan professionnel. Notons au passage que le salaire d’un enseignant ne serait aucunement lié aux résultats de son évaluation.
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Note : l’utilisation du vocable « Commission scolaire » est lié au fait qu’au moment de rédiger ces propositions, ce palier existe.
Mise à jour du 22 décembre 2011 : En novembre, Ian Murchison a publié un texte plutôt décalé sur le même sujet en insinuant que le modèle privilégié par la CAQ serait calqué sur celui de Washington. Au commentaire #7 je lui ai répondu. Je publie aussi cette réplique de Martin Legault un militant que je côtoie à la coalition et qui n’a malheureusement pas été retenue par Le Devoir.
Mise à jour du 9 juin 2012 : Je mets la main aujourd’hui sur une recherche québécoise qui affirme que « la compétence professionnelle à intégrer les TIC des enseignants en poste devrait régulièrement être mesurée » : Les futurs enseignants du Québec sont-ils technocompétents?
Mise à jour du 9 mai 2014 : Article intitulé « Le Tabou » qui évoque la parution d’un rapport commandé par le ministère de l’Éducation de l’Alberta qui ramène à l’avant-scène la question de l’évaluation des professeurs. À mettre en relief avec la réaction des enseignants et cette autre initiative commandée par le Conseil canadien des chefs d’entreprise.
Tags: "Administration scolaire" "Coalition Avenir Québec" "La vie la vie en société" "Ordre professionnel" Partageons le savoir
Merci beaucoup pour cet effort de clarification. Ça prend de plus en plus forme et on voit où René Larouche et toi voulez aller dans ce dossier. Est-ce que vous avez un texte plus long sur la question car le tableau comporte encore certains éléments que j’aimerais mieux comprendre dont notamment…
1. La notion de « superenseignant » et votre vision de la segmentation et de la stratification du corps enseignant
2. Les mécanismes à mettre en oeuvre pour procéder à l’évaluation normatives (tests standardisés?)
3. « Troisisème dimension »? « Interrelation fonctionnelle »? « Tiers connaissant »?
Peut-être cette information se trouve-t-elle dans les textes que vous avez déjà commis sur le sujet. Si c’est le cas je vais poursuivre ma lecture.
Il ne vous reste plus qu’à convaincre la CAQ du bien-fondé de votre vision.
Merci David.
Les éléments dont tu parles seront traités dans un autre texte « à venir »…
Bonjour Mario,
Je m’étonne de ne pas trouver dans votre schéma d’évaluation une référence au référentiel des compétences des enseignants publié par le MELS et qui me semble être le document qui devrait guider toute évaluation. Voir:
http://www.mels.gouv.qc.ca/dftps/interieur/pdf/formation_ens.pdf
Au plaisir,
Jean-Pierre Proulx
Cette référence aurait pu faire partie du tableau, en effet. Il faut dire que nous n’avons pas mis l’accent sur «le quoi» évaluer…
Merci Jean-Pierre.
Ajout de René Larouche : Le référentiel des compétences des enseignants, publié par le MELS, constitue un document incontournable pour guider toute évaluation. Il devrait implicitement, et en totalité faire partie du Code des normes de conduites de la profession enseignante.
Voir ici:
http://www.csrdn.qc.ca/discas/tdm.html#supervision
Nous travaillons actuellement à répondre au point #1 de ton commentaire dans des billets différents, à venir…
D’abord un mot concernant l’évaluation normative David… ton point #2.
Lorsque l’enseignement pourra devenir une véritable profession au Québec (Nous souhaitons René et moi que le retour de M. Legault en politique active soit l’occasion de cet avènement), les enseignantes et les enseignants devraient avoir à se comporter en respectant deux types de codes : le code de pratique professionnelle et le code déontologie professionnelle.
À ce moment-ci, il ne nous semble pas opportun de prévoir qu’un Ordre professionnel des enseignants et des enseignants puisse utiliser des tests standardisés pour évaluer les aspects qui feront partie de ces deux codes compte tenu du fait que ce type de mesure ne représente généralement pas la meilleure manière d’analyser de façon adéquate, efficace et efficiente, le niveau de professionnalisme ( + +, + -, – +, – – ) d’une enseignante ou d’un enseignant.
À titre d’exemple, un code de pratique ou un code de déontologie, c’est grosso modo comme un code de la route où sont indiquées les différentes manières « dites normales » de se comporter : rouler à 30, 70, 100 km./hre dépendamment des endroits; ne pas dépasser dans une courbe, etc. Les conducteurs qui se conforment aux normes mentionnées dans ce code N’ONT JAMAIS de problèmes, ni de sanctions.
CE DEVRAIT AUSSI ÊTRE LE CAS pour les bonnes/ns enseignantes/ts qui respecteront correctement les normes de conduite ( + + ) ainsi que les normes de déontologie ( + + ) de la profession enseignante. Celles et ceux dont la conduite sera cotée ( + – ) sur tel ou tel aspect devront s’améliorer; les individus ayant un ou plusieurs ( – + ) devront effectuer les corrections qui s’imposent sur l’/les aspect/s qui pose/nt problème.
Les personnes qui, de l’avis de l’Ordre des enseignantes et des enseignants auront cumulées un trop grand nombre de « points de démérite » (- -) sur l’un et/ou l’autre de ces 2 codes, ou qui se comportent de manière inacceptable ou déshonorante pour la profession enseignante se verront (après avoir franchi, s’il y a lieu, les étapes 3.3 à 3.6 identifiées dans le schéma), retirer leur carte de Membre de l’Ordre et elles n’auront plus le droit d’enseigner dans aucune école du Québec.
Il importe de noter que chaque type d’évaluation vise d’abord et avant tout l’atteinte d’objectifs centrés sur la prévention et la formation.
Pour ce qui est du point #3
Le Tiers-Instruit est un terme utilisé par Michel Serres, dont il a déjà été question ici.
Plusieurs réflexions de cet auteur peuvent s’appliquer au monde de l’éducation. En extrapolant sur les idées de Serres, trois différents types de Tiers-Instruits mériteraient d’être examinés entre autres, soit sous l’angle de leur complémentarité, soit sous celui de l’interrelation fonctionnelle qu’ils peuvent avoir au moment de la formation initiale des futurs/s enseignantes/ts, au niveau universitaire.
Le premier Tiers Instruit touche à la formation théorique, alors que le deuxième Tiers Instruit concerne la formation pratique durant les stages. Le troisième type de Tiers-Instruit est centré sur le fait que la formation initiale des enseignantes/s à l’université devra prévoir l’acquisition progressive, sur les plans théorique et expérientiel, d’une optique axée sur le développement optimal de leur professionnalisme. Sans qu’on attribue à cette troisième dimension la même quantité d’heures d’apprentissage consacrées à chacune des deux autres, il importe qu’on y consacre suffisamment de temps pour faire acquérir, de façon suffisante, les façons de voir, de penser et d’agir qui sont privilégiées notamment par le Code des professions, ainsi que par le Code de déontologie et les Normes de pratique de la profession enseignante.
René et Mario
Donc si je comprend bien, l’évaluation normative se fera à partir d’un référentiel à la fois issu du code de pratique professionnelle et du du code déontologique.
C’est l’évaluation comparative qui se fera à partir, j’imagine, des résultats des élèves à des tests standardisés? L’évaluation comparative semble être sous la responsabilité de la direction, l’évaluation normative de l’Ordre. L’évaluation comparative semble avoir plus d’importance, puisque déterminante de la mobilité de l’enseignant. Or, cela donne beaucoup d’importance à la direction puisqu’elle déterminerait en quelque sorte, le cheminement de carrière d’un enseignant, me trompe-je? Comment s’articuleront ces deux modes d’évaluation et quel poids respectif auront-ils dans l’évolution de la carrière d’un enseignant? Quelle est la place de l’expérience dans tous cela et comment cela s’articule-t-il avec l’évolution du salaire?
J’avoue encore mal saisir votre notion de « Tiers instruit ». Sans vouloir vous offusquer, cela me semble un peu jargonneux, voire ésotérique. Je vais aller voir directement dans le texte de Serres…
Merci pour vos efforts!
[…] : augmenter la professionnalisation, créer un Ordre professionnel, regarder du côté de leur évaluation pour qu’ils demeurent de bons profs, les accompagner pour qu’ils utilisent mieux le […]