Karkwa, l’ADISQ et la marchandisation de la culture

Un journaliste a demandé à trois des musiciens du groupe Karkwa, « Et puis, comment avez-vous vécu le dernier Gala de l’ADISQ? » La réponse témoigne du malaise qui ne cesse de croître dans les milieux artistiques que je fréquente. Il faut lire l’article signé par Raphaël Gendron-Martin sur le portail Canoë, « Karkwa déverse son fiel sur l’ADISQ ». Bien évidemment le fait depuis deux ans d’avoir remis le prix du Groupe de l’année à deux formations en sabbatique (les Cowboys Fringants cette année et Mes Aïeux l’an dernier) n’est que la pointe de « l’asperge » (perronisme assumé). Une sorte de marchandisation de la culture me semble avoir pris le dessus sur le respect des créateurs, des artistes et de l’art dans cette organisation dont je ne sais plus trop quoi penser; elle devrait être en avant des tendances, pas en arrière…

Je dois ici être conséquent et déclarer que depuis deux ans, je participe aux votes en amont du gala à titre de membre d’un des Jurys spécialisés et qu’ainsi, automatiquement, je deviens membre de « l’Académie des Félix du Gala ». Qu’on se rassure, je ne compte pas ajouter ce fait d’armes à mon c.v. J’avoue être de plus en plus mal à l’aise de participer à l’opération; j’étais motivé par la curiosité et j’étais flatté qu’on fasse appel à mon expertise. Au-delà de mes préférences musicales (« full disclosure »: je suis un fan fini de Karkwa), je suis sensible aux arguments offerts via l’article relatant le point de vue de ceux qui ont interrompu leur tournée à l’autre bout du monde pour être présent au gala 2011 :

« On se rend compte que l’ADISQ régresse dans sa proposition à chaque année. On a des connaissances dans le C.A. de l’ADISQ qui nous ont dit qu’il y avait deux clans: ceux qui font de la musique pour les bonnes raisons, pour l’art. Et les autres, des gérants d’artistes et producteurs, qui ne pensent qu’à l’argent. »

C’est loin d’être un problème pour moi de penser en terme de modèle d’affaires, on me comprendra… Mais je vois davantage les gens de l’ADISQ s’accrocher à l’ancien modèle d’affaires et investir bien peu de temps et d’énergie à s’adapter aux usages via le numérique. Sur ce sujet, dans une première chronique pour le Bang Bang, Guillaume Déziel (gérant des Misteur Valaire) y va d’un billet savoureux, « La culture se contrôle-t-elle? ». Un extrait…

« En effet, tout comme VM [Vulgaire Machin], je crois que la culture n’est pas une marchandise; une marchandise se compte, s’inventorie, se distribue, se transige, se vend, bref… elle se contrôle! Et la culture? Non. Elle ne se contrôle pas. La culture, c’est ce berceau d’où on vient; c’est ce souffle, cette inspiration qui nous permet de créer; c’est ce qu’on remixe à chaque fraction de seconde de notre vie; c’est un long fleuve tranquille où chaque goûte d’eau dépend de l’autre pour être un fleuve… »

Je passe beaucoup de mon temps ces derniers mois avec des artistes et des intervenants du milieu culturel. Je suis heureux de constater que « le déni » ne fait pas partie du registre des comportements adoptés face aux changement qui s’opèrent. Les répercussions engendrées par le fait que chacun génère maintenant beaucoup de contenu via le numérique, sans connaître l’informatique ou les langages de programmation sont gigantesques. Mais quand je regarde du côté de l’ADiSQ, je me pose de plus en plus la question : ces gens qui la dirige sont-ils encore dans la phase du déni, persuadés que c’est en cherchant « à contrôler » qu’on pourra prendre le virage du numérique?

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2 Commentaires
  1. Photo du profil de claudegillet
    claudegillet 11 années Il y a

    Mario, tu dis : «Une sorte de marchandisation de la culture me semble avoir pris le dessus sur le respect des créateurs, des artistes et de l’art». Je pense que cette tendance existe depuis longtemps, à l’ADISQ (évidemment, cette organisation représente l’industrie) et un peu partout dans nos sociétés. Même les publics sont contaminés
    Art, culture, divertissement, tout cela est confondu, aplati par l’ignorance ambiante, et l’ADISQ ne contribue pas à clarifier les choses.

  2. Photo du profil de RaymondMorin
    RaymondMorin 11 années Il y a

    Tout à fait d’accord avec toi, Mario.
    À l’ADISQ, non seulement on n’investit ni temps, ni énergie, à s’adapter à la nouvelle réalité du numérique, mais on se braque, et on cherche à règlementer pour contrôler à nouveau le marché. C’est s’entêter à demeurer sur ses positions et s’en tenir à un ancien modèle d’affaires qui ne tient plus la route.
    Ce que les producteurs et les distributeurs de l’ADISQ ne semblent pas avoir compris, c’est qu’avec l’accès à Internet, ils ne sont plus rois et maîtres d’une industrie dont ils avaient jusqu’alors la main-mise. Aujourd’hui avec la diversification et la mondialisation de l’offre, l’économie bascule vers une culture non-marchande. Cette offre abondante (dont les producteurs ont grandement contribué à saturer…)est aujourd’hui décuplée par le Net, et c’est désormais le consommateur qui choisit. Et, ce n’est plus nécessairement le produit qui va primer, mais la qualité de l’offre en réponse à la demande. On ne marchande plus comme avant (inboud marketing vs outbound marketing). C’est la nouvelle loi de l’économie numérique.
    Avec toutes les possibilités qu’offrent désormais le Web aux créateurs et aux artistes, ceux-ci n’ont, à priori, plus besoin des autres intervenants dans la chaîne de production et de distribution. (On comprend les producteurs de vouloir défendre ce qu’ils croyaient être des acquis…) Des artistes comme Misteur Valaire et Arcade Fire l’ont compris. Aujourd’hui, s’ils souhaitent diffuser et vendre leur musique, et atteindre leurs fans, ils doivent leur en offrir davantage (lire goodies), et miser sur la qualité de l’expérience de l’utilisateur pour qu’il en redemande.
    Aujourd’hui, le consommateur ne se contente plus d’acheter, il veut vivre une nouvelle expérience enrichissante. Et, c’est exactement ce que leurs proposent des groupes comme Arcade Fire et Misteur Valaire, qui savent se montrer créatifs, renouveler constamment leur offre artistique, et exploiter pleinement toutes les opportunités qu’offrent le Web pour rejoindre leur clientèle. Il faut leur lever notre chapeau, et continuer d’encourager leur démarche.
    Un jour, peut-être, des voix se lèveront à l’ADISQ pour faire entendre raison aux détracteurs qui noyautent encore cette organisme qui semble dormir au gaz. Sinon, les producteurs québécois vont se retrouver sur le quai de la gare, à regarder le train s’éloigner, avec nos artistes à bord. Il faudrait d’abord qu’ils se décident à acheter le bon ticket!!!

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