Note : Ce billet a d’abord été publié sur le site du Voir, dans la section « Blogues ».
Sujet complexe s’il en est un, la semaine est marquée par plusieurs annonces en matière de commerce dans le domaine du numérique. Trois événements retiennent l’attention…
Les cadeaux de Microsoft
Je suis de très près depuis plusieurs années la façon dont l’appareil gouvernemental ouvre son marché de l’informatique à la libre concurrence et on ne peut pas dire que ce soit un très grand succès. En avril 2011, je m’étais commis dans un billet (Les politiciens, les logiciels libres et l’éducation) où il était question d’une « politique-cadre sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics »…
« Dans la foulée du jugement de la Cour supérieure du Québec dans la cause Savoir-faire Linux vs Régie des rentes du Québec (RRQ), plusieurs ont eu l’impression que l’arrivée du projet de loi n°133 représentait enfin l’occasion d’assister à de bons débats sur les TI dans l’espace politique avec en trame de fond, une plus grande ouverture aux logiciels libres. Si je me fie à ces transcriptions du Journal des débats de la Commission des finances publiques pour la journée de mardi dernier, on ne peut pas dire que les réponses aux questions des politiciens sur l’importance des logiciels libres en éducation soient très claires. »
On apprenait récemment dans un éditorial du journaliste Pierre Asselin du Soleil de Québec que les seuls gestes posés jusqu’ici par les gestionnaires de l’État ont visé à les soustraire à la volonté des législateurs qui devait favoriser l’ouverture de l’administration publique au logiciel libre. Au point où il est permis de se demander de quoi le gouvernement provincial peut-il bien avoir peur ?
Lundi de cette semaine, le même journaliste nous apprend « qu’un logiciel de 669 $ est vendu 11 $ à des fonctionnaires » dans le cadre d’un programme de Microsoft. Comme en éducation où le même genre d’astuce permet à des professeurs et à des parents de se procurer à rabais des logiciels de la même grande entreprise, plusieurs racontent que l’intention derrière le programme de Microsoft est de rendre les gens « dépendants » de son produit.
« La pratique ressemble à une sorte de dumping, où on vend un article au-dessous de son prix, afin de s’assurer le monopole du marché. La multinationale parie que les jeunes qui utiliseront la suite Office pendant leurs études ne voudront pas changer de plateforme à l’âge adulte (source).»
Les feux d’artifice de Apple
Hier, comme seule l’entreprise Apple en a le secret, une conférence de presse bien moussée en amont avait lieu à New York et comptait pour réel objectif de doter toutes les salles de classe de tablette iPad. Le prétexte, le lancement des iBooks 2, iBooks Author et iTunes U :
« Comme prévu, Apple a dévoilé une nouvelle plateforme pour les manuels scolaires avec iBooks 2. La deuxième révision de l’application de livres numériques Apple supporte de nouveaux livres plus interactifs et plus à même de répondre aux attentes des étudiants. Les nouveaux livres supportent la vidéo, les contenus interactifs en multitouch, les modèles en 3D et offrent bien plus de liberté au niveau de la mise en page (source).»
En facilitant la production de manuels scolaires (par iBooks Author), Apple souhaite envahir le marché scolaire (via iTunes U), ce qui représenterait, selon plusieurs, un des derniers projets du regretté Steve Jobs, parmi ceux qui lui tenaient vraiment à coeur. Actuellement, au Québec, le secteur du livre en général comprend plusieurs maillons distincts et complémentaires… (source)
- des milliers d’auteurs qui créent des oeuvres de toutes sortes;
- plus d’une centaine de maisons d’édition qui publient des livres en tout genre;
- des distributeurs qui acheminent ces livres vers les différents détaillants;
- quelque 500 librairies et des milliers d’autres points de vente : tabagies, kiosques à journaux, grands magasins;
- un réseau de bibliothèques publiques et scolaires.
Un événement comme celui d’hier bousculera les façons de faire. Les éditeurs sont en danger. Ils le méritent peut-être n’ayant pas entrepris avec vigueur le nécessaire virage du numérique. Le système d’éducation au Québec qui subventionne fortement le livre scolaire n’est absolument pas prêt à faire face à des avancés comme celle initiée par les annonces de Apple. Les enseignants entretiennent des rapports plutôt troubles avec la technologie, mais ils seront peut-être tentés par la formule Apple. Pourtant, elle pose de grandes questions, dont celles liées aux droits d’auteurs, aux spécificités culturelles du Québec et à l’accès universel au livre comme outil d’apprentissage.
Personnellement, j’accorde beaucoup de mérite à la technologie des produits Apple.Toutefois, j’entretiens des doutes au sujet de la réelle valeur ajoutée des annonces de ce jeudi (l’idée qu’il soit possible, par exemple, que des enseignants modifient du matériel pour l’adapter à leurs besoins et à ceux de leurs élèves), malgré que iTunes U supporte la licence Creative Commons. Que dire du fait que le service de publication iBookstore empêche la distribution ailleurs ? Mon plus gros problème est du côté de l’interopérabilité du produit ultimement conçu via iBooks Author qui a probablement encore ici comme conséquence d’enfermer les utilisateurs.
La fermeture de Megaupload et la cyberguerre
Toute la semaine, nous avons été tenus en haleine par des projets de loi aux États-Unis visant à faire cesser le piratage en ligne (Stop Online Piracy Act et le projet de loi soeur, la Protect IP Act). Mercredi, plusieurs sites ont protesté en décidant de se mettre en berne ou en affichant de l’information sur le thème de la censure puisque derrière ces manoeuvres du Congrès américain, plusieurs affirment qu’on « bousille l’architecture de l’Internet d’une manière qui va saper la liberté d’expression » (source).
Au moment où un mouvement de recul semblait vouloir poindre, hier en fin d’après-midi, les autorités américaines ont procédé à la fermeture du site de partage de fichiers Megaupload. Il faut dire que ce site l’a probablement cherché. La riposte du groupe Anonymous ne s’est pas fait attendre : les sites du département américain de la Justice et de Universal Music ont immédiatement été attaqués et fermés. On parle d’un conflit d’un nouveau genre…
« La guerre 2.0 est en marche est le collectif Anonymous (déjà célèbre pour plusieurs actions à l’encontre de grosses firmes comme Playstation par exemple) est passé à l’acte. En effet, depuis l’annonce de la fermeture du site Megaupload, plusieurs sites sont « momentanément indisponibles » à commencer par le site du gouvernement lui-même (justice.gov) et le site du label musical Universal ! Une action qui n’est pas passée inaperçue chez les internautes (source). »
Un observateur intéressé, Jean-Robert Bisaillon (@iconoclaste sur Twitter), est un de ceux qui croient que plusieurs sites sont tout simplement « jugés coupables avant procès ». Encore ici, la question des droits d’auteurs (et des gros sous) est au centre de la controverse.
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Tous ces événements (le dumping, les feux d’artifice, la censure et les représailles) militent pour un maximum d’efforts à s’intéresser à ce qui anime La Toile, la gouvernance publique et l’économie numérique. De tout urgence, il importe de mieux comprendre que nos comportements via nos ordinateurs et sur Internet ne sont pas neutres.
Discussions avec nos adolescents, échanges avec nos politiciens et nos collègues puis, obligation de s’informer. Laisser-aller pourrait coûter très cher !
Mise à jour : Au sujet des annonces de Apple, cet article du Devoir, « Apple et la démocratisation de la création de livres numériques » dans lequel Clément Laberge (vice-président Services d’édition numérique de De Marque) réagit : « «Cela va donner une plus grande visibilité à ce genre de contenu», dit-il. Quant à l’industrie du livre scolaire, elle va devoir composer avec «la puissance de cet outil» et réussir à lui faire une place dans les «cadres réglementaires actuels» ». Clément promet de préciser sa pensée un peu plus tard…
Autre mise à jour d’avant fin de semaine : Semble que SOPA soit mort… Et puis ce texte (retour sur l’annonce de Apple) : « Sell Your Book in the iBookstore and Apple Won’t Let You Sell It Anywhere Else ».
Décidément… Je croyais bien le week-end débuté, mais Clément est débarqué avec sa réflexion… celle promise suite à l’article du Devoir de ce matin : « Et si Apple était devenu éditeur? ». J’adhère à 100% aux propos ! Mais ça ne règle pas tout, au contraire. Ouf… il y a beaucoup d’enjeux en cause, et beaucoup de travail devant ceux qui ne veulent pas que regarder le train passer.
Mise à jour de dimanche soir : Clément continue sa réflexion dans un autre billet où il explique davantage le fonctionnement de l’édition scolaire au Québec et les limites, dans ce contexte, de ce qui a été proposé par Apple cette semaine… Sébastien Stasse se commet lui-aussi avec « L’édition numérique selon Apple ».
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