Je n’ai pas eu « le privilège » de voter aujourd’hui sur la loi 78. Tout comme Line Beauchamp, Louise Beaudoin ou Pierre Paradis, mais pour d’autres raisons. Elle vient à peine de démissionner, l’autre, je ne sais pas comment expliquer son absence à un vote aussi important et le dernier a choisi l’esquive; moi c’est juste que je ne suis pas un élu. Pourtant, à titre de candidat Coalition Avenir Québec dans Taschereau, je me sens solidaire des neuf députés de mon parti qui ont voté POUR la « Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent ».
Pas fier, ni repentant. Juste respectueux… de mes convictions et de celles de mes collègues.
Tout de même, je me suis senti tiraillé toute la journée. Je n’éprouve plus du tout la conviction que les leaders des associations étudiantes se battent pour contrer la hausse des droits de scolarité puisque tous les étudiants (60%) qui sont issus de famille disposant de revenus d’au moins 65 000 $ ne subissent pas la hausse prévue. Je ne peux pas imaginer que le conflit perdure pour « défendre » les 40% pour qui la hausse est tangible. De l’autre côté, je suis conscient que le gouvernement a très mal géré le conflit. Il a laissé pourrir la situation, a perdu le contact avec le mouvement étudiant et a torpillé « l’entente » convenue entre tous en plein milieu du Conseil général du PLQ. On a une crise qui se vit aux portes de trop d’établissements scolaires le matin et dans les rues du centre-ville de Montréal le soir. Et on ne voit plus la lumière au bout du tunnel.
Arrive cette loi spéciale dont personne ne veut qui risque de diviser tout le monde. L’impératif du retour en classe des étudiants qui veulent étudier est opposé au désir de ceux qui se sont donnés un rapport de force via des « votes de grève ».
Nous sommes tous perdants dans ce conflit à résoudre qui dure depuis trop longtemps.
J’ai vu défiler la volonté de mon parti de ne pas souscrire à des diplômes à rabais suite au premier dépôt de la loi. Il fallait aussi assouplir le plus possible certaines dispositions qui restreignaient le droit de manifester pour agir de manière à préserver l’exercice de ce droit fondamental. Jeudi soir, j’avais fait parvenir à quelques centaines d’électeurs de mon comté (ceux dont j’ai les adresses courriels) une sorte d’appel à tous, sollicitant leur point de vue et leur fournissant le document pdf du projet de loi. Aujourd’hui vendredi, j’ai pu lire une majorité de messages allant dans le sens du projet de loi et une minorité invitant mon parti à le battre, mais sincèrement, ma décision personnelle a commencé à prendre racine jeudi soir quand j’ai entendu un autre appel à la désobéissance civile du leader de l’association étudiante la plus militante. J’espérais simplement que le travail de mes collègues députés pourrait réussir à « adoucir » un peu cette loi dont personne chez-nous et chez les autres partis d’opposition ne voulait vraiment.
Choisir de renoncer à la hausse dans les circonstances des dernières semaines se serait avéré un grand manque de jugement politique; une entente entre un gouvernement borné et des jeunes leaders ayant perdu le contrôle au profit des partisans du gel ou de la gratuité était devenu utopique. Des élections auraient été un bien meilleur choix en guise de sortie de crise, mais la loi spéciale était au menu et impossible de la contourner; il fallait voter pour ou contre.
Mon premier parti est demeuré celui de la légitimité de la hausse des droits de scolarité accompagnée des mesures pour favoriser l’accessibilité aux études universitaires.
Et puis, projeter de voter contre la loi spéciale c’était vouloir se soustraire à ses responsabilités face à la population et choisir l’intransigeance des associations étudiantes ou la voie de la facilité pour qui veut faire croire que la société peut continuer sans coup férir de défrayer 87% des coûts des études universitaires des étudiants.
Le communiqué émis par la Coalition montre la contribution des parlementaires de mon parti au moindre mal qu’est devenu la loi spéciale qui, sans les amendements que nous avons proposés, auraient pu être bien pire. Ces «gains» ne sont pas des trophées, mais ils offrent une meilleure situation que celle qui prévaudrait si la loi avait été adoptée telle qu’elle avait été proposée au départ (voici le texte final de la loi contenant les amendements).
Le dossier du sous-financement des universités et de la contribution des étudiants n’est pas clos pour autant.
Personne n’a eu l’impression aujourd’hui d’avoir réglé la question. Le gâchis du gouvernement libéral ne pourra être réparé qu’à l’occasion d’un prochain appel aux urnes et encore, le défi d’établir un véritable dialogue avec le mouvement étudiants reste entier.
J’assume le vote d’aujourd’hui, mais je ne veux plus de ce genre d’impasse avec cette frange de la jeunesse qui était – et est – invitée par certains, si peu subtilement, à la désobéissance civile. L’heure est à la recherche de solutions véritables et il faut se souvenir que tous les jeunes sont appelés à devenir notre relève.
Derrière ce qui peut être perçu comme des attaques, il y a beaucoup de maladresses, de part et d’autres. Nous avons beaucoup plus en commun que ces quelques divergences sur les moyens d’assurer la réussite scolaire du plus grand nombre. Le meilleur est à venir…
Quelques lectures complémentaires du lendemain :
- « Mon cher Léo, tu exagères », lettre ouverte à La Presse
- « L’école de la vie », chronique au Devoir
- « À conflit spécial, loi spéciale », chronique au Journal de Québec
- « Je porterai dorénavant un carré noir », billet au Voir
- « La vraie loi spéciale », lettre ouverte à La Presse
Quelques lectures complémentaires (ajout) :
- « Un beau gâchis collectif », billet sur le blogue des économistes québécois
- « Le carré de la honte », chronique au Journal de Montréal
- « Loi 78: pour le meilleur et pour le pire », billet au Voir
- « De quoi la violence politique est-elle le nom ? », billet au Journal de Montréal
Je viens de lire ton billet.
Déception.
Mais je comprends. Je comprends que maintenant, tu dois triturer ce que d’autres pensent pour entrer dans le rang.
Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’en tant qu’ex-directeur d’école, tu aurais voté POUR une loi qui limite le droit des élèves de manifester leurs opinions, à moins, bien sûr, que ces élèves soient entourés de policiers avec matraques. Cette loi, et à peu près tous les juristes le disent, risque fort de miner le droit d’association de nos élèves. C’est majeur. Pour moi, il y a des valeurs par dessus lesquelles je ne peux pas mettre de l’eau dans mon vin…
Mais je ne suis pas politicien.
En tant que directeur d’école, il m’est déjà arrivé d’agir de façon à limiter « le droit des élèves de manifester leurs opinions ». Pour un court laps de temps, dans des situations de gestions de crise. Un exemple qui me vient en tête parmi d’autres…
Au printemps 1990, les élèves de l’école où j’étais directeur du pensionnat avaient brûlé le drapeau du Canada entre la deuxième et la troisième période d’une partie de hockey où on s’était fait planter par les anglos d’Alexander Galt. Brian Mulroney s’était adressé à la nation si mon souvenir est bon (accord du Lac Meech ?) et un de mes adjoints m’avait téléphoné tard aux petites heures peu après, pour me dire que je devais prévoir me lever de bonne heure parce qu’un journaliste de la Gazette était dans l’aréna au moment où mes élèves avaient décidé de passer leur frustration sur l’Unifolié. Il n’y a pas de bons soirs pour agir ainsi, mais le moment choisi pour ce faire leur avait donné la première page dans «The Gazette». Un lendemain à gérer une crise qui n’était pas mienne m’attendait et je n’avais pas beaucoup de choix : il me fallait prendre position puisque nous étions responsables collectivement de ce qui était arrivé!
J’avais choisi d’être ferme sans être fermé.
Petit cours à tous sur ce que ça représentait un drapeau comme symbole. Et puis un autre sur comment on écrit ça une lettre d’excuse. Et enfin, cette envie de se relever, après avoir trébuché. On en avait pris plein la gueule, toute la journée dans les médias et je me souviens d’avoir exigé qu’aucun élève n’accepte de parler aux médias, sauf ceux qui avaient tenu le briquet et qui, aidés par leurs copains, avaient fini par rédiger la lettre d’excuse, la présenter aux jeunes de l’autre club de hockey en les invitant à revenir jouer chez-nous, pour montrer qu’on était capable de faire mieux qu’à l’occasion de cette malheureuse soirée. À la fin de la journée, le fait de s’être tenu debout dans l’adversité avait fini par porter fruits.
J’avais décidé de manière libre et responsable d’agir, en limitant l’expression d’opinion des jeunes parce que ce jour-là, je croyais qu’ils se devaient d’écouter, de privilégier l’introspection et de considérer le point de vue des autres.
Je te raconte ça Gilles parce que je comprends que de ton point de vue, je dois « triturer ». En étant entré en politique dans un grand parti, je prête flanc à ne plus avoir d’opinion personnelle.
Mais pourtant, la réalité est toute autre…
J’ai pris connaissance du communiqué de la CAQ. Au-delà de l’appui que ce parti a donné à la loi spéciale, ce que j’ai encore plus de difficulté à digérer, c’est le ton de banalisation qui est employé à certains endroits pour tenter de réduire l’ampleur réelle de la législation sur le plan social. Que le PLQ et la CAQ croient à ce moyen, c’est une chose. Mais ils devraient au moins avoir la décence d’admettre la pleine envergure de ce qu’ils font subir au Québec. Et ce malgré les avantages qu’ils puissent voir au choix qu’ILS ont fait. Ce serait faire preuve d’empathie et de conscience citoyenne.
Cette histoire de loi spéciale m’a redonné le goût de bloguer. Pas spécifiquement à ce sujet; de façon générale. Avis aux intéressés, j’ai rouvert un blogue: http://stephaneallaire.ca
Mario,
On est tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’une crise qui a été mal gérée depuis le début. Cette « malgestion » a connu un nouveau sommet au moment où la loi spéciale a été adoptée. Cette loi, on est en mesure d’en voir tous les effets actuellement: le remède a l’air de faire plus de mal au patient que la maladie elle-même… Ton parti, visiblement porté par son aile la plus à droite, a soutenu ce projet. Tu n’as d’autre choix que de donner l’air de suivre, même en y mettant toutes les nuances. C’est triste pour toi, mais en même temps, la vie politique doit apporter aussi son lot de gratifications. Une anecdote: mon père a été propriétaire d’une petite épicerie. Il nous interdisait de parler de politique avec les clients, il disait que ce n’était pas bon pour le commerce. Si tu t’affiches en rouge, tu perds les bleus et vice versa. J’imagine que c’est un peu comme ça quand on se lance en politique active.