On parle trop peu au Québec du fait que plus de 26 000 enseignants des écoles publiques de Chicago soient en grève depuis le début de la semaine dernière. Pourtant, certains enjeux dans ce conflit de travail ont des liens avec nos enjeux en éducation ici, au Québec.
L’entente en vigueur actuellement entre les enseignants et le conseil scolaire venait à échéance en juin dernier. Le syndicat semble dire que les négociations avançaient bien sur le volet salarial (source), mais un système d’évaluation des enseignants jugé « trop punitif », un processus de rappel – « recall » – insatisfaisant et des éléments touchant aux conditions de travail (chaleur intense dans les classes et nombre d’élèves) sont au coeur de ce qui les séparent d’une entente avec le Maire Rahm Emanuel (source).
Le conflit génère beaucoup de passion dans les médias aux États-Unis et différents observateurs expriment leurs avis sur ce qui est en cause, selon eux. Nicholas D. Kristof, par exemple, écrit que le Maire doit être appuyé dans ses négociations parce qu’il se propose d’agir sur le fait qu’une journée d’école dure en moyenne une heure de moins dans les écoles de Chicago au primaire qu’ailleurs aux États-Unis et qu’une année scolaire comporte deux semaines de moins que la moyenne nationale. En cela, l’éditorialiste du New York Times a l’impression que le syndicat appuie des performances médiocres des écoles publiques de Chicago (taux de réussite d’autour de 60% des élèves du niveau High school) et dénonce l’attitude du syndicat (source).
Un extrait du texte de l’éditorialiste a particulièrement capté mon attention…
« In fairness, it’s true that the main reason inner-city schools do poorly isn’t teachers’ unions, but poverty. Southern states without strong teachers’ unions have schools at least as lousy as those in union states. The single most important step we could take has nothing to do with unions and everything to do with providing early-childhood education to at-risk kids. Still, some Chicago teachers seem to think that they shouldn’t be held accountable until poverty is solved. There are steps we can take that would make some difference, and Mayor Rahm Emanuel is trying some of them — yet the union is resisting. »
Pendant que M. Kristof plaide pour des enseignants mieux rémunérés, travaillants dans de bonnes conditions, mais acceptant de ne pas protéger indûment ceux qui ne font pas le travail adéquatement, d’autres observateurs déplorent la perception selon laquelle les enseignants feraient la grève parce qu’ils seraient paresseux et uniquement motivés par les gains. Diane Ravitch est l’une de celles qui voient dans ce conflit un profond décalage entre la vision du maire et celle de la présidente du syndicat…
« The strike is a clash of two very different visions about what is needed to transform the schools of Chicago—and the nation. »
Selon Mme Ravitch, il y aurait d’un côté la vision du secrétaire à l’Éducation du Président Obama, Arne Duncan (ancien directeur des Écoles publiques de Chicago), qui souhaiterait abondamment utiliser les résultats des étudiants aux tests standardisés pour évaluer les enseignants, ouvrir la porte à la paye aux mérites et à une plus grande concurrence entre les écoles par la formule des écoles à charte ou des bons d’éducation. De l’autre côté, la vision des syndicats est faite de classes plus petites, d’une augmentation du nombre des professionnels de type travailleur social; dans le texte de Mme Ravitch il est aussi question de « air-conditioning in the sweltering buildings where summer school is conducted » et de « full curriculum, with teachers of arts and foreign languages in every school ».
Un observateur du Huffington Post croit que le conflit va rejoindre la campagne électorale américaine parce qu’il serait de notoriété publique que ce conflit est représentatif d’une série de confrontations entre les syndicats d’enseignants et l’administration Obama.
L’impact au Québec des enjeux de ce conflit me semble intéressant. Jamais dans les propositions en éducation de la Coalition Avenir Québec n’a-t-il été question de paye aux mérites même si le sujet de l’évaluation des enseignants était sur la table. Pourtant, je parie qu’on se servira de ce conflit à Chicago en faisant l’amalgame entre les propositions du Maire Emanuel et celles de François Legault.
S’il y a quelques choses en commun entre le Québec et ce conflit en Illinois me paraît être cette volonté d’agir sur les 5 pour cent d’enseignants inefficaces (l’ex-président de la CSQ parlait de 5% de « bois mort ») des deux côtés, au Québec et à Chicago. Une étude affirme l’importance de « l’effet enseignant » et il est étonnant que l’expression de la volonté de se donner les moyens de mieux supporter le développement professionnel des enseignants soulève autant la grogne des syndicats.
J’ose espérer qu’on saura reconnaître les grandes différences entre les propositions de François Legault et celles du Maire de Chicago et surtout, qu’on saura au Québec éviter l’approche conflictuelle quand viendra le temps – le nécessaire moment – de s’entendre sur de réels mécanismes d’évaluation des enseignants.
Le cas des écoles publiques de Chicago porte à penser qu’il est difficile d’agir sur « l’effet enseignant » pour augmenter la qualité de l’éducation sans engendrer de conflit avec les syndicats d’enseignants. Je souhaite que nous puissions faire la preuve d’ici peu de temps au Québec que c’est possible de le faire, dans le dialogue, le débat public ouvert, en discutant du contenu des propositions sur la table, non des perceptions ou en faisant de faux rapprochements.
Nous pouvons le faire…
Mise à jour du 18 septembre : Les enseignants ont mis fin à leur grève.
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Merci d’avoir rapporté cette nouvelle. Je l’avais manquée. Je suivrai la chose dans la mesure du possible.
Je n’ai pas encore lu sur le sujet, mais une chose me semble certaine, l’évaluation des enseignants NE DOIT PAS être fondée sur les résultats des étudiants aux tests standardisés pour évaluer les enseignants. J’ai peur que les examens standardisés soient associés à trop de problèmes… Le premier et le plus important: le système inviterait pratiquement les enseignants à se concentrer sur les standards et à calculer leurs interventions en fonction de l’action la plus payantes en terme de reconnaissance et de scores à l’examen…
Par contre, je suis très ouvert à la « professionnalisation » d’enseignant…
Encore merci d’avoir rapporté cette nouvelle.
J’abonde dans le sens de Patrick et des possibles effets pervers qui risquent de transformer la pratique en du « test to the test » dont on a voulu s’affranchir avec la réforme. Pour avoir travaillé pendant cinq étés à la sanction des études au MELS comme correcteur de l’épreuve de cinquième secondaire en français, je peux confirmer que cette pratique est plus que tentante. Dans ce cas, les enseignants ne sont pas formellement évalués par rapport à la performance des élèves mais si la pression du seul regard informel d’autrui a un tel effet, on peut imaginer ce que ce serait avec un cadre formel…
Comme je le disais hier soir sur Twitter, l’autoévaluation devrait ētre au coeur de toute démarche que je qualifierais non pas d’évaluation mais de développement professionnel. Le principal rôle d’une direction devrait ētre de fournir des ressources, sur la base de ce qui est demandé par les enseignants, en fonction de besoins qu’eux identifient ou demandent à leur direction voire à des collègues d’identifier.
Par ailleurs, avant de se lancer dans la création d’une autre structure qui, si je comprends bien, viserait réellement 5-10% des gens, pourquoi ne pas envisager d’autres voies? D’autant que la base du modèle que la CAQ euphémise va à contre-courant de modèles les plus prometteurs.
Enfin, d’un point de vue intervention éducative, j’ai l’impression qu’on cherche à faire avec les enseignants ce qu’on sait depuis des lustres qui ne fonctionne pas sur le long terme avec les élèves: agir essentiellement sur la motivation extrinsèque. Beau paradoxe!
L’entente entre les enseignants de Chicago et la municipalité vient d’être entérinée (79% des votes en faveur)…