Je me souviens des combats menés par l’ADISQ dans les années 2007-2008 pour réglementer l’industrie du disque soumis alors aux nouveaux mécanismes de production, de reproduction et de distribution de la musique, rendue possible par les avancées technologiques du moment, qui venait remettre en question « la mécanique de rentabilité de ce marché ». Je me souviens de la lettre ouverte écrite par Sylvain Carle (alors jeune entrepreneur, maintenant chez Twitter) qui voulait qu’on puisse faire la différence entre une « association québécoise de l’industrie du DISQUE et l’industrie qui était véritablement concernée, celle de la MUSIQUE.
Il y avait alors confusion entre le support et le contenu. À ce moment, dans le domaine de la musique, les lobbys ont beaucoup défendu le support (le disque), alors que le contenu (la musique) trouvait d’autres façons de se rendre jusqu’aux oreilles des mélomanes. Sylvain écrivait…
« Il me semble que l’industrie de la musique a son avenir tout tracé dans les fondements de ce qu’elle est réellement. Ces facteurs qui ne changent pas : le travail de découverte des talents, le talent lui-même des auteurs, compositeurs, interprètes et techniciens, la performance en spectacle et la promotion des artistes. Au contraire, les technologies de production et les réseaux ouvrent des portes incroyables et permettent une multitude d’opportunités qui n’auraient pas pu exister auparavant. »
Je me souviens qu’en février 2013, le débat sur ces questions était encore d’actualité, cet article de Guillaume Déziel en témoigne.
« Les créateurs souffrent aujourd’hui des effets pervers d’une infantilisation qui date de l’âge d’or du « record ». Leur incompréhension du système, dans lequel ils œuvrent, m’est apparue évidente au terme de ces 48 heures de discussions. On ne peut cependant pas leur en tenir rigueur, car le manque de transparence de leur industrie a, durant de trop longues années, fait d’eux les victimes d’un système créé vraisemblablement à leur désavantage. D’ailleurs, on s’en rend mieux compte aujourd’hui, maintenant que les profits sont moins au rendez-vous. »
De mon point de vue, c’est dans ce contexte que débutera ce lundi 19 août, les consultations particulières et auditions publiques sur le document intitulé : « Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques ».
À l’origine de cet événement politique qui interpellera les parlementaires, une demande de l’industrie du livre, « Nos livres à juste prix ». Les dix prochains jours seront intense si on en croit cet article de l’agence QMI.
Dans les derniers douze mois, de nombreux intervenants ont fait connaître leur position, dont récemment, Renaud-Bray et Québec Amérique (contre la réglementation proposée du prix de vente des livres); sur son carnet, Gilles Herman (Éditeur et directeur général au Septentrion, « pour » cette même réglementation) offre d’ailleurs sa réponse à Jacques Fortin (Président des éditions Québec Amérique).
S’il faut promouvoir la lecture et la littérature (tous s’entendront sur ce point), je me demande jusqu’à quel point il faut appuyer les revendications du lobby du livre ?
J’ai récemment commenté quelques billets chez Clément Laberge (1, 2, 3, 4, 5) qui portent sur le sujet (il est pour la réglementation proposée) et je me pose de grandes questions sur les motivations des éditeurs, à l’intérieur du lobby du livre.
Faut-il se ranger aux arguments des éditeurs qui plaident qu’une guerre des prix sur les «best-sellers» rend impossible la conservation d’un bon réseau de librairies qui proposent, eux, un grand choix de livres ? Faut-il croire que le présent combat des éditeurs est celui de l’accessibilité au livre pour les lecteurs et que seul le maintien de l’écosystème actuel de tous les intermédiaires permettra aux éditeurs de mieux diffuser les nouveautés ?
La bataille actuelle des éditeurs est-elle la même que celle de l’ADISQ autrefois ?
J’ai lu les résultats du Sondage sur la réglementation du prix des livres commandé par l’Institut économique de Montréal (qui est contre la réglementation proposée) et j’ai aussi lu les douze premiers mémoires déposés à l’Assemblée nationale et je me sens prêt à entreprendre les travaux qui débutent lundi, à une exception près, je dirais. Je n’ai pas de réponse satisfaisante à la question
Sont-ils aussi « gros joueurs » qu’au moment où Aurélie Filippetti (ministre de la Culture en France) déclarait « qu’il n’y avait pas de littérature sans éditeur » ?
Il me semble que la question mérite d’être posée (1, 2) …
Certains observateurs pensent que non, dont Susanna Lea ou Serge-André Guay de la Fondation littéraire Fleur de Lys qui s’exprime en ce sens dans ce texte, La littérature national… isée !.
Histoire de compléter ma préparation, je m’en vais relire du François Bon (1, 2), histoire d’apprendre de celui qui est souvent considéré comme « un agitateur dans le petit monde fermé de l’édition »!
N.B. J’ajoute une autre question à celles que je me propose de conserver dans mes dossiers cette semaine : « Les magasins à grande surface représentent-ils pour l’industrie du livre au Québec une aussi grande menace que l’on pourrait le croire ? »
Ajout : Ce billet a été suivi de plusieurs autres… dont « Ma rentrée parlementaire », « Réglementer le prix du livre : un effet psychologique » et « Quand on ne cherche pas à développer, on freine ! ».
Mise à jour du 16 octobre : « Marie Laberge change d’avis quant au prix unique du livre », sur vidéo ou via un article.
Mise à jour du 29 octobre : Le moins qu’on puisse dire… Marie Laberge est assez proactive en terme de remise en question de « la traditionnelle chaîne du livre ». À lire, Au Devoir, dans « La «trahison» de deux auteures à succès ».
Tags: "...à où je m'en vais" "Coalition Avenir Québec" "Le livre les lecteurs et le numérique" "Plan Numérique"
Salut Mario,
Je me réjouis que le livre et la lecture soient au coeur de l’actualité en cette rentrée automnale. Et tant mieux si cela devient objets de débats. Parlons de livres et de lecture… il en restera toujours quelques choses!
Quelques réactions spontanées à ton texte:
– Tu te demandes si la bataille du « lobby du livre » est la même que celle que l’ADISQ a menée autrefois. Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait d’abord rappeler la bataille que menait alors « l’industrie du disque ». Je crois qu’on verra alors aisément qu’on ne parle pas du tout de la même chose.
– Tu te demandes aussi si les éditeurs sont aussi « responsables » de la littérature qu’auparavant (si je comprends bien ta question). Chacun peut sans doute avoir sa propre réponse à une telle question, mais je pense que cela dépasse largement le contexte de la commission parlementaire, qui concerne essentiellement la possibilité de réglementer le prix des livres neufs. Je ne vois pas de raison d’opposer dans ce cadre l’édition « avec » ou « sans » éditeur. Et je réitère que je me réjouis sans nuance du développement d’une multitude d’outils qui permettent aux gens de diffuser leurs écrits sans devoir passer par les éditeurs — et que ce n’est pas la question ici.
On peut déplorer que la question sur laquelle on est invité à se prononcer la semaine prochaine soit aussi spécifique, mais c’est ça qui est ça. Et tant mieux si on a éventuellement un autre cadre pour débattre plus largement des défis auxquels fait face cette industrie. En attendant un tel contexte, il faut continuer d’avancer dans la réalité, sur le terrain, pour la faire avancer.
– Je pense par ailleurs que tu fais dire un peu facilement à Susanna Lea que le rôle de l’éditeur est moins important qu’il ne l’était. Certes, « le numérique impose de nouvelles relations auteurs-éditeurs » — c’est indéniable, mais elle rappelle aussi qu’il est nécessaire d’établir de nouveaux rapports de forces avec les géants de l’industrie du livre. Je la cite, dans Le Monde:
«Il y a très peu d’auteurs, à qui le modèle Amazon peut correspondre, seuls ceux qui sont « maverick » (francs-tireurs) », note Susanna Lea qui dirige l’agence Susanna Lea Associates, présente en France et aux Etats-Unis. « Comme Amazon est un acteur mondial incontournable, il faut surveiller de près cette nouvelle expérience, mais pour l’instant, Bezos ignore, voire nie le savoir faire éditorial, technique et commercial des éditeurs », poursuit-elle. » (source).
Tu noteras aussi qu’un des principaux auteurs représentés par Susanna Lea s’est prononcé en faveur de la réglementation. Voir le texte de Marc Levy ici.
– Tu t’interroges finalement à savoir si « les magasins à grande surface » sont une menace pour l’industrie du livre. Ma réponse est évidemment non! C’est commerces sont devenus des rouages importants de la diffusion du livre et cela correspond à des changements réels dans les habitudes de consommation de plusieurs lecteurs. Même chose pour la vente par Internet et pour Amazon. Ce sont leurs pratiques commerciales actuelles qui constituent une menace pour l’industrie du livre, pas leur existence. C’est plus qu’une nuance, c’est fondamental. L’industrie ne propose pas sortir les livres des magasins à grande surface, elle propose seulement d’encadrer leurs pratiques commerciales de manière à ce que leur succès ne mette pas inutilement en péril des commerces qui répondent à d’autres types de besoins jugés qui apparaissent par ailleurs essentiels.
Sans compter qu’il y a aussi des enjeux économiques importants derrière ces questions en apparence abstraites: des retombées économiques et des emplois auxquels il faudra aussi que les députés s’intéressent. Ce à quoi la CAQ devrait, il me semble, être particulièrement attentive et que je m’étonne de ne pas retrouver dans ton texte.
De la même façon, pour ce qui concerne le livre numérique (sur lequel portera exclusivement mon intervention), il ne s’agira pas d’opposer Amazon, Apple, Kobo ou d’autres géants aux « petits libraires » — ou de faire des premiers des « méchants » et des seconds des « gentils ». Il s’agit plutôt s’assurer qu’il existe « à côté des géants » un espace pour que de plus petits acteurs puissent se développer et innover avec des modèles alternatifs de production et de diffusion d’oeuvres littéraires. C’est d’ailleurs ce que réclamaient Sylvain Carle, si je me souviens bien, et que réclame toujours Guillaume Déziel, il me semble. Dans l’esprit, en tout cas. J’espère qu’il me reprendront si je déforme leur pensée.
J’ose en terminant renverser la question qui nous est posée par la commission parlementaire: comment crois-tu que ne pas réglementer le prix des livres pourra aider le monde du livre (au sens large — pas que « le lobby », comme tu le décris) dans les bouleversements qui accompagnent l’avènement du numérique? En d’autres termes, en quoi / pourquoi le contexte actuel est-il préférable à un contexte où le prix des livres serait réglementé?
Clément, tu écrivais qu’il faudrait d’abord rappeler la bataille que menait alors « l’industrie du disque ». Aujourd’hui, Guillaume Déziel est venue présenter sa position à l’Assmblée nationale dans le cadre du début des consultations. Je trouve qu’il fait ça mieux que je ne pourrais jamais le faire…
http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-47125.html (Vidéo de 41 minutes).
Je poursuis la conversation au moment où se termine cette deuxième journée de commission. Le sujet de nos discussions porte encore sur le projet de règlement très spécifique « Nos livres à juste prix », mais je sens que c’est devenu le prétexte pour discuter de manière plus large du vrai sujet : la meilleure façon de protéger la bibliodiversité.
Tu sais déjà que hier, ma formation politique a pris position contre le règlement proposé de fixer le prix des nouveautés pour une période de neuf mois et qu’une remise légale de 10% soit possible pendant cette période. Aujourd’hui seulement, Blaise Renaud (des Librairies Renaud-Bray), François Colbert (Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux HEC Montréal) et Marc Alain (Groupe Modus) sont tous venus dire aux membres de la Commission que le projet de règlement sur la table ne tenait pas la route et ne produirait pas les effets escomptés pour consolider le réseau des petites librairies indépendantes et la diversité dans la littérature québécoise.
Si la proposition de la Table du livre a du plomb dans l’aile, le souci de la bibliodiversité est bien présent dans la tête de tous. Les discussions constructives des intervenants de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale autour de ce sujet qui semble faire consensus se poursuivront demain.
D’ailleurs, j’ai très hâte au moment de ta présentation. Sache que j’ai vu apparaître vers 17 h ton mémoire sur l’intranet de l’Assnat; les députés auront eu le temps de le lire avant ton intervention…
Un mot sur les « magasins à grande surface ». Je constate au fil des discussions qu’ils font partie de la solution et non du problème. Je vois encore plus clairement comment limiter leur possibilité d’offrir des rabais va diminuer leur chiffre d’affaires dans le marché du livre et diminuer de manière importante les profits des éditeurs et des distributeurs/diffuseurs, ce qui va les obliger à augmenter le prix des livres dans toutes les librairies, au détriment des lecteurs et de la culture. Je ne suis pas seul à être persuadé que ceux qui magasinent dans les grandes surfaces ont un mode d’achat (impulsif) qui n’est pas du tout le même que ceux qui magasinent dans une librairie. Rendre le livre plus cher le rendra moins accessible, c’est certain. Il n’y aura pas de migration des clients des grandes surfaces aux librairies.
Il faut trouver d’autres solutions.
Internet est une « menace » (et un défi) pour les librairies et les éditeurs bien davantage que les grandes surfaces le sont. Brader leur capacité à offrir les livres aux lecteurs qui choisissent cette façon d’acheter ne servira ni les intérêts des lecteurs, ni ceux des petites librairies indépendantes.
Il faut augmenter la visibilité des livres et Internet est le chemin à suivre. Il faut aussi regarder du côté des marchés de niche et de la segmentation.
L’objectif de préserver et d’augmenter la diversité dans la littérature québécoise est trop important.
Je t’écouterai avec attention.
Merci Mario de poursuivre/relancer l’échange. Cela contribue à étendre la portée de la Commission, dans un cadre moins formel — plus ouvert — et cela peut aussi participer à l’identification de nouvelles pistes de solution qui tiendront compte des perspectives de chacun.
Comme tu as probablement déjà lu le mémoire que je présenterai demain, tu sais que je vais tenter de limiter mon propos au cas du livre numérique (ce que j’avais déjà annoncé sur mon blogue d’ailleurs). Ça me semble nécessaire parce qu’il faut vraiment prendre le temps d’expliquer un peu mieux de quelle façon ce marché, encore naissant, est fondamentalement différent de celui du livre imprimé.
Plusieurs éléments de ton commentaire me font réagir, mais inutile à ce stade de faire du point par point… On s’entend sur le fait que l’essentiel est d’augmenter la visibilité des livres, sous toutes ses formes (et j’ajoute: à plus forte raison qui sont ceux publiés par les éditeurs d’ici).
Tout ce qui permet de contribuer à l’atteinte de cet objectif et qui peut faire l’objet d’un certain consensus mérite notre attention.
Gardons par ailleurs à l’esprit qu’il faut néanmoins rester prudent lorsqu’on prend le risque de comparer, voire d’opposer, des points de vue personnels et des prises positions collectives qui ont fait l’objet de longs échanges, de négociations, de compromis et qui témoignent de l’interdépendance des acteurs d’un marché.
À demain.
Mon point de vue est que les grandes surfaces ne distribuent que le contenant peut importe le contenu, du moment que cela soit retable. Ils ne prennent aucuns risques. Elles profitent en somme du travail des autres. C’est leur seule implication dans le monde littéraire.
Les petites librairies et petits éditeurs se consacrent plus au contenu et à la diversité. Elles comptent sur les profits faits sur les « Best Sellers » pour se permettre d’offrir des livres pas nécessairement « rentables », d’offrir de la diversité et de la nouveauté.
C’est sûr que cela revient plus cher pour le consommateur. Mais c’est comme dans tout, il en faut des milliers pour qu’un ne sorte du lot. À l’achat d’un « Best Seller », on investi indirectement dans le futur de l’industrie. C’est ce que le consommateur doit comprendre. Car l’argent économisé par le consommateur ne sera pas de l’argent réinvesti dans l’industrie littéraire (je ne crois pas à l’hypothèse que l’argent économisé sur un livre permettra d’acheter un autre livre, et même si c’était le cas, ça serait l’achat encore d’un autre « Best Seller » acheté au même endroit, ça tourne en rond). Il y aura donc une perte de revenus pour toute l’industrie, donc moins de ressources pour la diversité et la recherche de nouveaux talents.
J’ai rarement vu une structure à laquelle ont enlevait des moyens (argent) se mettre à offrir plus de service à ses consommateurs…
Et pour ceux qui ne peuvent s’offrir le coût « exorbitant » d’un livre peuvent toujours compter sur les bibliothèques, cela fait parti de leur mission.
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