Un filibuster en règle ?

Le projet de Loi qui officialise la création du nouveau ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie a été déposé le 15 mai 2013. Depuis l’élection le 4 septembre 2012 d’un gouvernement du Parti Québécois, le MESRST fonctionne grâce à un décret adopté le 20 septembre 2012. En date d’aujourd’hui, plus du deux tiers de l’étude article par article du Projet de loi #45 est complété.

Cela dit, jeudi dernier, le gouvernement a publié un communiqué qui n’a été repris dans aucun média, citant le ministre Duchesne qui accuse les oppositions d’obstruction parlementaire…

« De toute évidence, les libéraux et les caquistes se livrent à un filibuster en règle pour des raisons que je ne comprends pas. Il ne s’agit pas ici de politique, mais simplement de donner une existence juridique à un nouveau ministère créé par un gouvernement démocratiquement élu en septembre 2012. »

« Un filibuster en règle »… voyons donc !

J’étais présent à la très grande majorité des séances de travail en commission parlementaire qui ont débuté le 6 juin 2013. J’y ai accompagné le député Stéphane Le Bouyonnec, notre porte-parole en matière d’enseignement supérieur, de recherche, de science et de technologie. Dans ses remarques préliminaires du 6 juin 2013, le député de La Prairie a bien entendu offert sa collaboration pour faire adopter le projet de loi et il a même ajouté que la Coalition Avenir Québec respectait la prérogative de la première ministre de former un Conseil des ministres qui comprend deux ministres en éducation, un pour le préscolaire, primaire et secondaire et un autre pour le collégial et l’universitaire.

Notre formation politique entretenait cependant des réserves sur le détail de la loi constituant le nouveau ministère pour « le supérieur », que nous trouvions très académique et peu axé sur le développement économique, l’innovation et le commerce extérieur, dimensions extrêmement importantes de la chaîne de valeur entrepreneuriale. On connaît les difficultés de ce gouvernement avec l’économie; ce projet de loi tel que rédigé au départ en est l’exemple le plus évident…

Nous avons donc entrepris l’étude article par article avec une assez bonne liste d’amendements, dont plusieurs ont été adoptés dans les articles de la loi où il est question de la mission du MESRST et des fonctions du ministre. Nous avons apprécié l’ouverture du ministre qui semblait même assez ravi de l’amélioration de « son projet de loi ». Les députés du PLQ qui siègent avec nous dans cette commission parlementaire semblaient eux aussi préoccupés par l’absence relative d’une vision économique dans ce nouveau ministère, d’autant qu’il absorbe un portion de l’ancien MDEIE de l’ère précédente.

Je ne dirais pas que les travaux ont progressé à vitesse « grand V » dans la trentaine d’heures d’étude du PL 45, mais les échanges sont demeurés assez courtois et surtout, très très peu d’interventions étaient hors-sujets. D’ailleurs, le ministre a eu sa grande part de discours loin du sujet, attaquant souvent les libéraux sur sa mauvaise gestion de la crise étudiante du printemps 2012. Il ne s’est pas privé de taper sur ce clou dès que le ton du débat devenait un peu plus partisan…

Lors de la récente séance de travail du 10 octobre 2013, quelques minutes à peine après que le communiqué ait été publié, le climat a radicalement changé. Le nouveau porte-parole libéral (Pierre Arcand a remplacé dernièrement Gerry Sklouvanos) qui tient autant que nous à ses demandes ne m’était pas apparu hors sujet jusqu’ici, mais les trois heures qu’ont duré les échanges ont beaucoup porté sur le geste déplorable d’accuser les oppositions de filibuster. Le ministre s’est lui-même « auto-filibusté », s’éloignant du sujet du projet de loi à plusieurs reprises.

Dans l’étude de d’autres projets de loi, j’ai vu les libéraux prononcer délibérément de très longs discours, se servant de tous les temps de parole que le règlement leur permet (exemple : le projet de loi #14, « Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne et d’autres dispositions législatives »). De ce que j’ai vu, rien de tel dans l’étude du projet de loi #45.

Je ne peux présumer des intentions du PLQ, ne pouvant me fier qu’à ce que j’observe des interventions en commission parlementaire. Si parfois, le rythme des échanges est lent, rien ne m’indique une volonté claire de paralyser le cheminement du projet de loi constituant le nouveau ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Tout au plus, une certaine persévérance/obstination à obtenir les améliorations recherchées. Ce n’est pas ce qu’on appelle filibuster un projet de loi. Dans un communiqué émis en réponse à celui du ministre, le PLQ dénonce l’accusation et exige des excuses…

De notre côté, je sais, évidemment, qu’il n’y a aucune mauvaise intention. Il est facile de consulter les archives des délibérations qui confirment que nos contributions visent la bonne marche des travaux. J’en aurais long à dire, même, sur des démarches hors commission qui prouvent notre bonne foi.

L’arrivée soudaine de ce communiqué, dans ce contexte de rumeurs électorales, veut probablement dire que le ministre a peur de manquer de temps pour que son ministère soit officiellement créé. En agissant ainsi, le gouvernement tente de se donner bonne bouche en imputant aux oppositions l’odieux de n’avoir pu, en treize mois, se donner un vrai ministère.

Il n’en est rien.

Si le ministre pensait faire adopter sa loi en quelques heures, sans débat ni modification, il est le seul à blâmer.

Tout cela pour dire qu’en invoquant l’obstruction parlementaire pour rien, le ministre Duchesne emprunte la pire des chemins pour obtenir des résultats concrets de ce gouvernement minoritaire. C’est à se demander, maintenant, s’il tient vraiment à faire progresser son projet de loi ?

Il faut croire, avec ce geste du Parti Québecois, que la préparation de la prochaine campagne électorale devient la priorité numéro un, au détriment du menu législatif, auquel on aurait pu croire que le gouvernement tenait beaucoup.

À suivre…

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