Note : Ce billet a d’abord été publié au Huffington Post Québec dans la section « blogue ».
Au Québec, l’année parlementaire 2013 aura été marquée par un seul grand débat touchant le secteur de la culture : une consultation sur le projet de légiférer pour fixer une limite de 10% sur les rabais maximum pouvant être offerts sur l’achat d’un livre neuf (pendant neuf mois), imprimé ou numérique.
Le gouvernement péquiste étant minoritaire, il y a peu de chance que le prix des livres neufs soit réglementé à court terme, puisque deux formations politiques regroupant une majorité de députés se sont prononcés contre un tel projet.
Pourtant, un très grand nombre de participants aux consultations ont mentionné que le domaine du livre en général au Québec devait s’ajuster à la montée du commerce électronique et devait mieux composer avec un virage numérique qui touche tous les intervenants de la chaîne du livre. J’ai beaucoup écrit sur le sujet (1, 2, 3, 4, 5, 6) et le rayonnement de ces billets m’a donné l’occasion de rencontrer plusieurs intervenants qui investiguent sur de nouvelles façons de faire. Plusieurs pistes intéressantes sortent du stricte cadre d’un débat grandes surfaces vs petites librairies et elles me paraissent beaucoup plus porteuses pour la lecture, la littérature, la bibliodiversité et l’écosystème économique du livre. Mon billet sur le BookCampMontréal de novembre dernier allait en ce sens. Il faut se le répéter… nous aurions été bien mieux servis par une commission parlementaire sur les nouveaux enjeux qui émergent autour du domaine du livre et comment chacun des maillons pourrait mieux y faire face.
L’une des pistes intéressantes réside dans l’utilisation de plateformes numériques pour offrir un nouveau type d’accompagnement et de soutien aux auteurs pouvant leur permettre un accès plus rapide aux revenus tirés de leur travail de création littéraire. Dans une récente rencontre avec Dominic Goulet de l’entreprise Book’N, je me suis fait expliquer comment une jeune entreprise de type « start-up » comptait proposer bientôt à trois éléments clés de la chaîne du livre une expérience de création et de commerce différente de celles offertes actuellement dans l’écosystème traditionnel. Le jeune entrepreneur veut « rallier la passion de l’écriture » et « la dure réalité du contexte de la publication » de certains qui voudraient vivre du métier d’écrire !
Le site www.bookn.co est prometteur :
Pour un auteur, c’est un lieu numérique pour créer. Il s’agit d’abord dans Book’N de proposer le projet d’un premier chapitre d’un livre à une communauté de lecteurs. Dès ce moment, l’auteur commence à recevoir des feedbacks, dont certains plus professionnels, venant de pairs (autres auteurs et éditeurs inscrits dans la plateforme), en plus de ceux donnés par les lecteurs. Ensuite, le dépôt du premier chapitre d’un ouvrage qui demeure en construction est offert aux lecteurs, toujours gratuitement. À partir de là, chaque lecteur peut acheter la suite de l’oeuvre à très bas coûts, un ou des chapitres à la fois. À terme, un lecteur pourra se procurer le livre au complet, en format numérique seulement. Selon M. Goulet, on vise un coût de moins de 1$ du chapitre (le premier est toujours gratuit) et à peine plus élevé que 10$ pour le livre en entier.
Pour un éditeur, c’est un lieu de découvertes et d’accompagnement d’auteurs. Se servant de Book’N en tant que support numérique à la création littéraire, l’éditeur pourra mieux faire son travail d’édition vers l’imprimé et permettra aux auteurs recrutés de mieux financer le travail en amont d’une oeuvre imprimé achevée.
Pour un lecteur, c’est l’occasion de lire, bien sûr, mais c’est surtout l’expérience de participer davantage au processus créatif littéraire. En participant à la construction d’une oeuvre et à son financement, un lecteur développe un engagement différent.
Dominic Goulet et ses trois partenaires (Marc-Alexandre Barbe, Damien Van Der Windt et Virgil Lévesque-Prévost) prévoient ouvrir la plateforme le 8 janvier 2013 en version beta, à une centaine d’auteurs et davantage de lecteurs. Au printemps 2013, le site serait ouvert à tous, toujours en version beta. Un des volets particuliers de cette future plateforme serait de favoriser l’émergence de livres exploitant toutes les possibilités du numérique où une multiple d’hyperliens mèneraient à des contenus vidéos, images ou sons, enrichissant l’expérience des lecteurs. Ce serait aussi une façon d’agir concrètement contre l’analphabétisme en proposant des ouvrages spécialement conçus pour ceux qui éprouvent des difficultés à lire. Book’N ne produira pas d’ouvrage imprimé, mais souhaite offrir aux lecteurs une quantité de livres numériques.
L’idée de ce projet est née pendant l’événement Startup Weekend Québec tenu en novembre dernier. La formulation d’un problème à résoudre a conduit à la présentation d’une solution et à l’élaboration d’un concept…
Startup Weekend Québec 2013 : Entrevue avec les organisateurs Auteur : Québec numérique sur Vimeo.
S’en est suivi un appel aux auteurs, une étude de marché et la création de la petite entreprise. Pour le moment, Book’N s’adresse à des francophones, mais cette présentation en anglais traduit la volonté des promoteurs de se tourner rapidement vers le marché anglophone…
Je sais bien qu’à elle seule, cette idée ne résoudra pas tous les problèmes des petites librairies en difficulté. Comme il est mentionné dans cet excellent article « How to save local bookstores in two easy steps », le défi des libraires consiste à reconnaître que le modèle d’affaires actuel sera bientôt périmé et qu’il devient urgent « d’embrasser » l’âge numérique. En prenant conscience de ces nouvelles expériences qui sont menées actuellement dans le domaine du livre, les librairies sauront mieux comment s’adapter pour offrir une valeur ajouté dans leurs établissements et cesser de tout vouloir miser sur un prix nivelé artificiellement.
Avec la montée du commerce électronique et l’émergence du numérique, le prix de vente des livres défavorisera toujours les petites librairies. Il leur faut immédiatement offrir aux bouquineurs des avantages clairs les incitant à fréquenter ces hauts-lieux de culture. Une visite dans une librairie doit se distinguer d’une simple transaction pour s’offrir un livre. Le numérique change l’avenir des livres et des libraires… à eux de profiter des opportunités !
Au niveau politique, une façon d’aider tous les intervenants de la chaîne du livre serait de reconsidérer une partie des crédits d’impôts actuellement offerts aux entreprises et de les utiliser comme leviers pour l’innovation. Par exemple, on pourrait encourager chez les entreprises du genre de Book’N le partage à toutes les entreprises qui cherchent à s’adapter au numérique des données (traces de la fréquentation et du comportement des utilisateurs) issues de ces expérimentations. C’est dans l’ouverture et l’accès aux données de chacun que l’ensemble des intervenants vont trouver les solutions, non en s’isolant sous prétexte de compétition. Des politiques incitatives et responsables doivent favoriser cette mise en commun…
À titre d’intervenant qui a participé activement à ce débat et à la prise de position de la Coalition, je me dis que je peux faire davantage que de m’opposer au projet gouvernemental; il me faut aussi participer de manière constructive à l’élaboration de pistes de solutions. Je suis sensible également à la problématique de la lecture d’un livre numérique provenant d’une bibliothèque et j’aime bien les propositions de Cory Doctorow, visant à réduire les difficultés de ceux qui empruntent un livre en format numérique. D’autres enjeux autour du livre numérique devront attirer l’attention comme la question des verrous qui créent parfois des situations inusitées…
Il me fera plaisir de faire rayonner les initiatives pouvant contribuer à améliorer l’accès aux livres et à augmenter le nombre de lecteurs tout en agissant sur la diversité et la qualité de la création littéraire. En ce sens, je crois fermement que le numérique fait partie des solutions et non des problèmes !
Mise à jour : On me signale que « la granularisation » était déjà tendance en 2010. Voir cet article où un Québécois commente la vente de livres par chapitres.
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