Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».
Au début de la journée d’hier vers 7 h 20, c’était un accident. Une collision entre un véhicule et un train. Deux morts, un père et son fils de 21 mois.
Plus la journée avançait, plus l’ampleur du drame se profilait. On parle maintenant d’un suicide et du meurtre de son propre enfant, dont il venait de perdre la garde. C’est ce qu’il faut comprendre de ce qui est rapporté par l’entremise des médias (1, 2, 3, 4) :
Un autre homme qui semble avoir enlevé la vie de son enfant dans l’horreur. Comment un papa peut-il enlever la vie à son enfant?
J’ai eu beaucoup d’hommes devant moi dans ma vie de directeur, de consultant, d’amis et de père de famille. Et beaucoup de silence aussi.
J’ai toujours préféré le coup de poing dans le mur, l’enfilade de jurons ou la grosse brosse, à ce maudit silence. C’est pas beaucoup plus intelligent, mais la colère sort et on peut passer à autre chose.
Mais c’est l’homme de la caverne que j’ai eu le plus souvent en avant de moi.
À commencer par mon père qui lui, s’est tué à petit feu avec la bouteille. Il est mort bien entouré, mais il a vécu en silence. Un silence de mort… que je ne comprends toujours pas.
J’ai été privilégié à quelques reprises où la colère a pu céder aux larmes. Des hommes avec qui je suis resté amis pour la vie.
Bien sûr, il nous vient à l’esprit « l’histoire » récente de Guy Turcotte qui a plongé tout le Québec dans le désarroi le plus total. Je n’ai pas lu ou entendu beaucoup d’hommes commenter. Le silence. Toujours.
Un des rares – une exception – à s’exprimer sur ces questions de souffrance masculine est Camil Bouchard que j’aime beaucoup. Il faudra que je lui dise à l’occasion de notre prochain débat.
Je viens de relire son texte paru en juin 2011 sur Québec science, Ces pères qui tuent leurs enfants. Je n’ai aucune idée à savoir si le profil de l’homme décédé tragiquement hier se rapproche de celui décrit par le professeur Bouchard, mais si ça peut être utile pour essayer de comprendre…
« Ce sont des hommes d’âge mûr, de bons pourvoyeurs et, pour les voisins, des pères dévoués et des maris aimants. Cette image impeccable cache souvent un sentiment persistant d’incompétence et d’inconfort social. On les décrit comme des êtres plutôt isolés, comptant peu d’amis. La famille constitue donc l’essentiel de leur réseau de soutien, leur bouée sociale et affective, leur seul lieu d’investissement émotionnel. Elle devient une extension d’eux-mêmes. Lorsqu’arrive une séparation, un divorce, une infidélité, ils se sentent amputés d’une partie d’eux-mêmes. Viscéralement. La blessure est totale. Comme ils ne savent pas faire la différence entre eux et leurs enfants, leur détresse devient alors la leur. Ils tuent leurs enfants, parce que, disent-ils, ils veulent leur épargner la souffrance. Et ils se tuent le plus souvent avec eux. »
Tiens… l’avatar utilisé par M. Patenaude-Turcotte sur sa page Facebook encore en ligne au moment d’écrire est la photo de son jeune garçon, celui qu’il a entraîné dans sa folie.
Il faut apprendre à parler quand ça fait mal. Absolument. C’est urgent.
Je sais bien que le suicide est le résultat d’une sorte de geste volontaire. L’enquête nous révélera sûrement un contexte pour ce qui est d’emporter avec lui son enfant.
Je ne m’en cache pas, j’en veux beaucoup aux hommes de se transmettre de génération en génération, ce silence. Involontaire, peut-être, mais crissement désagréable. Et si immense…
Mes sincères condoléances à la famille et aux amis de monsieur Thierry et du petit Nicolas.
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