Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».
Je ne me reconnais pas dans la façon dont le débat sur la langue (le franglais utilisé par des artistes) est engagé. Je suggère qu’il n’y a pas que deux façons de se positionner. En gros, je suis fatigué de la fatigue culturelle, mais inquiet du franglais quand ça ne vient pas des poètes. Parmi les sujets qui touchent la langue, l’ampleur du décrochage scolaire est celui qui me fait monter aux barricades. Je m’explique…
L’argument principal du dernier texte de Christian Rioux, Le choix de Julie me paraît être que la fatigue culturelle décrite par Hubert Aquin en 1962 serait encore aujourd’hui omniprésente au Québec.
«Comment peuvent-elles [les élites jovialistes qui se prétendent «libérées des guerres linguistiques» traditionnelles] ne pas entendre cette fatigue qui hurle à tue-tête jusque dans les phrases créolisées de Dead Obies, où le français lâche son dernier râle. […] Comment ne pas percevoir, devant ce paysage aux allures de désolation, le désir montant d’une génération de s’extraire du Québec tout entier, de son histoire qui bégaie, et finalement de sa langue, dernier boulet qui empêche notre complète immersion dans cette vibrante Amérique tant rêvée et tant désirée depuis toujours.»
J’ai pris soin dans un billet précédent de regrouper plusieurs textes en un seul endroit, histoire de pouvoir facilement mesurer les arguments des uns et des autres dans ce débat manichéen où il semble que deux seules options ne soient possibles.
La thèse des jovialistes serait que le métissage des langues n’est qu’un phénomène artistique, donc, plutôt inventif, mais qui surtout, serait l’apanage de gens décomplexés qui ne s’identifient pas aux conquérants du temps et ne renient pas l’utilité du combat des patriotes. Il est possible selon eux de comprendre les dangers de l’assimilation, l’importance de protéger le français et de rapper en franglais à la Dead Obies.
L’autre camp serait formé de ceux qui sont plus que jamais éprouvés par la fatigue culturelle d’un Québec de plus en plus composé par de jeunes citoyens qui choisissent à titre de première langue celle de la majorité, exaspérés par les exigences de la maîtrise de leur langue maternelle, le français. Se réalise alors la prédiction de vieux combattants du 19e siècle dont un a écrit que «l’assimilation, sous le nouvel état de choses, se fera graduellement et sans secousse» (ce passage est cité dans le texte de Rioux et est attribué au journaliste Étienne Parent – 1839).
Doit-on choisir son camp ou s’affirmer en dehors de ces deux solitudes parce qu’il existe d’autres façons de voir les choses?
J’ai choisi.
La fatigue culturelle
Un texte écrit en 1962 par Hubert Aquin intitulé La fatigue culturelle du Canada français devient un incontournable pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce débat dont on pourra peut-être dire cet automne qu’il aura été relancé cet été. Écrit en réaction à La nouvelle trahison des clercs d’un certain Pierre Elliott Trudeau, le classique du militant pour l’indépendance du Québec est une hypothèse à réactualiser selon plusieurs intellectuels du Québec.
Trudeau postulait que les Canadiens français étaient frileux, «qu’ils s’étaient cachés sous la robe de leur clergé pendant plus d’un siècle et qu’ils s’apprêtaient à suivre les incantations de leurs nouveaux clercs séparatistes en rapetissant leur appétit à la province de Québec» (source). Aquin réfutait ces accusations «du majoritaire contre le minoritaire», qui «par mauvaise conscience réelle» (…) «fait tout en son pouvoir pour camoufler la relation de domination».
«Ai-je besoin d’évoquer, dans ce sens, tous les corollaires psychologiques de la prise de conscience de cette situation minoritaire: l’autopunition, le masochisme, l’autodévaluation, la «dépression», le manque d’enthousiasme et de vigueur, autant de sous-attitudes dépossédées que des anthropologues ont déjà baptisées de «fatigue culturelle». Le Canada français est en état de fatigue culturelle et, parce qu’il est invariablement fatigué, il devient fatigant. C’est un cercle vicieux. Il serait, sans aucun doute, beaucoup plus reposant de cesser d’exister en tant que culture spécifique; et de vendre une fois pour toutes notre âme au Canada anglais pour une bourse du Conseil des arts ou une réserve paisible sous la protection de la gendarmerie royale.»
Je ne crois pas que cinquante ans plus tard, les Québécois se sentent encore autant dominés. Perso, je suis fatigué de la fatigue culturelle. Je dirais même exaspéré.
Le métissage des langues
J’ai écrit avant-hier que je partageais le point de vue de la linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin sur le fait «qu’un créole n’est pas une étape, c’est une langue à part entière». Nous ne sommes pas en présence d’une créolisation du français quand Dead Obies rappe en franglais. Si je ne suis pas du tout choqué, d’ailleurs, par Radio Radio ou Dead Obies, c’est parce que Daniel Boucher, Robert Charlebois et bien d’autres ont toujours chanté des mots d’anglais dans leur poésie sans que je ne les expulse de ma discothèque. Tant qu’on ne mélange pas les langues quand on pense en parler ou en écrire une, je ne suis pas rebuté.
Le métissage des langues est un sujet bien plus complexe qu’il ne paraît l’être. Et dans le Québec d’aujourd’hui, des gens parlent et écrivent en franglais. Je suis préoccupé par cette réalité, moins importante que du temps de mes parents, mais inquiétante, tout de même. La démission de ceux qui disent aimer le français et qui sont portés malgré tout à vouloir cesser de le parler ou de l’écrire convenablement, selon les conventions qui me paraissent évoluer sainement, avec le temps, m’horripile.
Je ne parle ni n’écris le français de ma grand-mère, ni même celui de ma mère. Et c’est très bien ainsi.
Mais je suis animé du même désir de ne pas faire passer pour «du cash» ce qui a de la valeur. Je serais inquiet (et je le suis souvent quand je passe du temps dans les rues de Montréal) de constater qu’on commence à prendre des vessies pour des lanternes.
Autrement dit, la confusion ne vient pas tant des mots qui composent la poésie de certains que de la valeur qu’on leur donne. Le chiac de Radio Radio et de Lisa LeBlanc est une langue, celle des Acadiens. Le créole en est une autre, celle des Haïtiens. Le franglais pose un problème s’il se traduit dans la langue parlée et écrite courante du Québec (c’est un problème en France, il me semble), au point où celui qui l’utilise ne sait plus quand il cause français ou anglais.
Si la poésie de Dead Obies fait autant jaser, c’est parce qu’on sait bien que ceux et celles qui l’adorent peuvent possiblement prendre des vessies pour des lanternes.
Ma réaction n’est pas de combattre Dead Obies et il ne m’est jamais venu à l’idée non plus de combattre Radio Radio et Lisa LeBlanc. J’aime ce qu’ils font…
Mais je dois redoubler d’ardeur pour que tous ceux qui aiment comme moi, évitent dans le langage courant, au Québec, de confondre le français et certains passages qu’ils entendent ou lisent dans cette poésie.
Ma mère est intervenue dans le même sens avec le «Frog song» du jeune Charlebois.
Je fais pareil avec mon fils qui aime le «Six pack de broue» de Bernard Adamus.
Les autres camps
S’il y a un débat à faire, ne le réduisons pas en un affrontement entre deux camps.
Il est d’ailleurs possible que la majorité des gens dans ce débat ne se retrouvent dans aucun des deux groupes qui crient le plus fort et que la beauté dans ce qui s’en vient réside dans toutes les teintes que peut prendre ce questionnement sur la culture et son apport à la langue et à l’identité de notre nation.
Vrai que mes oreilles saignent quand je suis dans certains commerces de Montréal où que je suis en avion en partant de Montréal et que le français semble une langue étrangère.
Vrai que mes yeux s’embrouillent quand l’affichage de certains quartiers de Montréal est tellement autre chose que francophone que c’est comme je n’y avais plus droit de cité.
Vrai que je viens de Québec qui compte The Seasons parmi ses vedettes montantes et que je vis très bien avec ça.
Vrai aussi que mon spectacle préféré du dernier Festival d’été de Québec ait été celui de Louis-Jean Cormier. Pas de problème avec ceux qui ont préféré The Killers ou Bryan Adams.
Enfin, vrai… très très vrai que je suis inquiet de l’ampleur du décrochage scolaire qui vient en grande partie du fait que n’ayant pas installé un dépistage précoce et un suivi approprié, beaucoup de jeunes ne savent pas lire et écrire le français à l’âge de huit ans.
Pour ça, je suis prêt à monter aux barricades.
Pour ce qui est de la fatigue culturelle, on a déjà donné.
Beaucoup de gens autour de moi, des francophones en particulier, voient tellement grand et ne se sentent tellement plus opprimés par «le conquérant», qu’ils planifient de l’acheter ou de le gérer.
Si un Trudeau débarquait aujourd’hui pour nous dire qu’on est frileux les Québécois et qu’on manque d’ambition, on rirait de lui, tout simplement*.
N.B. *La liste des exemples de ceux et celles qui rayonnent en dehors du Québec (en français ou en anglais) serait trop longue à citer.
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