Note : Ce texte est le résumé de deux billets qui ont été publiés au Journal de Québec dans la section « blogue », Tiken Jah Fakoly et l’éducation et Tiken Jah appuie la candidature de Michaëlle Jean à l’OIF.
J’ai rencontré Tiken Jah Fakoly (TJF), quelques minutes après son spectacle de 21 h 30 sur la Scène Hydro-Québec (Place D’Youville) du Festival d’été de Québec (FEQ).
Je considère cette rencontre comme étant l’un des moments forts de ma couverture du FEQ parce qu’elle est au confluent de plusieurs de mes intérêts, la culture, l’éducation, la musique et la gouvernance. Ce billet a été l’occasion de ramasser quelques idées de questions pour l’entrevue que m’a accordé ce grand griot de la Côte d’Ivoire. De fait, j’ai pu les lui poser, dans sa loge. Voici les questions et ses réponses…
Q. Dans votre album African Revolution, cette idée que le vrai changement en Afrique passe par l’éducation est au coeur de votre message. Vous avez lancé en 2009 une campagne intitulée « Un concert une école », vous ayez contribué à fonder des écoles en Afrique… Où en êtes-vous dans votre projet de changer les choses par l’éducation?
R. « Cinq nouvelles écoles ont été construites. Deux pour le primaire en Côte d’Ivoire, un collège au Mali, une école primaire au Niger et une autre au Burkina Faso. La prochaine école construite sera située en Guinée-Conakry. Le message c’est que c’est par l’éducation que les Africains vont s’éveiller et se rendre contre qu’il faut se mettre au-dessus des ethnies et des religions. C’est ainsi, ensemble, que l’intérêt général sera défendu ». J’ai demandé à TJF si c’était là les paroles du griot ou du chanteur. Dans un grand éclat de rire, il m’a dit que c’était les deux!
Q. Vous avez lancé Dernier Appel récemment, qui reprend certains de vos thèmes favoris dont l’éducation, la paix, le respect des institutions… On peut affirmer qu’il s’agit encore d’un album militant, mais je me permets de vous demander comment voyez-vous évoluer votre façon de militer avec le temps?
R. TJF attribue la différence à une pause qu’il a prise après African Revolution. « L’agriculture m’a permis de réfléchir. Je reconnais avoir dénoncé beaucoup de choses, mais quand je regarde dans l’histoire de tous les peuples, je comprends maintenant qu’aucun changement ne viendra sans les africains eux-mêmes. La plupart des messages du Dernier Appel s’adressent d’abord aux Africains ».
Q. À l’écoute du premier extrait de l’album qui porte aussi le nom de Dernier Appel, une phrase m’a particulièrement frappé, « Il faut travailler pour sortir ce continent du trou ». J’ai lu quelque part que votre conviction intime était qu’on a trop longtemps fait croire que l’Afrique est pauvre, et qu’il fallait se rendre compte de la grande richesse du continent, entre autres, dans sa capacité de s’unir. Est-ce que vous voyez actuellement des signes en Afrique de ce cheminement vers plus d’unité et de richesse?
R. « On ne peut pas être pauvre quand un pays comme la Côte d’Ivoire produit 40% du cacao mondial. On ne peut pas être pauvre quand le pays voisin, le Ghana, produit lui aussi 20% de la production mondiale de cacao. On a souvent réussi à faire croire aux gens de mon pays qu’ils étaient pauvres, pourtant, ce que je dis sur le cacao est bien réel. Personne ne pourra réparer ce paradoxe-là si ce n’est les Africains eux-mêmes. » TJF a aussi parlé de deux mouvements : le Y en a marre au Sénégal et le Balai citoyen qui rassemble des gens contre le projet de modification de la Constitution burkinabé. Pour lui, ce sont deux exemples qui montrent qu’il est possible d’avancer en Afrique, sans violence, dans le respect des institutions.
Q. Vous êtes de quelques festivals au Québec, vous étiez à Nuits d’Afrique mercredi dernier, je crois, comment sentez-vous l’accueil des festivaliers? Est-ce que l’invitation au dernier appel du vol Africa est reçue?
R. « L’Afrique est dans un processus de reconstruction, tout le monde au Québec doit le savoir. Le réveil se fait doucement chez nous. Trop souvent dans les médias au Québec, l’image de l’Afrique est celle d’un continent en guerre où il y a des maladies, mais il faut parler de l’Afrique qui avance, car elle avance. Quand la majorité des enfants vont savoir lire et écrire, les choses vont changer et ce jour va arriver. »
Q. Je connais plusieurs canadiens ou québécois qui sont allés en Afrique et certains avec la prétention d’enseigner aux africains. Je me demande plutôt qu’est-ce que les africains en général et les ivoiriens en particulier ont à apprendre au Québec et au Canada?
R. Un sourire en coin, TJF a parlé du sens de la famille et de certaines valeurs en éducation. « Par exemple, je me souviens en France, dans le métro, que des jeunes cassaient une distributrice à boissons gazeuses et bien que des dizaines d’adultes assistaient à la scène, personne n’est intervenu. En Afrique, une telle chose ne pourrait pas se passer parce qu’un adulte a l’autorité pour intervenir avec des enfants qui ne se comportent pas bien. Les parents de ces enfants, s’ils étaient de Côte d’Ivoire auraient remercié l’adulte qui serait intervenu parce que c’était la bonne chose à faire. »
Q. Vous savez peut-être qu’une canadienne, Michaëlle Jean, est officiellement sur les rangs pour diriger l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Je vous sais normalement à l’aise sur les questions politiques, Que pensez-vous de cette candidature? Michaëlle Jean fait campagne en tant qu’alliée de l’Afrique, vous reconnaissez l’Afrique dans cette candidature? Croyez-vous que Mme Jean pourrait souscrire à votre rêve de révolutionner l’Afrique par l’éducation?
R. Aucune hésitation dans la voix de TJF sur ce sujet… « J’appuie cette candidature et je suis d’accord avec Mme Jean lorsqu’elle dit que sa candidature en est aussi une d’Afrique. Elle est née en Haïti, elle est venue en Afrique et a été reçue comme une des nôtres. Elle en était fière. C’est une excellente nouvelle pour la francophonie que Michaëlle Jean soit candidate à un poste de direction à l’OIF ».
Le spectacle d’hier soir
Une Place d’Youville remplie à pleine capacité de festivaliers entonnant souvent les paroles des chansons qu’ils reconnaissent (dont Plus rien ne m’étonne et Ouvrez Les Frontières) et dansant au rythme du reggae, s’est offert une très belle soirée. La douzaine de musiciens sur scène jouait avec énergie, dont la section cuivre, très présente, offrait une profondeur appréciée. Je n’ai pas su pourquoi il n’y avait pas eu de rappel même si la foule en redemandait. Oui Tiken Jah Fakoly est plus sage. Moi je suis revenu à la maison le coeur heureux d’avoir rencontré en chanson, en musique et en parole, un être humain de grande valeur!
N.B. Un collègue du Journal connu pour sa couverture des événements en Tunisie n’a pu s’empêcher de m’accompagner, sachant que le grand Tiken Jah était pour se produire dans son pays d’origine, très bientôt. Dès que Taïeb met la vidéo de son entrevue en ligne, je l’hyperlie…
Mise à jour du 27 août : Billet de François Bugingo sur le beau risque de Michaëlle Jean.
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