Mise en garde: Ce document fait partie d’un dossier complet produit dans le contexte de la mise en ligne du site Le 21e siècle dévoilé dans la foulée d’une démarche qui pourrait conduire vers l’adoption d’un plan numérique pour le Québec.
Todd Richmond (2006) utilise l’expression «tempête parfaite» («perfect storm») pour décrire ce qui nous vivons actuellement en éducation et je serais porté à penser comme lui:
«Richmond compared the future technology-triggered transformation of educational institutions to the “perfect storm” that hit the music industry when several different factors intersected to disrupt the existing institutions for making, distributing, and monetizing music: millions of people acquired broadband connections and used sufficiently powerful personal computers, the MP3 format made it easy to encode, transmit, and decode music via the Internet, digital tools for capturing and editing audiovisual content made “studio quality” production widely available, online social networking made p2p and viral distribution possible.» (Kinnaman 2007).
Le changement de posture de l’enseignant d’aujourd’hui constitue probablement la clé de voûte qui peut transformer l’école et l’aider à s’adapter aux comportements d’apprenants des jeunes de la «génération C», ces jeunes de 12 à 24 ans qui «Communiquent», «Collaborent» et «Créent» sur Internet davantage que leurs aînés.
Le caractère bidirectionnel du Web qui en fait un outil où on peut à la fois prendre et donner, n’a pas fini de transformer notre posture face à la connaissance.
L’industrie du disque ne s’est pas adaptée assez rapidement et celle des grands quotidiens papier vit des heures sombres. Exercer un contrôle absolu n’est plus possible, ni souhaitable, d’ailleurs. Encapsuler la connaissance dans des processus directifs et autoritaires ne l’est pas davantage.
N’est-ce pas fascinant de vivre cette époque des grands changements où l’on observe la venue de ces jeunes prénumériques (Marchandise 2009) qui seront eux-mêmes dépassés par d’autres? De voir circuler partout, à grande vitesse et dans tous les sens, la connaissance?
Même si on se sent souvent en état d’infobésité, il faut demeurer optimiste face à cette capacité qu’ont de plus en plus les jeunes d’échanger des points de vue et de s’affirmer. L’école de rang a vécu ses bonnes heures… on constate avec bonheur l’avènement d’une école où les murs font place aux fenêtres. Bientôt, les jeunes nés avec la présence d’Internet sortiront des universités et deviendront des collègues de travail. Quel beau défi que celui de les accueillir dans nos salles de profs avec les moyens puissants qu’ils connaissent pour réseauter et co-construire! Quelles dimensions notre rôle de passeur pourrait-il prendre dans ce nouveau contexte?
Le fait de ne plus devoir connaître les langages de programmation ou d’avoir à convaincre un éditeur pour diffuser du contenu change profondément les usages d’un Internet devenu beaucoup plus participatif; chacun peut devenir son propre média en diffusant du contenu. Les apprenants veulent échanger et ils ont les moyens de leurs ambitions. «Et voici maintenant tout le monde»… (Shirky 2008) par l’intermédiaire de La Toile, bien entendu.
Au Québec comme ailleurs, des enseignants, des éducateurs, se sont dotés de blogues, par exemple, et sont sollicités – comme le sont des journalistes – pour critiquer un livre qu’on leur fait parvenir, pour «couvrir» un événement ou un colloque en manque d’attention journalistique ou tout simplement, s’expriment sur les aléas de leur pratique professionnelle. Certains le font de manière anonyme ayant expérimenté – ou ayant la frousse de les vivre – des représailles pour avoir livré un peu trop directement une opinion sur comment se comporte sa direction ou affirme sa position éditoriale sur l’actualité en éducation. Ils sont plusieurs centaines, ces édublogueurs du Québec qui forment un réseau dynamique d’intervenants et qui ont décidé de prendre la parole pour le meilleur ou pour le pire. Maintenant, certains envisagent d’utiliser les mêmes moyens pour aider leurs élèves à apprendre au contact des mêmes dispositifs!
Si les adultes apprivoisent, ce faisant, leur condition d’immigrants qui s’approprie la culture numérique, ils sont souvent surpris en travaillant avec leurs élèves à l’aide des blogues et des autres outils du Web participatif de tout ce qu’ils doivent «faire apprendre» pour que ces modes de communication respectent les usages éthiques du respect de la propriété, du droit à l’image et du respect de la réputation de chacun. Les natifs du numérique, ceux qui sont nés au moment où les dispositifs de production de contenu sur le Web foisonnent, sont habiles techniquement, mais se comportent souvent tels des sous-doués au niveau d’une certaine retenue à manifester en certaines circonstances et l’observation des règles de base de la communication.
La nature «du contrôle» à exercer en classe s’en trouve complètement bouleversée, surtout au moment où arriveront au collégial, ces jeunes qui sont nés avec l’existence d’Internet grand public qui leur est facilement accessible de la maison, en particulier. Ils ont autour de seize ans, les premiers de cette «génération».
Le clivage «natif» versus «immigrant» doit être vu, avant tout, comme un cycle faisant en sorte que les générations à suivre seront chacune les prénumériques d’une autre. On peut «entendre» ainsi qu’ils seraient plus familier avec les outils d’un monde plus numérique que les plus vieux qui les précèdent. On se retrouve peut-être pour la première fois devant un phénomène pour lequel nous avons peu d’expertise: des enseignants font apprendre par le biais de moyens qu’ils utilisent avec leur «accent» que seuls les natifs peuvent reconnaître. Des «immigrants» qui doivent enseigner à des «natifs», plus habiles qu’eux au niveau technique, mais qui se comportent souvent de façon non-responsables» dans leurs expériences utilisateurs ! Pas étonnant qu’en majorité, les professionnels de l’enseignement, les conseillers pédagogiques et les cadres scolaires ne s’aventurent pas très rapidement sur l’autoroute de l’information; les besoins de formation et d’information préalables balisant leurs ardeurs et freinant parfois leurs ambitions.
Pour devenir efficace et mieux faire apprendre par le numérique, les enseignants doivent développer pour eux-mêmes une culture de l’apprentissage. Ils doivent apprivoiser de nouveaux moyens de communiquer, dont l’utilisation des médias sociaux. Comme le mentionne Corinne Weisgerber (2014), ils se donnent une pédagogie des médias sociaux…
Un survol des outils du Web 2.0 (du Web participatif) qui entrent en jeu est nécessaire pour bien comprendre comment les dispositifs qui facilitent la coconstruction des apprentissages viennent changer la donne.
On dit des blogues qu’ils sont des «sites Internet qui prennent essentiellement la forme d’un carnet de bord ou d’un recueil de textes habituellement présenté par ordre antéchronologique (soit du plus récent au plus ancien)». Un blogue permet de produire du texte, du son, des images ou de la vidéo dans un système de gestion de contenu qui automatise les processus de publication et de mise en page.
Les wikis quant à eux représentent une autre de ces technologies du «Web 2.0» qui transforment les rapports aux savoirs. Dans une page wiki, on travaille tous dans le même espace Web, la dernière personne de passage pouvant modifier, voire effacer, ce que la personne précédente avait pu enregistrer. Peu d’écoles les ont intégrés dans leur processus d’apprentissage, mais certains wikis servent à préparer de belles conférences en éducation, comme celle-ci à Clair, au Nouveau-Brunswick qui a lieu chaque fin janvier depuis quelques années. Au niveau universitaire, on peut regarder du côté des facultés d’Éducation de l’Université Laval et de l’UQAC dans les cours de Patrick Giroux (2008) et de Renée Fountain (2001).
Pour ce qui est de l’utilisation des médias sociaux, ils permettent surtout d’échanger avec des personnes qu’on aura trié sur le volet (nos «contacts») tels Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram ou ceux qui permettent de publier différents formats de fichiers les offrant en partage (Flickr pour les photos, YouTube pour les vidéos, Scribd pour les documents, etc.). Les expériences en contexte d’apprentissage commencent à poindre et bousculent déjà l’encadrement des commissions scolaires, plus portées à interdire l’accès à ces sites que d’en favoriser l’utilisation. Même en ce qui a trait à la présence des téléphones multifonctions dans les écoles, on est de plus en plus porté à croire qu’il faut arrêter de les considérer «comme des outils de distraction, et qu’il convient de les utiliser enfin comme des machines pour apprendre». (Guillaud, 2009)
On reviendra dans un prochain texte sur les blogues et les wikis, de façon plus spécifique, parce qu’ils constituent des dispositifs de plus en plus populaires et efficaces quand vient le temps de favoriser la publication Web en contexte d’apprentissage, scolaire ou non. Il convient cependant de mentionner ici quelques retours d’expériences au contact des médias sociaux définis par Danah Boyd (2009) comme étant des sites «pour interagir avec d’autres jeunes qu’ils connaissent, et qui sont de vrais amis», contrairement à nous, adultes, qui avons tendance dans ces espaces à accumuler les contacts, comme s’il fallait en faire une collection.
Sur Twitter (un site de microblogging), il faut voir comment il est possible d’utiliser les 140 caractères de chacun des Tweets pour faire de la twittérature et ainsi, soutenir l’enseignement de la langue française. L’apparition des #tittclasses en est le plus bel exemple. L’enseignante Annie Côté est passée à l’action et résume bien de quoi il s’agit : «De courts textes littéraires sur Twitter, publié en 140 caractères exactement». Jean-Yves Fréchette, co-fondateur de l’Institut de twittérature comparée parle d’une forme nouvelle de poésie…
« La twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur.
De son côté, une enseignante de lettres-histoire géo et ECJS en lycée professionnel documente presque au jour le jour son expérience pédagogique avec une classe de terminale bac pro commerce. Elle donne certaines consignes par ce dispositif où elle dispose de 140 caractères, maximum, pour produire du contenu ou hyperlier vers une ressource. Ses élèves disposent chacun d’une page twitter et ils s’abonnent aux pages des autres élèves en plus de celle de leur enseignante. L’ensemble de ce contenu est produit et accessible, gratuitement, sur Internet. L’enseignante affirme «précéder ses élèves d’un petit mois dans sa connaissance de Twitter», mais ça ne l’empêche pas d’apprécier beaucoup ce «moyen différent et plus conforme à mes attentes pour valoriser le potentiel de cette classe». Elle les encourage à lire et à écrire, surtout… elle encourage chacun à échanger des points de vue divergents et à se donner beaucoup de feedback. Forte de l’appui de l’inspecteur et du proviseur de son Lycée, elle objective déjà certains pans de son approche:
«C’est une vraie richesse de pouvoir dire : «apprenons ensemble, apprenez-moi». Certains de mes élèves très curieux ont exploré certaines applications de Twitter qui me sont encore inconnues. Ils m’ont montré, expliqué. La transmission du savoir doit-il être uniquement vertical [du haut de la hiérarchie vers le bas] ? Lorsque j’ai présenté le projet Twitter à cette classe, je leur ai expliqué qu’il s’agissait bien d’une expérimentation d’un usage d’un web-média. Une expérimentation que nous allions mener ensemble, que ça impliquait des réussites, des échecs, des tâtonnements. Ils savent être suivis via @laderniereannee [c’est le nom de la page Twitter de l’enseignante] et par bon nombre de « spécialistes » des TICE. Ils ont «tweeté» [publié du contenu sur Twitter] lors de mon atelier des rencontres TICE académiques à ma demande pour être observés par mes auditeurs. Ils m’ont demandé le lendemain mes impressions sur cet atelier.»
Pour ce qui est d’expériences au Québec d’utilisation des réseaux sociaux au service des apprentissages avec des enseignants, l’un eux s’est confié à une journaliste du Devoir en 2009. Jean Desjardins (anciennement d’une école de la couronne Nord de Montréal, maintenant dans un collège privé), se servait de Facebook pour former avec ses élèves une communauté d’apprentissage, un groupe de personnes voulant apprendre, possédant des moyens efficaces pour communiquer tout en étant conscient que chacun peut apprendre des uns des autres. Il utilisait une page Facebook dont l’accès en écriture était sous son contrôle et il invitait ses élèves et quelques visiteurs qui en faisaient la demande de contribuer. Souvent, il posait les questions et les élèves débattaient des réponses. Ce vaste forum d’échange était visible par tous les internautes ce qui procure un plus vaste public pour les apprenants; quand «le public» ne devient pas lui-même participant aux apprentissages… Voici comment il décline quelques-unes de ce qu’il appelle les «bonnes pratiques»:
- Que notre communauté vous serve à réseauter avec d’autres étudiants et adultes qui partagent vos passions et de qui vous pouvez apprendre.
- Qu’elle soit le tremplin pour découvrir des experts et des modèles dans différents domaines. Qu’elle serve à confronter vos idées ou informer les autres des enjeux qui vous préoccupent.
- Que notre réseau vous serve à explorer votre créativité et vos passions, poser des questions et recevoir des réponses.
- Oui c’est un endroit pour publier devant un large auditoire les textes, œuvres d’art et documents multimédia qui vous rendent fiers!
- Oui célébrons-y les oeuvres et réalisations de l’ingéniosité humaine! [ Intérêt commun- La beauté! Malgré que «facebouc» ne l’entende pas en ce sens 😉 ]
- La richesse des contenus qu’elle recèle doit pouvoir vous permettre de remixer et publier sur Internet du contenu qui deviendra le vôtre.
- Je souhaite que les occasions de collaborer qu’elle créera permettront de changer le monde positivement et significativement.
Un autre enseignant qui expérimente, Sylvain Bérubé (2009), enseigne le français au secondaire dans une école de la région de Québec. Il a utilisé un temps la plate-forme NING avec ses élèves «pour améliorer leur compétence de communication sur le Web». Ce dispositif regroupe des blogues individuels, une page Web commune pour la classe et un forum qui est accessible. Même si actuellement, j’ai cru comprendre qu’il préférait maintenant les blogues Ning est un autre de ces dispositifs de production de contenu qui permet aux élèves et à leur prof de s’interconnecter, gratuitement, visible (ou pas) des internautes ou des moteurs de recherche. Un dossier «Éducation et cyberpédagogie» a été publié au Devoir et les enseignants Bérubé & Desjardins y étaient mis en vedette : «Facebook: Le professeur aime. L’école n’aime pas».
Depuis ce temps, il faut voir que les expériences se sont multipliées. Les iPad font leur apparition dans les écoles, un chercheur de l’Université du Québec à Chicoutimi a publié les résultats d’une étude menée dans le cadre d’un projet de recherche ciblé en écriture via les blogues et un autre de la même université a «publié une échelle de niveaux de compétence à cinq «barreaux» visant à évaluer les contributions étudiantes».
Il faut réaliser que chaque apprenant qui dispose de ces outils pour apprendre n’utilise pas ces outils qu’en amont, au moment où il est en classe et où il veut être autre chose que «spectateur». Il souhaite aussi être présent et le plus participatif possible pour apprendre «en faisant» et «publie» du contenu en petites séquences, se prononçant, par exemple, sur le rendement de ses profs, dépassant même quelquefois, certaines limites dans des usages qui deviennent, du coup, des pièges qui heurtent le système éducatif dans sa globalité.
Le dialogue s’ouvre de plus en plus au primaire et secondaire. Plusieurs se disent qu’il est préférable de pouvoir répondre aux critiques sur des espaces où il est possible d’intervenir en public même si on s’expose au jugement des autres plutôt que de faire semblant que telles critiques n’existent pas et ainsi, ne pas avoir de prise, pour y répondre.
J’ai pu répertorier plusieurs projets qui sont de nature au primaire et au secondaire (au Québec) à favoriser la production de contenu sur le Web. Je me suis surpris à lire un extrait d’un chapitre d’un livre – Pourquoi bloguer en contexte d’affaires – dont j’ai été l’un des dix auteurs, au bas d’un blogue qui donne la parole à des enfants, leur posant une question différente à chaque semaine; on ne sait jamais ce qui nous attend sur le Web … «Une des plus grandes découvertes de la pratique du blogue est d’apprendre à échanger des points de vue différents».
Si on constate que les expériences les plus citées viennent du primaire et du secondaire, il faut comprendre que la présence des jeunes de génération C influence grandement les pratiques des enseignants de ces niveaux. Signe que les choses progressent, de plus en plus de EdCamp s’organisent au Québec, des formateurs iClasse sont en demande, un cour offert à la fin du secondaire (le projet intégrateur) utilise l’écosystème des blogues et quelques écoles ont entrepris de faire de l’utilisation du Web participatif une pratique généralisée (voir du côté de l’École Alex Manoogian et du Centre d’@pprentissage du Haut-Madawaska, en particulier).
En quelque sorte, le collégial et l’universitaire risquent de connaître l’explosion de ces expériences au rythme où les jeunes natifs du numérique fréquenteront ces établissements.
Tags: "Administration scolaire" "Pédagogie et nouvelles technologies"
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