Polytechnique m’a marqué

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».

La tuerie du 6 décembre 1989 à Polytechnique est un drame que les hommes ont eu beaucoup de mal à encaisser et à commenter, du moins pendant les premiers mois et les premières années qui ont suivi. Pourtant, elle a marqué plusieurs d’entre nous. La blessure était là, mais le silence était de mise.

Elle a eu de nombreux effets positifs dans ma vie d’homme et d’éducateur.

À quelques jours du moment où 25 années se seront écoulées depuis la tragédie de Polytechnique, j’ai cru qu’il était temps de mettre des mots sur quelques émotions qui remontent à chaque année autour du 6 décembre. La lecture du témoignage de l’auteure et journaliste Louise-Marie Lacombe s’est avérée un élément déclencheur.

C’est que le passage où elle se souvient d’une vigile, organisée juste après le drame m’a profondément touché…

«Des hommes ont voulu marcher à nos côtés. Des femmes les ont repoussés en disant : « On vient de tuer des femmes, c’est un combat féministe, t’as pas d’affaire là ». Cette journée-là, moi, je suis partie de la vigile. Parce que je me disais : « Les hommes qui veulent marcher à la vigile ce soir sont ceux justement qui ont accepté les femmes, à côté d’eux sur les bancs d’école. Ils veulent marcher pour les mêmes choses que nous. »»

J’étais directeur des élèves dans un pensionnat de 275 adolescents en décembre 1989. Je me souviens d’avoir été mal à l’aise avec la honte que nous éprouvions tous, à divers degrés. J’ai en mémoire les efforts qu’on faisait pour ne pas parler de ce qui s’était passé. Ce n’était pas la bonne chose à faire, pourtant.

Père de deux très jeunes garçons, je m’étais dit que je devais aux quatorze jeunes femmes tombées sous les balles de Marc Lépine que mes élèves et mes enfants deviennent féministes.

Mais comment faire ?

Des éléments de réponses me sont venus au fil du temps. Plus d’égalité, moins de stéréotype. Mais encore…

En manque de modèle – mon père n’avait rien d’un homme féministe, je dois inventer.

Il n’y a pas de chemin facile quand on souhaite se montrer plus fort que la haine et la violence de ce drame.

En décembre 2004, c’est une jeune élève de onze ans, Rosalie, qui m’a vraiment ouvert le chemin. J’étais son directeur et un projet très particulier faisait en sorte qu’avec certains de ses camarades de fin de primaire, elle commentait l’actualité à chaque semaine. Le projet des petits carnetiers du Devoir (projets dont les archives ne sont plus en ligne) leur donnaient la parole et souvent, de petites perles émergeaient.

Rosalie avait lu le journal un samedi matin de décembre et elle se demandait ce que pouvait bien signifier la photo rassemblant plusieurs hommes publics portant des rubans à la boutonnière qui commémoraient un événement qui s’était passé le 6 décembre 1989. Son billet m’avait profondément ému…

Je n’étais pas née le 6 décembre 1989

Samedi dernier, une publicité est publiée dans les différents quotidiens québécois. Sur cette photo, on voit uniquement des hommes connus et influents qui portent un ruban blanc… Dans le haut de la publicité, le message suivant est écrit : « La violence faite aux femmes, ça nous frappe aussi! Ensemble nous la dénonçons et la condamnons ». Cette annonce n’en disait pas plus, intriguée je me suis posé des questions.

Finalement, j’ai découvert la vérité, bien qu’elle soit troublante. C’était le 6 décembre 1989. Vers 16h, Marc Lépine entre dans l’école Polytechnique de Montréal. Ensuite, la soirée se résume comme ci: 17 h 10, il se rend dans une classe où il sépare les hommes des femmes. Il fait sortir les hommes et tue les femmes. Ensuite, après cette fusillade qui a enlevé la vie à six femmes, il se promène d’étage en étage, de pièce en pièce et tue en rafale. C’est finalement vers 17 h 25 après avoir tué 14 jeunes femmes qu’il se suicide. Dans sa poche, on trouve une lettre d’adieu qui dit ceci: «Veuillez noter que si je me suicide en ce 89/12/06, ce n’est pas pour des raisons économiques (…) mais bien pour des raisons politiques. Car j’ai décidé d’envoyer ad patres les féministes qui m’ont gâché la vie. Depuis 7 ans que la vie ne m’apporte plus de joie et étant totalement blasé, j’ai décidé de mettre des bâtons dans les roues à ces viragos».

C’est donc sur cette note dramatique que finit cette journée, celle du 6 décembre 1989.

Par la suite, ce fut un temps de deuil. Il y a eu des gestes de solidarité de la part de la population. Des cartes, des dessins et des mots de réconfort venaient de partout. Ce qui distingua ce meurtre des centaines d’autres cette année-là, c’est que comme le disait Marc Lépine dans sa lettre, les victimes étaient des femmes, des jeunes femmes. Ce geste était d’origine sexiste, voilà pourquoi on en parle encore aujourd’hui.

Je suis pleine d’admiration pour les proches et les familles des défuntes qui, au lieu de pleurer leur victime dans le silence, ont mis différents organismes en place notamment pour créer un contrôle sur les armes à feu. Le plus beau dans tout cela, c’est qu’ils ont réussi! Mais, bien sûr, ils ne s’arrêtent pas là! Après avoir mis en place la fondation des victimes du 6 décembre, ils utilisent leur influence sur le gouvernement pour demander et encourager une lutte contre la violence faite aux femmes. D’ailleurs, ils déposeront bientôt une pétition de 50 000 noms dans ce sens.

Pourtant, bien que cela fasse 15 ans, les compagnons masculins des victimes continuent à vivre un drame silencieux. Toute leur vie, ils se demanderont s’ils auraient pu intervenir pour aider leurs amies.

Je trouve que c’est une très bonne occasion pour dénoncer la violence faite aux femmes. Bien que ce drame soit un exemple parmi bien d’autres en ce qui concerne ce sujet, je trouve désolant que ces jeunes femmes n’avaient pour seul défaut (selon Marc Lépine) que d’être brillantes et de s’être lancées dans un domaine passionnant.

Je suis née en 1993 et je veux que ceux qui étaient là en 1989 sachent que je continuerai à défendre leurs idées.
Rosalie B., onze ans, décembre 2004.

Il suffit de mettre les jeunes en contact avec les faits et leur laisser la chance de s’exprimer. Parfois en parole, parfois dans des mots, peu importe… il suffit d’en parler.

Pas étonnant que le film de Denis Villeneuve, même s’il n’est pas facile à regarder, ait pu jouer un aussi grand rôle dans notre capacité à se relever – sans oublier – de la tragédie de Polytechnique.

Ma vie professionnelle n’aurait jamais été la même sans le billet de Rosalie qui m’a appris à aider les enfants à s’exprimer. De toutes les façons possibles…

Les événements racontés par le film Polytechnique m’ont aussi servi de guide. Je pense en particulier à la fin du long métrage, au moment où la jeune survivante incarnée par Karine Vanasse s’adresse par lettre à la mère de Marc Lépine. Elle lui dit qu’elle a de nouveau peur parce qu’elle est enceinte. Promettant de se tenir debout, malgré tout, elle annonce ses couleurs… qui devraient être nos couleurs.

«Si j’ai un garçon, je lui apprendrais l’amour. Si j’ai une fille, je lui dirais que le monde lui appartient»

Vingt-cinq ans après Polytechnique, plus que jamais, nous les hommes pouvons marcher avec les filles et les femmes, en féministe.

Je me souviens cette année encore plus que jamais de…

– Genevieve Bergeron
– Helene Colgan
– Nathalie Croteau
– Barbara Daigneault
– Anne-Marie Edward
– Maud Haviernick
– Barbara Maria Klucznick Widajewicz
– Maryse Laganiere
– Maryse Leclair
– Anne-Marie Lemay
– Sonia Pelletier
– Michele Richard
– Annie St-Arneault
– Annie Turcotte

Et je ne suis plus pris dans le silence.

Mise à jour du 4 décembre : L’Assemblée nationale a rendu hommage jeudi aux victimes de la tragédie de l’École polytechnique. Les membres du Cercle des femmes parlementaires ont particulièrement ému dans une déclaration sans précédent…

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  1. […] du 6 décembre 1989 à Polytechnique. J’ai publié cette semaine un billet qui témoigne de ce qui m’a marqué comme homme et […]

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