Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Chaque fois – ou presque – que le succès des écoles privées est mentionné sur la place publique, on invoque le fait qu’elles sélectionneraient les élèves sur la base des notes ou de la capacité à réussir. Et si en réalité, ces fameuses pratiques de sélection n’étaient le fait que de très peu d’écoles ? Et si en généralisant l’exception pour en faire la règle, les détracteurs du privé cachaient les autres variables qui expliquent le succès d’une école à faire réussir tous les élèves qu’elle regroupe ?
La récente publication des résultats officiels de l’épreuve unique 2014 de français écrit de cinquième secondaire ont encore une fois suscité la controverse parce qu’une journaliste de La Presse canadienne a choisi de les présenter en comparant les écoles publiques aux établissements privées.
«Entre les deux réseaux, force est d’admettre que l’écart se creuse. En juin 2014, le taux de réussite de l’examen de français écrit des finissants du secondaire fréquentant le réseau public était de 74,5 %. Au privé, il était de 90 %.»
Dans les jours qui ont suivi, de nombreux observateurs ont condamné AVEC RAISON cette façon de présenter les choses. Là n’est pas mon point…
Ceux ayant choisi de se mettre les pieds dans ce débat ont tout de suite privilégié l’argument classique: «L’excellence des écoles privées est potentiellement un effet de la sélection des élèves» (source). Je n’en veux pas particulièrement au Dr Alain Vadeboncœur qui a écrit le billet d’où vient la citation, j’en ai plutôt contre cette vaste désinformation qui est entretenue par tous ceux qui ne veulent voir que ce qui fait leur affaire.
Si l’école privée permet à un aussi grand nombre d’élèves de réussir leurs études ou l’épreuve unique de français écrit de cinquième secondaire, ce n’est pas parce qu’ils sont sélectionnés sur la base de leurs capacités à réussir, mais pour plusieurs autres raisons.
J’ai compris cela au printemps 1988 quand j’ai assisté à un colloque organisé par l’Agora, au Centre d’Arts Orford de Magog, où était présenté la vision d’une équipe de direction d’une ÉCOLE PUBLIQUE de la commission scolaire de Montréal: l’école secondaire Louis-Riel.
L’événement du 29, 30 avril et 1er mai 1988 «Éducation: le temps des solutions» rassemblait entre autres, Frédéric Back qui avait présenté son film «L’homme qui plantait des arbres» et Allan Bloom qui lui, avait développé la thèse de son livre, «L’âme désarmée». Mais surtout, il y avait Émile Robichaud qui était venu avec toute son équipe de direction présenter l’organisation et les valeurs de l’école publique qu’il a dirigée pendant 18 ans.
Dans un texte publié au Journal La Presse du mardi 29 mars 2005 (en page A23) Émile Robichaud n’y allait pas de mains mortes pour décrire ce qui fait la bonne école. Je me souviens avoir conservé la trace de ce texte aux propos très proches de ce qu’il nous avait présenté en 1988. Le pionnier de la rigueur et de l’humanisme en éducation y parlait de ses multiples «batailles» pour faire de Louis-Riel «l’école privée du secteur public»…
«Mais quelles batailles il a fallu livrer pour y arriver !
Bataille pour imposer un mode de prise en charge des élèves (les groupes stables) dont « l’organisation » pédagogique officielle ne voulait rien savoir au point qu’il nous a fallu fabriquer nos horaires « à la mitaine » pendant cinq ans.
Bataille avec le syndicat qui a tout fait, avant même l’ouverture de l’école, pour torpiller le navire.
Bataille avec des idéologues et des bureaucrates de tout acabit que notre approche humaniste révulsait.
Nous avons connu les griefs, le Tribunal du travail et même la Cour supérieure pour contester une injonction demandée par des puristes des droits pour nous empêcher de faire respecter les exigences de l’école.
Et voilà bien le drame de l’école publique! Pourtant elle est généreuse l’école publique! Elle accueille tous les enfants qui s’y présentent et fait des prodiges pour les servir le mieux possible. Mais elle souffre de masochisme! Elle s’impose à elle-même des contraintes, des règles insensées. Ce sont la bureaucratie tatillonne, les luttes de pouvoir, les idéologies dépassées qui l’asphyxient. J’ai confié un jour à M. Camille Laurin, alors ministre de l’Éducation, que je passais 80 % de mon temps à défendre contre toutes ces entraves, ce que nous réussissions à bâtir… dans le 20 % restant!»
L’école secondaire Louis-Riel en 1990 était devenue «non pas une école pour les élèves enrichis, mais une école enrichie pour tous les élèves». «Elle refusera à ce moment-là plusieurs centaines d’élèves par année faute de place». M. Robichaud expliquait qu’un seul critère prévalait pour l’admission des élèves: «la proximité géographique». Aucun concours d’admission basés sur des performances scolaires. Pourtant, on disait de Louis-Riel que c’était «l’école privée du secteur public».
Les parents y étaient satisfaits, «les élèves fiers d’appartenir à Louis-Riel et la plus grande partie du personnel heureuse d’y travailler», selon Émile Robichaud.
Je lisais aujourd’hui avec bonheur le billet de Jean-Marc St-Jacques (président de la Fédération des établissements d’enseignement privés et directeur général du Collège Bourget) qui se veut une réponse au texte cité plus haut de Alain Vadeboncœur. Il revient sur «l’hypothèse que les écoles privées sélectionnent peut-être davantage qu’avant, ce qui expliquerait l’écart qui se creuse entre le privé et le public». Ses propos rejoignent mon expérience de vingt-deux ans à oeuvrer au réseau privé.
La pratique de sélection des élèves sur la base des notes est concentrée sur l’Île de Montréal et touche selon moi une douzaine d’établissements. Montréal n’est pas tout le Québec… et quelques établissements qui pourraient procéder autrement pour disposer des places disponibles constituent l’exception, pas la norme.
Sur les 190 écoles regroupées par la Fédération des établissements d’enseignement privés, je serais très étonné qu’il y en ait plus qu’une vingtaine au total, au Québec, qui privilégie cette approche. Sûrement pas les 12 établissements qui offrent exclusivement des services en adaptation scolaire à des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage ou les 17 pensionnats. Très peu d’écoles privées ont moins de places à offrir que la demande pour les occuper. Très peu d’écoles ont « le luxe » de se priver d’élèves sur la base d’une sélection parce que leur financement est basé sur le nombre d’élèves et que des places qui resteraient non comblées nuiraient à la santé financière de l’établissement.
Si les parents du Québec choisissent d’inscrire leurs enfants au privé et de s’imposer un coût additionnel, c’est peut-être parce qu’ils y trouvent ce qu’ils cherchent, un encadrement serré et des conditions favorables à la réussite scolaire ?
Voudraient-ils encore aujourd’hui s’imposer ce coût s’ils pouvaient faire autrement ?
C’est trop facile – et injuste – d’expliquer les succès du privé par la sélection des élèves présente dans de moins en moins d’établissements privés. Si c’est pratique pour justifier l’immobilisme ou la difficulté à innover, ça me semble contre-productif.
Je l’ai dit au début de ce billet et M. St-Jacques l’écrit dans son texte: il faut éviter de «comparer une école avec une autre, alors que chacune doit composer avec des élèves différents dans des milieux différents».
Je ne peux faire autrement que de redonner la parole à Émile Robichaud, ex-directeur au public, je le rappelle: «Voilà ce dont souffre le secteur public. Il ne voit souvent pas plus loin que la prochaine élection. Il n’accepte pas facilement qu’une institution relève la tête et sorte du rang. Il envie le succès du privé au lieu de se demander pourquoi les parents y envoient leurs enfants».
C’est peut-être moins vrai aujourd’hui qu’en 2005 parce que plusieurs écoles publiques ont choisi de se doter d’un projet éducatif particulier, malgré les énormes contraintes rencontrées, et ainsi répondre aux besoins des parents et des élèves. Mais on pourrait faire tellement mieux si chaque école disposait des pouvoirs qui leur donneraient les moyens de leurs ambitions.
Les réseaux publics et privés peuvent travailler ensemble avec les ministères pour améliorer l’école à partir des bonnes pratiques et des «initiatives gagnantes».
Encore un peu de Robichaud : «Pour renverser la situation, il faudrait que le secteur public écoute un peu plus les parents et les praticiens de l’enseignement et un peu moins les ténors syndicaux, les bureaucrates désincarnés et les théoriciens prétentieux dont la langue de bois et les dogmes fumeux découragent tout dialogue fructueux. Les parents, eux, ont compris, depuis longtemps et ont agi en conséquence».
«Se pourrait-il que les écoles qui font travailler davantage leurs élèves pour amener chacun à développer son plein potentiel réussissent mieux que les autres», demande Jean-Marc St-Jacques ?
Voilà une bonne piste de solution…
Cessons de tolérer le nivellement par le bas et de se cacher derrière des mythes.
Faudra-t-il que d’autres «Émile Robichaud» montent aux barricades ?
L’école publique ne s’en porterait que mieux !
Mise à jour du lendemain : Isabelle Maréchal en a fait le sujet de son émission d’aujourd’hui…
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